Il est si naturel, son expression a tant de vérité, ses gestes, sa physionomie & ses regards sont si éloquents & si persuasifs, qu’ils mettent au fait de la Scene ceux mêmes qui n’entendent point l’Anglois ; on le suit sans peine ; il touche dans le Pathétique ; il fait éprouver dans le Tragique les mouvements successifs des passions les plus violentes, & si j’ose m’exprimer ainsi, il arrache les entrailles du Spectateur, il déchire son cœur, il perce son ame, & lui fait répandre des larmes de sang. […] Garrick possede ; talent d’autant plus estimable, qu’il empêche l’Acteur de s’égarer & de se tromper dans les teintes qu’il doit employer dans ses Tableaux ; car on prend souvent le froid pour la décence, la monotonie pour le raisonnement, l’air guindé pour l’air noble, la minauderie pour les graces, les poumons pour les entrailles, la multiplicité des gestes pour l’action, l’imbécillité pour la naïveté, la volubilité sans nuances pour le feu, & les contorsions de la physionomie pour l’expression vive de l’ame. […] leurs gestes, leurs attitudes sont pleins de graces, les contours en sont admirables. […] La déclamation étoit souvent partagée entre deux personnes, l’un faisoit les gestes, tandis que l’autre déclamoit. […] Quoi qu’il en soit, (& les sentiments à cet égard sont uniformes) les anciens parloient avec les mains ; leurs doigts étoient, pour ainsi dire, autant de langues qui s’exprimoient avec facilité, avec force & avec énergie ; le climat, le tempérament & l’application que l’on apportoit à perfectionner l’Art du geste, l’avoient porté à un degré de sublimité que nous n’atteindrons jamais si nous ne nous donnons les mêmes soins qu’eux pour nous distinguer dans cette partie.
Ils entourent par ses ordres la Vérité, la déguisent d’une manière agréable, lui font non-seulement changer d’habits, mais encore de geste, de maintien, de langage.