D’un coté, il ne voit que des antres et des rochers affreux, de l’autre, il apperçoit les portes de l’Enfer ; il n’entend que des plaintes lamentables, que des voix gémissantes, que des cris de rage et de désespoir, poussés par les ombres criminelles. […] Orphée bientôt se trouve environné par toutes ces ombres heureuses. Les accords de sa lyre retracent aux unes, les douceurs de l’Amour, aux autres les avantages de la gloire ; et chaque ombre se sent, pour ainsi dire, ramenée à son premier penchant, par l’expression vraie qu’Orphée donne à ses accens ; Les jeunes ombres se rassemblent et forment des danses autour de lui. […] Un enfant, et cet enfant, c’est l’Amour, transformé en ombre le conduit près d’un berceau couvert de roses et de jasmin, sous le quel est une ombre assise, dans une attitude, qui exprime l’abattement et la tristesse ; cet enfant engage Orphée à se servir de sa lyre ; Euridice écoute, se lève, marche vers Orphée ; elle s’arrête, s’avance, recule et trésaille de joye. […] Toutes les ombres se réunissent près des epoux et forment un grouppe général qui exprime à la fois l’étonnement l’admiration et le bonheur.
Les ombres levèrent les épaules, et se mirent toutes à rire ; je trouvai que les morts étoient tout-aussi indécents que les vivants ; cette familiarité m’enhardit ; et je les priai de me dire quels étoient les moyens heureux, dont ils se servoient pour exprimer intélligiblement le passé et le futur. Ces ombres dont l’éloquence ne résidoit que dans les gestes, et dans le jeu varié de la main et des doigts, me répondirent dans leur langage ; je ne compris rien aux mouvemens de leurs bras, et de leurs mains ; je m’apperçus de la trivialité, et de l’insignifiance de leurs gestes. Une ombre costumée à la Romaine me tira d’embarras ; c’étoit celle de Roscius, célèbre comédien. […] Ces gestes de convention, ce langage muet, étoit entendu de toutes les classes de citoyens ; les ombres que tu viens de consulter, en te répondant dans leur langage, ont employé le moyen de te désigner le passé, le présent, et le futur. […] L’ombre ne me repondit rien, et disparût.