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70. (1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Paralele. DE. LA PEINTURE. ET DE. LA POESIE. » pp. 213-269

Il peignit un Prince avec de grandes oreilles d’âne, comme on peint Midas, assis sur un trône, environné du soupçon & de l’ignorance : en cet état il tend de loin la main à la calomnie, qui s’avance vers lui, le visage tout en feu, avec des attraits & des charmes extraordinaires ; elle tient de la main gauche un flambeau, & traîne de l’autre par les cheveux un jeune innocent, qui éléve les mains au Ciel pour implorer son assistance ; devant lui marche l’envie, au visage havre & aux yeux louches, accompagnée de la fraude & de l’artifice, qui parent & ajustent la calomnie pour la rendre plus agréable ; après vient le repentir sous la figure d’une Dame vêtue de deuil, avec ses habits tout déchirez, qui tourne la tête vers la vérité, & pleure de regret & de honte d’avoir servi la calomnie pour opprimer l’innocent. […] On peut encore accorder cet avantage à la Peinture, qu’elle vient à nous par le sens le plus subtil, le plus capable de nous ébranler & d’émouvoir nos passions, je veux dire par la vûe ; car les choses, dit Horace, qui entrent dans l’esprit par les oreilles, prennent un chemin bien plus long que celles qui entrent par les yeux, qui sont des témoins plus fidéles & plus surs que les oreilles. […] Car on tire des couleurs une harmonie par les yeux, comme on tire des sons par les oreilles. […] Ceux mêmes dont la profession étoit de persuader, ont souvent appelé la Peinture à leur secours pour toucher les cœurs, parce que l’esprit, comme nous l’avons fait voir, est plutôt & plus vivement ébranlé par les choses qui frappent les yeux, que par celles qui entrent par les oreilles ; les paroles passent & s’envolent, comme on dit, & les éxemples touchent : c’est pour cela qu’au rapport de Quintilien qui nous a donné les régles de l’Eloquence, les Avocats dans les causes criminelles exposoient quelquefois un tableau qui représentoit l’événement dont il s’agissoit, afin d’émouvoir le cœur des Juges par l’énormité du fait.

71. (1803) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome I [graphies originales] « Lettres sur la danse. — Lettre X. » pp. 130-144

Les oreilles n’ont point été flattées de son jeu, ses sons n’ont point touché, mais les yeux se sont amusés ; il a démanché avec adresse ; ses doigts ont parcouru le manche avec légèreté ; que dis-je ? il a été jusqu’au chevalet ; il a accompagné ces difficultés de plusieurs contorsions qui étoient autant d’invitations, et qui vouloient dire ; Messieurs, regardez moi, mais ne m’écoutez pas : ce passage est diabolique ; il ne flattera pas votre oreille, quoiqu’il fasse grand bruit ; mais il y a vingt ans que je l’étudie.

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