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13. (1760) Lettres sur la danse et sur les ballets (1re éd.) [graphies originales] « LETTRES SUR LA DANSE. — LETTRE II. » pp. 15-29

Je ne puis m’empêcher, Monsieur, de désaprouver les Maîtres de Ballets, qui ont l’entêtement ridicule de vouloir que les figurants & les figurantes se modelent exactement d’après eux, & compassent leurs mouvements, leurs gestes & leurs attitudes, d’après les leurs ; cette singuliere prétention ne peut-elle pas s’opposer au développement des graces naturelles des exécutants, & étouffer en eux le sentiment d’expression qui leur est propre ? […] Est-il dénué d’expression, de tableaux frappants, de situations fortes, il n’offre plus alors qu’un Spectacle froid & monotone. […] Ne dansant point, il devient étranger au Ballet ; son expression d’ailleurs étant dépourvue des graces que la Danse prête aux gestes & aux attitudes, paroît moins animée, moins chaude, & conséquemment moins intéressante ; il est permis aux grands talents d’innover, de sortir des regles ordinaires, & de se frayer des routes nouvelles, lors qu’elles peuvent conduire à la perfection de leur Art. Mentor, dans un spectacle de Danse, peut & doit agir en dansant ; cela ne choquera ni la vérité ni la vraisemblance, pourvu que le Compositeur ait l’Art de lui conserver un genre de Danse & d’expression analogue à son caractere, à son âge & à son emploi : je crois, Monsieur, que je risquerois l’aventure, & que de deux maux j’éviterois le plus grand, c’est l’ennui, personnage qui ne devroit jamais trouver place sur la Scene. […] Lorsque toutes ces parties ne sont pas mises en œuvre par l’esprit, lorsque le génie ne dirige pas tous ces mouvements, & que le sentiment & l’expression ne leur prêtent pas des forces capables de m’émouvoir & de m’intéresser ; j’applaudis alors à l’adresse, j’admire l’homme machine, je rends justice à sa force, à son agilité ; mais il ne me fait éprouver aucune agitation ; il ne m’attendrit pas, & ne me cause pas plus de sensation que l’arrangement des mots suivants : fait.. pas.. le.. la.. honte.. non.. crime..

14. (1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre I. De la Danse profane »

De la Danse profane La Danse ne fut d’abord qu’une expression vive de joie et de reconnaissance. […] Elle fut donc dans les premiers temps une expression simple de joie dans les Fêtes publiques ou particulières et successivement les différentes images qu’elle peignit dans les occasions, quoique plus composées, leur furent cependant toujours relatives.

15. (1760) Lettres sur la danse et sur les ballets (1re éd.) [graphies originales] « LETTRES SUR LA DANSE. — LETTRE PREMIERE. » pp. 2-14

Si les Ballets en général sont foibles, monotones & languissants ; s’ils sont dénués de ce caractere d’expression qui en est l’ame, c’est moins, je le répete, la faute de l’Art que celle de l’Artiste : ignoreroit-il que la Danse est un Art d’imitation ? […] Les figures symmétriques de la droite à la gauche, ne sont supportables, selon moi, que dans les corps d’entrée, qui n’ont aucun caractere d’expression, & qui ne disant rien, sont faits uniquement pour donner le temps aux premiers danseurs de reprendre leur respiration. […] quoiqu’à mon sens, il soit ridicule de sacrifier, dans ces sortes de morceaux, l’expression & le sentiment à l’adresse du corps & à l’agilité des jambes ; mais la symmétrie doit faire place à la nature dans les Scenes d’action. […] Ce principe posé, & que la nature démontre tous les jours, il y auroit donc plus de vrai à diversifier les attitudes, à répandre des nuances dans l’expression, & dès-lors l’action Pantomime de chaque Personnage cesseroit d’être monotone. Ce seroit être aussi fidelle imitateur qu’excellent Peintre, que de mettre de la variété dans l’expression des têtes, de donner à quelques-uns des Faunes de la férocité ; à ceux-là moins d’emportement ; à ceux-ci un air plus tendre ; aux autres enfin un caractere de volupté, qui suspendroit ou qui partageroit la crainte des Nymphes ; l’esquisse de ce Tableau détermine naturellement la composition de l’autre ; je vois alors des Nymphes qui flottent entre le plaisir & la crainte ; j’en apperçois d’autres qui me peignent par le contraste de leurs attitudes, les différents mouvements dont leur ame est agitée ; celles-ci sont plus fieres que leurs compagnes ; celles-là mêlent à leur frayeur un sentiment de curiosité, qui rend le Tableau plus piquant : cette diversité est d’autant plus séduisante qu’elle est l’image de la nature.

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