On ne me donne, à la place de ce que je pouvais attendre, qu’une froide symphonie, des cartons mal peints, quelques poignées d’étoupes enflammées, et un escamotage grossier, qui ne sert qu’à me faire apercevoir, combien j’aurais pu être satisfait, si le jeu de la Danse et le mouvement des machines s’étaient adroitement concertés, pour rendre à mes yeux et à mon oreille l’intention ingénieuse du poète.
Si en chantant on n’articule aucune parole, les airs qui se jouent sur les instrumens rappellent souvent à l’esprit des chansons très-mauvaises qu’on a eu le malheur d’apprendre, et qu’on n’a pas oubliées ; et, supposé que, dans ce temps même de la danse, ni les chansons, ni le son des instrumens et des airs qu’on y joue, n’aient pas fait d’impression, peut-on nier que cela n’ait jeté dans le cœur une mauvaise semence qui, étant demeurée cachée pendant un temps, y germe, paroît au moment qu’on s’y attend le moins, et produit enfin des fruits de mort ?
Suétone rapporte dans la vie de Jules-César, qu’étant sur les bords du fleuve Rubicon, incertain s’il le passeroit ou non, attendu que ce passage étoit contraire aux ordres du Sénat, un prodige ou phantôme ressemblant à un homme, fort haut & beau par excellence, s’apparut à lui jouant d’un chalumeau fait de canne ; plusieurs Bergers y accoururent, & des soldats abandonnerent leurs postes pour l’ouir, entre autres les trompettes, à qui ce phantôme en arracha une, & se jetta dans la riviere qu’il passa à la nage, en sonnant l’allarme d’une grande force avec cette trompette ; il parut pendant quelque tems sur l’autre bord de la riviere : alors César dit à son armée, allons où les prodiges des Dieux nous appellent ; cette résolution, dit Suétone, lui procura l’Empire.