Du moins si ces grands compositeurs ne pouvant transmettre à la postérité leurs tableaux fugitifs, nous eussent au moins transmis leurs idées, leurs principes sur leur art. […] Ceux qui les ont suivis auroient eu des principes, et l’on n’auroit pas vu périr l’art de la pantomime, et du geste, portés jadis à un point qui étonne encore l’imagination. […] Ce principe posé, et que la nature démontre tous les jours, on doit diversifier les attitudes, répandre des nuances dans l’expression, et dèslors l’action pantomime de chaque personnage cesse d’être monotone.
Un Artiste entraîné par cette espèce d’instinct, que la Nature seule donne, et que rien ne supplée, franchit quelquefois, sans s’égarer, une carrière difficile qu’il lui aurait été impossible de bien mesurer ; tandis qu’un Philosophe, qui, le compas à la main, la décrit avec ordre, en fonde les principes, développe tous ses détours, manquerait d’haleine, sans doute, dès le premier pas, s’il se hasardait d’y courir.
Le geste puise son principe dans la passion qu’il doit rendre ; c’est un trait qui part de l’ame, il doit faire un prompt effet, & toucher au but, lorsqu’il est lancé par le sentiment. Instruit des principes fondamentaux de notre Art, suivons les mouvements de notre ame, elle ne peut nous trahir lorsqu’elle sent vivement ; & si dans ces instants elle entraîne le bras à tel ou tel geste, il est toujours aussi juste que correctement dessiné, & son effet est sûr. […] ils ont perdu, puisque je leur prouverai que les positions de ces deux statues, chef-d’œuvres de l’antiquité, ne sont pas des positions adoptées dans les principes de la Danse. […] En partant d’un principe aussi faux, les uns ne s’appliquent qu’à remuer les jambes, les autres qu’à faire des efforts de mémoire, & les derniers qu’à pousser des cris ou des sons ; ils sont étonnés, après plusieurs années d’un travail pénible, d’être détestables ; mais il n’est pas possible de réussir dans un Art sans en étudier les principes, sans en connoître l’esprit, & sans en sentir les effets.
[3] Noverre 2, le restaurateur des ballets d’action et de l’art de la pantomime, a posé les principes qui doivent guider le maître de ballet, c’est-à-dire les compositeurs ; il a prescrit des règles aux mimes ; il a aussi écrit sur l’art, proprement dit, de la danse ; mais ses instructions à cet égard, se bornent à quelque conseil sur la poétique de l’art et à quelques légères observations sur son mécanisme. […] [5] J’ose donc espérer que les instructions, les leçons que je vais donner, provenant des écoles des plus grands maîtres, qui ont fait faire à la danse moderne des progrès immenses, et qui l’ont tant embellie, pourront d’autant plus faciliter les élèves dans leurs études, que j’ai, à l’aide d’un travail assidu, fait d’après les vrais principes, par ma propre expérience, et par l’observation des plus excellents modèles que j’ai eu sous les yeux, appliqué à mes leçons de nouveaux moyens d’enseignement, et des démonstrations rigoureusement exactes. […] Les élèves ayant ces exemples sous les yeux, comprendront facilement les principes théoriques que je leur enseigne : « Segnius irritant animos demissa per aurem « Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus… » et pour que leur exécution soit parfaite, je leur trace, sur les principales positions de ces figures, des lignes, qui fixeront la véritable manière de se poser, et de se dessiner dans les diverses attitudes de la danse.
On cria à l’anathême, on me traita d’innovateur, et l’on me regarda comme un homme d’autant plus dangereux, que j’attaquois des principes consacrés par leur ancienneté. […] Cependant, comme dans tous les arts les observations et les principes puisés dans la nature finissent toujours par l’emporter, en criant que j’avois tort, en combattant mes idées, on les adoptoit par dégrès, on se rapprochoit de moi pas à pas, on faisoit insensiblement des réformes ; et je me vis bientôt secondé par des artistes dont le goût et l’imagination étant au dessus de leur art, se trouvèrent bien supérieurs au sentiment de l’envie et de la jalousie. […] Les succès même qu’obtiennent aujourd’hui mes imitateurs sont le plus grand éloge des principes que j’ai posés dans mon ouvrage.
Je pars de ce principe, pour oser croire que l’étude de l’Anatomie jettera de la netteté dans les préceptes qu’il donnera aux sujets qu’il voudra former : il demêlera dès-lors aisément les vices de conformation, et les défauts d’habitude qui s’opposent si souvent aux progrès des éléves. […] Ne croyez pas que les maladies de ces animaux ayent été l’unique but de ses études anatomiques ; il a forcé, pour ainsi dire, la nature à lui avouer ce qu’elle avoit constamment refusé de révéler jusqu’à lui ; la connoissance intime de la succession harmonique des membres du cheval dans toutes ses allures, et dans tous les Airs, ainsi que la découverte de la source, du principe, et des moyens de tous les mouvemens dont l’animal est susceptible, l’ont conduit à une méthode unique, simple, facile, qui tend à ne jamais rien exiger du cheval que dans des temps justes, naturels et possibles ; temps qui sont les seuls où l’exécution n’est point pénible à l’animal, et où il ne sauroit se soustraire à l’obéissance. […] Chacun d’eux prend des routes opposées, comme chacun d’eux a des principes différens ; mais on y trouve cependant certains traits frappans, certain air de ressemblance, qui annonce leur union intime et le besoin qu’ils ont les uns des autres pour s’élever, pour s’embellir, et pour se perpétuer.
Les Savans, dit Quintillien, connoissent les principes des arts ; les ignorants en éprouvent les effets ; la phrase de Quintillien fixe les limites qui séparent le goût de la science. […] J’ajouterai que je fis dans ma jeunesse un cours d’ostéologie ; il m’a été très utile dans mes leçons, soit en diminuant les longueurs de l’instruction, soit en jettant plus de clarté dans la démonstration des principes : cet art m’a enseigné à demêler les causes qui s’opposent à l’exécution de tel et tel mouvement ; et connoissant la partie osseuse de l’homme, les leviers et les charnières qui opèrent leurs jeux divers, je n’éxigeois pas de mes élèves ce que la nature ne vouloit pas, et je dirigeois mes leçons d’après un éxamen approfondi de la conformation de chacun d’eux. […] Ces ombres m’apparûrent, je m’inclinai humblement devant elles, et je les conjurai de vouloir me dévoiler les mystères de leur art enchanteur ; je leur demandai si le genre de leur danse avoit quelque rapport au notre ; s’ils faisoient jadis des entrechats à six et à huit, des cabrioles, et des pirouettes a sept tours ; sublime invention qui fait tourner toutes les têtes légères des Parisiens, et qui est regardée, par eux, comme la base fondamentale des principes de la danse.
Je pars de ce principe, pour oser croire que l’étude de l’Anatomie jettera de la netteté dans les préceptes qu’il donnera aux sujets qu’il voudra former : il démêlera dès-lors aisément les vices de conformation, & les défauts d’habitude qui s’opposent si souvent aux progrès des éleves. […] Ne croyez pas que les maladies de ces animaux aient été l’unique but de ses études anatomiques ; il a forcé, pour ainsi dire, la nature à lui avouer ce qu’elle avoit constamment refusé de révéler jusques à lui ; la connoissance intime de la succession harmonique des membres du cheval dans toutes ses allures & dans tous les airs, ainsi que la découverte de la source, du principe & des moyens de tous les mouvements dont l’animal est susceptible, l’ont conduit à une méthode unique, simple, facile, qui tend à ne jamais rien exiger du cheval, que dans des temps justes, naturels & possibles ; temps qui sont les seuls où l’exécution n’est point pénible à l’animal, & où il ne sauroit se soustraire à l’obéissance. […] Chacun d’eux prend des routes opposées, comme chacun d’eux a des principes différents ; mais on y trouve cependant certains traits frappants, certain air de ressemblance, qui annonce leur union intime & le besoin qu’ils ont les uns des autres pour s’élever, pour s’embellir, & pour se perpétuer.
Premièrement les parties mécaniques de la Musique, du Chant et de la Danse des Grecs et des Romains étaient évidemment pour le fond, pour les principes, et à plusieurs égards, pour la forme les mêmes que les nôtres. […] Cette contradiction a pour principe, sans qu’on s’en doute, un vice du cœur humain. […] Voilà le principe de cette défiance constante qu’on se plaît à manifester dans toutes les occasions pour les talents contemporains9 d’admiration qu’on s’obstine à prodiguer aux talents qui ne sont plus. […] La connaissance des faits, abrège les discussions et rend plus aisé l’établissement des principes.
. — Les « principes » de Véron. — La claque ; Auguste. — La presse ; Charles Maurice. — Les bals de l’Opéra. — Véron jugé par ses contemporains. 97 CHAPITRE IV le ballet a l’opéra vers 1830 Conception du ballet par Véron. — Le vieux répertoire. — Besoin de rajeunissement ; campagne contre le ballet académique. — La routine des maîtres de ballet. — Les danseurs au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. — Auguste Vestris. — Perrot. — Les danseuses. — La vieille garde. — Mme Montessu. — Lise Noblet. — Mlle Legallois. — Pauline Leroux. — Les sœurs Fitzjames. — Mlles Roland, Forster, Coquillard. — Louise Duvernay. — Ce qui manquait à ces artistes 129 CHAPITRE V marie taglioni La dynastie des Taglioni. — Philippe Taglioni. — Conception romantique du ballet. — Les deux écoles : Taglioni et Vestris. — Education technique de Marie. — Ses débuts à Vienne. — Premiers succès en Allemagne. — Débuts à Paris. — Marie Taglioni et Perrot dans Flore et Zéphire. — Le Dieu et la Bayadère. — Robert le Diable. — La Sylphide. — Révolution romantique dans le ballet. — Causes du succès extraordinaire de Marie. — Une revanche de l’idéalisme. — Les panégyristes de Marie ; Jules Janin. — Hommages des poètes ; Méry. — Succès dans toute l’Europe. — Critiques de Rahel Varnhagen. — Caractère de Marie. — Sa prodigalité. — Son mariage avec Gilbert de Voisins. — Difficultés avec la direction de l’Opéra. — Nécessité d’engager une autre danseuse 156 CHAPITRE VI les débuts de fanny elssler à paris Le voyage de Véron à Londres. — Engagement des sœurs Elssler. — Leurs appointements. — Réclame tapageuse. — Appel aux bonapartistes. — La Tempête ; les répétitions ; dépenses pour la mise en scène. — Première représentation le 15 septembre 1834. — Physionomie de la salle. — Succès de Fanny. — Opinions de la presse. — Incompétence de Jules Janin. — Encore la légende des amours du duc de Reichstadt et de Fanny Elssler. — Orgueil de Véron. — Elssléristes et taglionistes. — Reprise de la Sylphide. — Débuts de Thérèse. — Le bal de Gustave. — Les deux sœurs dans Don Juan. — Les recettes de la Tempête. — Une parodie. — La mode 188 CHAPITRE VII l e diable boiteux L’année 1835. — La Juive. — Campagne des taglionistes contre Fanny Elssler. — L’Ile des Pirates. — L’attentat de Fieschi. — Insuccès du nouveau ballet. — Duponchel succède à Véron. — Qualités de Duponchel. — Les deux sœurs Elssler à Berlin. — Retour à Paris. — Première représentation des Huguenots, le 29 février 1836. — Vogue de l’Espagne et des danses espagnoles. — Grillparzer à Paris ; son jugement sur les sœurs Elssler. — Première représentation du Diable boiteux, le 1er juin 1836. — Succès complet de Fanny. — La cachucha. — Rentrée de Marie Taglioni dans la Sylphide. — Deux principes opposés. — La Fille du Danube. — Les sœurs Elssler à Bordeaux. — Retour à Paris ; accident de voiture. — Grave maladie de Fanny… 220 CHAPITRE VIII victoires et revers Les danseuses à l’église Notre-Dame-de-Lorette. — La statuette de Fanny par Barre fils. — Popularité de la cachucha. — Rentrée de Fanny dans le Diable boiteux. — Adieux de Marie Taglioni. — Nourrit et Duprez. — Les sœurs Elssler à Vienne en août 1837. — Les feuilletons de Théophile Gautier sur Fanny. — La Chatte métamorphosée en femme. — Premier portrait de Fanny par Th.
Il ne se permettra, je crois, jamais de discuter vos principes si vous ne l’y encouragez pas. […] Laisserez-vous battre en brèche vos plus chers principes, et si vous ne pouvez vous y résoudre, car cela est impossible à qui porte en soi la flamme de la croyance, ne regretterez-vous pas le temps perdu à repousser de vains sophismes ?
Mon ouvrage étant didactique, je dois traiter avec soin tous les objets qui peuvent concourir aux progrès de la danse, répandre de la clarté dans la démonstration des principes, et en faciliter l’application. […] C’est elle enfin qui réduira à dos principes constans et puisés dans la nature, des règles, qui jusqu’à présent, n’ont été que vagues et incertaines. […] comment réduire ces questions à des principes sûrs, si l’on n’a aucune notion de la construction physique du corps humain ? […] Pour donner des leçons utiles, il faut savoir connoitre son élève, chaque écolier demande des principes différens : ce qui convient à l’un ne convient point à l’autre ; ce qui redresse celui-ci estropie celui-la. […] Point de principes, point de règles fixes pour les bras ; c’est le goût seul qui leur assigne leurs mouvemens et leurs contours ; la nature se prête et obéit à ce goût ; elle ne refuse point les secours qu’elle peut prodiguer ; elle est esclave de la volonté ; mais que cette volonté soit sage ou extravagante, elle opère en conséquence.
Les uns aveuglés par l’amour propre imaginent être sans défauts ; les autres ferment, pour ainsi dire, les yeux sur ceux que l’examen le plus léger leur feroit découvrir ; or dès qu’ils ignorent ce que tout homme qui a quelques lumieres est en droit de leur reprocher, leurs travaux ne sont étayés sur aucuns principes raisonnés & suivis ; ils dansent moins en hommes qu’en machines ; l’arrangement disproportionné des parties s’oppose sans cesse en eux au jeu des ressorts & à l’harmonie qui devroit former un Ensemble ; plus de liaison dans les pas ; plus de moëlleux dans les mouvements ; plus d’élégance dans les attitudes & dans les oppositions ; plus de proportions dans les déployements, & par conséquent plus de fermeté ni d’à-plomb. […] J’avoue que pour y parvenir il faut une sagacité réelle, car sans réflexion & sans étude, il n’est pas possible d’appliquer les principes selon les genres divers de conformation, & les degrés différents d’aptitude ; on ne peut saisir d’un coup d’œil ce qui convient à l’un, ce qui ne sauroit convenir à l’autre, & l’on ne varie point enfin ses leçons à proportion des diversités que la nature ou que l’habitude souvent plus rebelle que la nature même, nous offre & nous présente. […] Ce principe posé, l’Artiste doit suggérer relativement aux bras des mouvements différents à ses éleves. […] On pense assez communément qu’un homme gros & trapu doit être lourd ; ce principe est vrai quant au poids réel du corps, mais il est faux en ce qui concerne la Danse, car la légéreté ne naît que de la force des muscles.
Prendre le deuxième parti, ce seroit aller contre les principes de la Religion et de la bonne morale, et se rendre l’avocat de la plus mauvaise cause ; or, tout chrétien ne doit-il pas rougir d’être l’apologiste de ce qui ne peut être défendu qu’en s’écartant des vrais principes ? […] Ce principe posé, je demande si les personnes qui vont aux danses, croient pouvoir par elles-mêmes et sans le secours de Dieu, conserver la chasteté, ou si, étant persuadées qu’elle est un don de sa miséricorde, elles se préparent aux danses par des prières qu’elles font à Dieu d’échapper aux piéges qui sont tendus de toutes parts à cette vertu ?
[Conclusion] Je pense qu’il serait inutile, pour le but que je me suis proposé, que j’entrasse dans des détails plus circonstanciés sur les éléments de l’art dont j’ai voulu simplement tracer avec rapidité les principes fondamentaux. […] Je finis en rappelant à mes lecteurs que je me suis déterminé à publier ce petit traité que pour répondre à l’empressement de quelques personnes qui ont désiré d’avoir par écrit les principes d’un exercice qu’ils ne connaissaient que par la pratique.
La joie sainte des solennités, qui, en passant de l’âme jusqu’au sens, devint bientôt moins pure, les deux sexes qu’elles rassemblaient, la nuit, si propice à la séduction, qui était le temps marqué pour la célébration de presque toutes les grandes Fêtes, plus que tout cela, peut-être le refroidissement de la ferveur, qui ne fut plus capable dès lors d’étouffer les autres mouvements, voilà quels furent les principes d’un débordement intolérable, qui dégrada des pratiques autrefois dignes de louanges.
La Danse, sur notre Théâtre, n’a plus besoin que de guides, de bons principes, et d’une lumière qui, comme le feu sacré, ne s’éteigne jamais.
Instruits des principes fondamentaux de notre art, suivons les mouvemens de nôtre ame ; elle ne peut nous trahir lorsqu’elle sent vivement ; et si dans ces instants elle entraîne le bras à tel ou tel geste, il est toujours aussi juste que correctement dessiné, et son effet est sûr. […] ils ont perdu, puisque je leur prouverai que les positions de ces deux statues, chefs-d’œuvre de l’antiquité, ne sont pas des positions adoptées dans les principes de la danse. La plus grande partie de ceux qui se livrent au théâtre, croient qu’il ne faut avoir que des jambes pour être danseur, de la mémoire pour être comédien, et de la voix pour être chanteur, en partant d’un principe aussi faux, les uns ne s’appliquent qu’à remuer les jambes, les autres qu’a faire des efforts de mémoire, et les derniers qu’à pousser des cris ou des sons ; ils s’étonnent après plusieurs années d’un travail pénible, d’être jugés détestables ; mais il n’est pas possible de réussir dans un art sans en étudier les principes, sans en connoitre l’esprit et sans en sentir les effets.
C’est en partant de ce principe, que les Prêtres se persuadaient quelquefois de fort bonne foi, que la Divinité qu’ils adoraient en dansant, les agitait intérieurement, par ces trémoussements violents, qu’ils appelaient Fureur sacrée.
L’artiste dont je parle, doit se distinguer en tenant la partie supérieure du corps bien placée, par des mouvements de bras parfaitement combinés, et par le beau fini des principes de son école. […] Ce serait pourtant à l’artiste qu’il appartiendrait de ramener le public au goût du beau, du vrai, en persistant dans l’exécution des vrais principes de l’art.
De là, passant aux folâtreries et gaîtés déréglées qui sont l’ame de la danse, les ministres protestans posent un principe trop ignoré de la plupart des chrétiens, et qu’ils ne devroient cependant jamais perdre de vue : c’est que, « quand l’homme fidèle use de la récréation, ce n’est pas tant pour le plaisir, autrement ce ne seroit pas récréation ; mais il en use pour d’autres fins meilleures et plus nécessaires, comme celles du boire et du manger » : Appliquant ce principe aux gaîtés des danses, contre lesquelles ils s’élèvent, ils disent : « Quand on voudra confronter de telles gaîtés avec les règles de la continence et de la sobriété chrétiennes, il ne se trouvera point que ce soient des choses que l’on puisse jamais accorder. […] Pour détruire ce vain prétexte, les ministres, auteurs de ce traité, font voir que des mariages qui ne se feroient que par une suite des passions excitées par les danses, sont bien plus propres à en montrer le danger et le mal, qu’à les justifier, et que de tels mariages ayant un aussi mauvais principe, ne peuvent guère être chrétiens ; mais que quand même de pareils mariages produiroient de très-grands avantages temporels, les danses qui auroient été le moyen d’y parvenir, n’en seroient pas plus légitimes. […] On peut les conduire à l’amour de la vérité par la connoissance qu’ils en ont ; et il ne faut, pour les convertir, que fortifier leur foiblesse et les soutenir contre des inclinations dont ils gémissent et dont ils ont honte : mais, lorsqu’ils accusent la vérité, au lieu de se condamner eux-mêmes, et qu’ils pèchent par principe, en supposant que le mal est un bien, et osent donner à la vérité le nom d’erreur ; il n’y a plus de remède, selon le cours ordinaire, à cette double corruption de l’esprit et du cœur ; et la Religion ne peut plus subsister parmi des hommes qui en sont ennemis et par leurs actions et par leurs sentimens. […] Ceux qui conservent une lumière plus pure, sont en si petit nombre et ont si peu d’autorité, qu’ils ne peuvent s’opposer à la chute générale des mœurs ; et qu’ils s’estiment heureux s’il leur est permis de vivre en particulier selon les maximes dont le siècle est ennemi : encore leur échappe-t-il souvent, ou par surprise ou par une lâche complaisance pour l’opinion des autres, qui a de secrètes racines dans le cœur, de louer ce qui ne mérite que des larmes, et d’approuver ce que Dieu condamne. » Cette réflexion si lumineuse ne peut-elle pas s’appliquer fort naturellement aux danses, qui paroissent à beaucoup de gens un divertissement permis, et dont en conséquence ils prennent la défense, parce que, pour me servir des paroles de ce savant auteur, elles contribuent à la douceur et aux délices de la vie , et que volontiers on appelle bon tout ce qui plaît, pourvu qu’il n’ait rien de grossièrement mauvais, quoiqu’il soit réellement condamnable selon les principes de la bonne morale, et au jugement de la vérité éternelle ?