D’abord, elles ne marchent pas : elles gambillent, — un mot exact et pittoresque qui implique le mouvement gracieux de la jambe au-dessus de la voltige du pied.
Qu’elles sachent aussi un peu de musique afin de danser en mesure, et qu’elles apprennent à bien marcher sur la scène. […] Les danseuses ont les jambes près du bonnet, et l’on n’était plus au temps où Napoléon écrivait à son ministre des Beaux-arts : « Dites à ces demoiselles que, si elles ne se tiennent pas tranquilles, je leur donnerai comme directeur un général qui les fera marcher militairement. » Naturellement brocards et épigrammes ne furent pas épargnés au vertueux surintendant, qui d’ailleurs eut le mérite de comprendre Rossini, de le lier à la France par un traité en règle, et de donner à l’Opéra des chanteurs tels que Nourrit, Levasseur et Mme Damoreau.
« Les aimer, ajoute ce Saint, c’est abuser des dons du Créateur, et aller contre les vues qu’il s’est proposées en nous donnant des pieds : en effet il ne nous les a pas donnés pour en faire un usage aussi honteux que celui qu’on en fait dans les danses, mais seulement pour marcher modestement. Si le corps est déshonoré par cette manière indécente de marcher, combien plus l’ame l’est-elle ?
Après quoi ce cardinal ajoute : « Rougissez ; un païen a pensé plus sainement que vous, et un païen vous condamnera au jour du jugement : la seule lumière naturelle a mis ce païen en état d’enseigner que la danse ne convient qu’à des personnes ivres ou insensées ; et vous qui êtes un enfant de Dieu, et qui êtes éclairé de la lumière céleste de l’Evangile ; vous chez qui on ne devroit pas seulement nommer de telles inepties, vous avez la folie de vous livrer aux danses, même dans les jours les plus sacrés et les plus solennels. » Le même Bellarmin, dans son dix-neuvième sermon, qui est sur le dimanche de la quinquagésime, s’élève en ces termes contre ceux qui donnent ou reçoivent des leçons pour apprendre, non à marcher décemment, mais à danser : « Faut-il donc acheter à prix d’argent l’art de périr pour l’éternité ? […] Dans les danses, c’est la légèreté de l’esprit qui rend les corps si légers, et qui leur donne tant de facilité à se tourner de tous côtés : In choreis animorum volubilitas corpora secum volvit ; en sorte que c’est proprement aux danses qu’on peut avec raison appliquer cette parole du psaume 2, v. 9 : Les impies marchent en tournant sans cesse : In circuitu impii ambulant.
Dire que les soldats Lacédémoniens alloient au combat en dansant est une erreur de mot ; il seroit plus juste de dire qu’ils y alloient en marchant au bruit d’une musique guerrière ; qu’ils régloient leurs pas au mouvement de la mesure et des airs ; qu il y en avoit la lents, de vifs et d’accélérés : chaque mesure de ces airs variés, fixoit le mouvement du pas des soldats ; car l’air qui indiquoit l’attaque n’étoit pas le même que celui qui commandoit la retraite : marcher en mesure n’est donc pas danser.
Mais comme il est aussi difficile de marcher, sans s’égarer, dans les routes obscures de l’antiquité, que d’anatomiser des objets presque décharnés , et de distinguer exactement ceux dont la forme se perd dans l’immesurable distance des siècles, il faut présumer avec les commentateurs raisonnables, que les anciens avoient des gestes de convention, qui devenoient les signes représentatifs de telle ou telle chose, j’en ai parlé avec assez d’étendue dans mes lettres précédentes ; j’ai même avancé qu’il a existé des dictionnaires explicatifs de tous les gestes possibles.
Ce héros paroît sur un char traîné par les esclaves des différentes nations qu’il a vaincues ; ses compagnons charges des trophées de ses victoires et des riches dépouilles des vaincus, marchent à ses côtés.
Alexandre par des peintures vivantes, veut augmenter l’enthousiasme de l’Artiste, il ordonne à Campaspe de marcher et de déployer ses Graces, elle se pose dans les attitudes les plus variées et les plus pittoresques : chaque mouvement exprime un sentiment ; elle réunit les graces à la volupté ; les traits de sa figure et le feu de ses regards prêtent l’ame et la vie aux positions de son corps, toutes ces peintures délicieuses enchantent Apelles, et portent à son cœur le trouble et l’émotion.
Il ne marchait qu’escorté d’une demi-douzaine de gardes-du-corps, — triples claqueurs italiens attachés à sa personne et chargés de chanter les louanges de sa fille !
Ils ne pourraient même marcher sans tomber sur le mouvement lent et compassé de la Passacaille.
Neuf Cavaliers richement vêtus à la Française marchaient sur ses pas.
Un de ses principaux Officiers vient l’avertir, que tout est prêt pour l’Hymen des Danaïdes ; que l’on n’attend que lui pour marcher au temple ; ce Prince revenu à peine de son évanouissement, mais dont l’ame est agitée par la frayeur et par la vengeance, fuit avec précipitation un lieu, qui lui paroît d’autant plus redoutable, qu’il vient d’y lire sa destinée.
Marcheurs et marcheuses sont les figurants et les figurantes du ballet : ils ne disent pas pendant dix minutes « Allons, marchons, courons », en continuant de rester en place ; ils ne crient pas à tue-tête et avec accompagnement de cymbales et de trompettes, « Retirons-nous sans bruit » ; ils se contentent de faire les évolutions élémentaires, et ils forment tous les cortéges.
Emile Perrin, alors directeur de l’Opéra, remarqua un enfant de huit à dix ans qui marchait fort adroitement sur les coudes et répétait à merveille le rôle d’un gnome dans le fameux tableau de la Fonte des balles : — Qui es-tu, toi ? […] Sa petite sœur, qui ne la quittait jamais d’une semelle, lui marchait derrière les talons en larmoyant à l’unisson.
N’est-ce pas aller directement contre ce précepte, que d’employer à la danse des pieds que Dieu ne nous a donnés que pour marcher décemment et avec modestie, et pour aller où le devoir et nos besoins nous appellent ?
Je n’ignore pas que quelques jeunes gens remplis de zèle et d’activité, mais novices encore dans l’art des grandes compositions s’attachent à marcher sur les traces des grands-maîtres : je ne connois point leurs productions, et je me garderai bien de prononcer sur le mérite d’un ballet ou d’un tableau d’après un programe ; ces sortes de descriptions sont souvent mensongères.
« Il y a quatre-vingts ans10 que tous les airs de Ballet étaient un mouvement lent, et leur chant, s’il m’est permis d’user de cette expression, marchait posément même dans la plus grande gaieté.
Rien de plus opposé que les danses en général, et en particulier celles de la nuit, à cette règle de saint Paul : Marchons avec bienséance et avec honnêteté, comme on marche durant le jour.
D’ailleurs, les Drames marcheraient rapidement, ne traîneraient plus en longueur ; les Actes seraient courts, & l’on n’en verrait plus de postiches.
Il est rare, Monsieur, pour ne pas dire impossible, de trouver des hommes exactement bienfaits ; et par cette raison, il est très commun de rencontrer une foule de danseurs construits dèsagréablement, et dans les quels on n’apperçoit que trop souvent des défauts de conformation que toutes les ressources de l’art ont peine à déguiser, seroit-ce par une fatalité attachée à la nature humaine, que nous nous éloignons toujours de ce qui nous convient, et que nous nous proposons si communément de courrir une carrière dans la quelle nous ne pouvons ni marcher ni nous soutenir ?
Seroit-ce par une fatalité attachée à la nature humaine que nous nous éloignons toujours de ce qui nous convient, & que nous nous proposons si communément de courir une carriere dans laquelle nous ne pouvons ni marcher ni nous soutenir ?
Les Italiens, dont la langue est bien plus douce que la nôtre, prodiguent à la vérité les vitesses dans les roulades ; mais quand la voix a quelques syllabes à articuler, ils ont grand soin de la faire marcher plus posément, et de manière à rendre les mots aisés à prononcer et à entendre. […] Au rapport de Juan Christoval Calvete (qui a fait une relation du voyage de Philippe II. roi d’Espagne, de Madrid à Bruxelles, qu’on va traduire ici mot à mot), dans une procession solennelle qui se fit dans cette capitale des Pays-Bas en l’année 1549, pendant l’octave de l’Ascension, sur les pas de l’archange saint Michel, couvert d’armes brillantes, portant d’une main une épée, et une balance de l’autre, marchait un chariot, sur lequel on voyait un ours qui touchait un orgue : il n’était point composé de tuyaux comme tous les autres, mais de plusieurs chats enfermés séparément dans des caisses étroites, dans lesquelles ils ne pouvaient se remuer : leurs queues sortaient en haut, elles étaient liées par des cordons attachés au registre ; ainsi à mesure que l’ours pressait les touches, il faisait lever ces cordons, tirait les queues des chats, et leur faisait miauler des tailles, des dessus, et des basses, selon les airs qu’il voulait exécuter. […] En fallait-il davantage à un musicien que la cour et la ville louaient sans cesse, qui pour soutenir son théâtre, se trouvait sans doute pressé dans ses compositions, et qui marchait au surplus en proportion des forces de ses exécutants et des connaissances de ses auditeurs.
Je marchais, — un matin, — dans les semelles des sœurs Fiocre qui s’en revenaient du marché.
Mais il suffit pour cela d’apprendre à de jeunes personnes à ne point s’abandonner à une molle nonchalance qui gâte et corrompt toute l’attitude du corps, à se tenir droites, à marcher d’un pas uni et ferme, à entrer décemment dans une chambre ou dans une compagnie, à se présenter de bonne grâce, à faire une révérence à propos ; en un mot, à garder toutes les bienséances qui font partie de la science du monde, et auxquelles on ne peut pas manquer sans se rendre méprisable.