Le Peuple se modèle sans cesse sur la Bourgeoisie, qui ne se croit point Peuple, et qui aurait honte de lui ressembler. […] Couverts d’une armure brillante, animés par une symphonie guerrière, le javelot d’une main, le bouclier de l’autre, ils formaient ainsi des jeux qui flattaient leur vanité, et qu’ils croyaient dignes de leur courage. […] Les hommes qui se croyaient nés pour elle, devaient par conséquent ne s’occuper que des exercices qui pouvaient rendre leur corps plus souple, et plus vigoureux. […] Quelques Auteurs les croient les Inventeurs de la Danse armée : c’est une erreur : son Institution est beaucoup plus ancienne.
Numa crut, qu’en jetant parmi eux les fondements d’une Religion, il parviendrait au but glorieux qu’il se proposait. […] Les Philosophes21 des siècles les plus reculés qui ont cherché la première cause de la Danse sacrée, ont cru la trouver dans l’idée qu’ils s’étaient faite de la Divinité. Ils la regardaient comme l’harmonie du Monde, et ils croyaient, qu’elle ne pouvait être mieux honorée, que par des Danses régulières qui leur semblaient une image du concert et de l’accord de ses perfections. […] Les Prêtres alors se croyaient vraiment inspirés : les Peuples recueillaient leurs discours comme des oracles, et quelques événements amenés par le hasard avaient suffi pour établir l’extravagante crédulité des uns, et la sotte superstition des autres.
Ils se gouvernent sur des traditions qu’ils croient certaines. […] Or, pour ne parler que de la Danse, du Théâtre, je trouve dans ces inconvénients généraux de grands obstacles au progrès de l’Art, puisqu’il en résulte le malheur certain de ne voir jamais faire à nos Danseurs modernes, que ce qui a été pratiqué par les Danseurs qui les ont précédés, et je crois avoir déjà prouvé que la Danse n’a fait jusqu’ici sur notre Théâtre que la moindre partie de ce qu’elle aurait dû faire. […] Toute action théâtrale est antipathique aux Danseurs modernes142, par la seule raison que les actions de Danse n’ont pas été pratiquées par les grands Danseurs, ou crus tels, dont ils remplissent au Théâtre les emplois. […] Chacun des Danseurs se croit un être à part et privilégié. […] Un Danseur croit ne rien faire, lorsqu’il exécute les figures qu’on lui demande.