Leurs Théâtres furent fermés ; mais les ordres de l’Empereur furent mal exécutés, malgré les rigueurs qu’on en avait à craindre. […] L’humeur et non l’amour de l’ordre avait dicté ses deux Décrets. […] Il fallait que Trajan se servît du pouvoir qu’il s’était acquis sur l’esprit et le cœur de ses sujets, pour purger ce Spectacle de toutes les indécences qui le déshonoraient, pour y ramener le bon ordre, pour rendre les Pantomimes plus circonspects dans leurs plaisanteries, plus retenus dans leurs tableaux ; et, s’il était possible, plus habiles dans leur art.
On sçait aussi qu’il n’est pas permis de démasquer un masque au bal, quelque personne que ce puisse être : ce qui fait connoître que ceux qui ont établi le bal masqué, n’ont pas manqué d’y joindre quelques préceptes, & des régles pour y conserver un ordre convenable aux mœurs de la nation. Le masque a même la liberté de prendre la Reine du bal pour danser, quand ce seroit une Princesse du Sang, quoique non masquée ; comme je l’ai vû arriver dans un bal que le Roi donnoit à Versailles, par un masque déguisé en paralitique, & envelopé d’une vieille couverture, qui eut la hardiesse d’aller prendre Madame la Duchesse de Bourgogne ; elle eut aussi la complaisance de l’accepter, pour ne pas rompre l’ordre du bal : on sçut depuis que ce masque n’étoit qu’un simple Officier de la Cour ; cependant il n’en fut point blâmé, parce que c’est une licence que le bal masqué autorise. […] Mais les Suisses qui avoient ordre de ne laisser entrer les masques que par billets, refuserent l’entrée à la bande du Roi, quoiqu’il fût une heure après minuit. […] Comme la Salle est ornée superbement, avec une nombreuse simphonie, & que l’ordre y est fort bien observé, outre la défense du port d’armes aux masques ; ce divertissement s’est trouvé si fort au goût du Public & des Etrangers, que chaque jour de bal a produit jusqu’à mille écus, à ceux qui en ont le privilege. […] Je me souviens à propos du Carnaval, d’une critique que l’on trouve dans le cinquiéme tome des Mémoires de l’Espion Turc, sur l’usage que tous les Catholiques font de ce tems de réjouissance : il dit que ceux qui professent la Religion Romaine, ont un mois dans l’hyver où la plûpart du peuple de l’un & de l’autre séxe, même des gens du premier ordre, se masquent, les uns pour courre le bal la nuit, d’autres pour courre le jour dans les rues, comme des fous ; & que leur folie finit le Mercredi des Cendres, où tout le peuple va le matin dans les Eglises, se mettre à genoux devant des Prêtres qui leur font une croix au front avec une cendre qui a la vertu de les remettre dans leur bon sens.