Lorsque l’œil et l’oreille ces agens actifs de nos goûts et de nos sensations, se trouvent frappés en raison inverse des prodiges que l’imagination attendoit, ils se ferment, et nous font éprouver bientôt le dégoût. […] Ils ont encore oublié qu’ils ne devoient opérer que pour eux, enfin, ils ont abandonné leur langage favori, pour adopter un jargon étranger, que le goût et l’esprit n’entendent pas. […] Ce n’est pas avec des phrases insignifiantes, et quelques mots techniques, mal employés, qu’ils parviendront à tracer un bon plan ; sans goût et sans imagination on n’arrive à rien de beau. […] Je finirai cette lettre en avançant que rien ne prête tant au goût, à l’imagination et à l’invention, que le plan d’une grande fête. […] le tout consiste à savoir les employer avec goût, et à ne point en abuser par des prodigalités folles ou des choix déraisonnables.
Dauberval, mon élève, homme rempli de goût se déclara l’apôtre zélé de ma doctrine et n’en fut point le martyr ; il composa pour l’opéra de Silvie un pas de deux plein d’action et d’intérêt ; ce morceau isolé offrit, l’image d’une scène dialoguée, dictée par la passion, et exprimée par tous les sentiinens que l’amour peut inspirer. […] Cet art enfant du goût et de l’imagination, peut-il être exercé par ceux qui en manquent ? […] Ces moyens qui sont à la disposition du maître de ballets seroient insuffisants, si le goût ne les distribuoit point avec ordre et économie ; il doit être peintre ; mais comment parviendra-t-il à faire de grands tableaux, si les crayons et les couleurs lui manquent ? Il ne suffit pas que le maître de ballets sache parfaitement la danse, il faut qu’il ait encore le talent d’associer aux mouvemens des jambes, les mouvemens des bras ; c’est le goût et la bonne grâce qui en fixent les arrondissemens, règlent et déterminent les effacemens du corps, leurs oppositions avec celles de la tête. […] Cette harmonie intime de mouvemens de toute la machine ne peut être le résultat des principes de l’école ; l’élève est, si j’ose m’exprimer ainsi, un bloc que les principes dégrossissent ; ils l’ébauchent, mais le goût seul, je le répète, finit et donne à la figure les contours et la grace qu’elle doit avoir pour être vraiment belle.