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27. (1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur l’artiste »

Je le regarde comme le pinceau du peintre, qui trace les figures sur la toile, qui les crée en effet, mais qui est toujours guidé par des inspirations précédentes. […] On ne regardera plus les hommes les plus rares comme des individus presqu’inutiles, peut-être même s’imaginera-t-on un jour qu’ils peuvent penser, vivre, agir comme le reste des hommes. […] Au reste soit que la vérité triomphe enfin de l’erreur, soit que le préjugé plus puissant demeure le tyran perpétuel des opinions contemporaines, que nos illustres modernes se consolent et se rassurent : les ouvrages du dernier siècle sont regardés maintenant sans contradiction, comme des chefs-d’œuvre de la raison humaine, et il n’est pas à craindre qu’on ose prétendre qu’ils ont été faits sans enthousiasme : tel sera le sort, dans le siècle prochain, de tous ces divers monuments glorieux aux Arts et à la patrie, qui s’élèvent sous nos yeux. […] Toute leur conduite est en général si peu ressemblante avec ce que nous regardons comme les manières d’être, adoptées dans la société, qu’on se trouve porté, presque sans le vouloir, à les regarder comme des espèces singulières ; ce n’est rien moins qu’à la raison qu’on attribue ce qu’on appelle leurs bizarreries ou leurs écarts, de-là tous les préjugés établis, et que l’instruction a bien de la peine à détruire.

28. (1803) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome II [graphies originales] « Lettre XVIII. » pp. 185-200

Il pouvoit être regardé comme le légataire de ces hommes rares, qui firent jadis l’admiration d’Athènes et de Rome. […] Cet acteur vraiment magique m’avoit réconcilié avec les monologues, et les a parte ; je les avois regardés comme le triomphe des contre-sens de la plupart de nos acteurs ; mais ne pourroit-on pas reprocher à quelques-uns de nos auteurs l’abus qu’ils en ont fait, ou la négligence qu’ils ont mise à travailler ces morceaux ? […] Je les regarde comme le trop plein d’une âme fortement agitée par quelques passions violentes, ou par de grands intérêts. Dans ce moment où l’homme égaré marche, profère quelques mots sans suite, tombe dans le silence et l’abattement, en sort avec désespoir, articule des phrases entrecoupées, verse quelques larmes, double le pas sans savoir où il va, s’arrête, lève les bras au ciel, exprime, par un morne silence, et le geste de la douleur, combien son àme est déchirée ; une telle situation, dis-je, annonce le désordre de la raison, et ne peut être regardée que comme le délire de la passion. […] Son talent est son ouvrage ; il ne doit sa sublimité qu’à lui-même, et je le regarde comme le créateur de l’art de la déclamation en France.

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