Je leur accorde avec plaisir ce qui nous manque, & ce que nous posséderons lorsqu’il plaira aux Danseurs de secouer des regles qui s’opposent à la beauté & à l’esprit de leur Art. […] Concluons que l’action de la Danse est trop restreinte ; que l’agrément & l’esprit ne peuvent se communiquer également à tous les êtres ; que le goût & les graces ne se donnent point. […] La beauté se perd toujours sous les colifichets de la mode ; le simple est son fard ; la nature compose ses agréments ; les graces ajoutent à ses traits ; l’esprit les anime & leur prête encore un nouvel éclat. […] De deux Acteurs également servis par la nature, celui qui sera le plus éclairé sera sans contredit celui qui mettra le plus d’esprit & de légéreté dans son jeu. […] La tête conduit rarement les jambes, & comme l’esprit & le génie ne résident pas dans les pieds, on s’égare souvent, l’homme s’éclipse, il n’en reste qu’une machine mal combinée, livrée à la stérile admiration des sots & au juste mépris des connoisseurs.
De la Musiqué Elémentaire attribuée aux Esprits Aëriens & aux Oracles de l’Antiquité. […] Appollonius, Zamblique, Porphire, & Michel Psellus, tous grands Philosophes, mais un peu suspects de magie, au sentiment du peuple, & non pas de Saint Jérôme, assurent qu’il y a quatre sortes de Démons ou d’Esprits élémentaires, dont l’explication se trouve dans le Livre du Comte de Gabalis ; c’est un récit parfait de tout ce qui se peut dire de plus plaisant sur cette matiere, pour tâcher de persuader l’éxistance des Esprits élémentaires, de même que la réalité des apparitions des phantômes, à laquelle néanmoins beaucoup de gens bien sensez n’ont point de foi, & encore moins ceux qui se picquent d’esprits forts, non plus qu’aux apparitions diaboliques, quoiqu’il y ait quantité d’Auteurs qui prétendent qu’elles étoient assez communes au tems du Paganisme ; témoin l’éxemple qu’on en trouve dans Elian, Liv. 8. […] La mort du grand Pan annoncée au Pilote Thamus, du tems de l’Empereur Tibere, semble encore prouver que les Démons ont l’usage de la voix ; joint à ce que dit Aristote, que dans l’une des sept Isles d’Eloüs, qui étoit inhabitée, on entendoit souvent un concert très-harmonieux ; ce qui fit croire dans ce tems-là que c’étoit le lieu d’assemblée pour les réjouissances des Esprits aëriens ou des Satyres. […] Mais les Philosophes qui se mêlent de vouloir pénétrer dans les secrets de Dieu par l’Etude de la Théologie sécrete, attribuent ces événemens singuliers & ces sortes de voix aux Esprits élémentaires. Ainsi les Esprits accoutumez aux fables croiroient volontiers que les voix que l’on entendit la nuit sur le canal, sont celles des Gnomes, qui sont, dit le Comte de Gabalis, composez des plus subtiles parties de la terre qu’ils habitent ; & que les Nymphes sont composées des parties les plus déliées de l’eau ; les Salamandres sont formées par l’action du feu universel, & les Sylphes sont composez des plus purs atomes de l’air.
Mais que ne font pas encore les personnes qui, remplies de l’esprit du monde, prennent la défense des danses, pour affoiblir l’impression de ce qu’ont dit contre elles ces saints docteurs ? […] Que reste-t-il parmi nous de l’ancien esprit de piété ? La plupart des chrétiens ne savent ce que c’est que la vigilance chrétienne, et l’esprit de prière et de mortification nécessaire pour se garantir de la corruption qui se répand comme un torrent, et gagne comme une gangrène ; à peine avons-nous conservé quelque extérieur de religion. […] Ils blâment, dans les jeux et les théâtres, l’inutilité, la prodigieuse dissipation, le trouble, la commotion de l’esprit, peu convenables aux chrétiens, dont le cœur doit être le sanctuaire de la paix. […] Qui ne craint pas dans ces folles joies d’étouffer en soi l’esprit de prière, et d’interrompre cet exercice, qui, selon la parole de Jésus-Christ, (Luc. 18, 1.) doit être perpétuel dans un chrétien, du moins en désir et dans la préparation du cœur ?