Comme ce n’est que par le plus ou le moins de force, que vous possedez dans le cou de pied qui vous fait élever : ainsi ce pas dépend du cou de pied pour le faire avec legereté ; pour le faire en avant, je suppose que vous ayez le pied gauche devant & le corps posé dessus, la jambe droite preste à partir dans le moment que vous pliez sur la jambe gauche, la droite s’aproche auprès, & lorsque vous vous relevez ; ce qui se fait par la force du pied gauche, qui en s’étendant avec force vous en rejette sur la droite, parce qu’elle acheve de se passer devant, lorsque vous vous relevez en tombant sur la pointe du pied droit, & ne poser son talon qu’après, ce qui termine ce pas : ainsi vous pouvez en faire plusieurs de suite d’un pied, comme de l’autre en observant la même regle ; ce qui donne beaucoup de facilité & de legereté. […] On les fait encore d’une autre maniere, en ce qu’il faut prendre plus de force pour les sauter ; ce qui se fait en se relevant plus vîte, & étendre fort les jambes, en les battant l’une contre l’autre, en retombant sur le pied contraire à celui qui a plié, pour lors il change de nom & on l’appelle demie cabrioles ; mais comme c’est un pas de Ballet, & que je n’entreprends dans ce Traité que de donner la maniere de faire les pas qui sont en usage dans les danses de Ville, c’est ce qui m’engage de ne pas embarasser l’Ecolier des pas que l’on aprend les derniers, comme étant ce qui donne la perfection aux danseurs qui sont nez avec toute la belle disposition, & même à ceux qui en font leur principale occupation.
Ces deux défauts diamétralement opposés l’un à l’autre, prouvent avec plus de force que tous les discours, que les leçons qui conviennent au premier seroient nuisibles au second, & que l’étude de deux Danseurs aussi différents par la taille & par la forme ne peut être la même. […] Au reste, Monsieur, ce que les Danseurs jarretés perdent du côté de la force, ils semblent le regagner du côté de l’adresse. J’ai remarqué qu’ils étoient moëlleux, brillants dans les choses les plus simples, aisés dans les difficultés qui ne demandent point d’efforts, propres dans leur exécution, élégants dans leurs tableaux, & que leur percussion est toujours opérée avec des graces infinies, parce qu’ils se servent & qu’ils profitent & des pointes & des ressorts qui font mouvoir le coudepied : voilà des qualités qui les dédommagent de la force qu’ils n’ont pas, & en matiere de Danse je préférerai toujours l’adresse à la force. […] Ils sont gauches, ils ignorent l’Art de dérober leurs situations par des temps simples qui n’exigeant aucune force, donnent toujours le temps d’en reprendre de nouvelles ; ils ont de plus très-peu d’élasticité & percutent rarement de la pointe. […] On pense assez communément qu’un homme gros & trapu doit être lourd ; ce principe est vrai quant au poids réel du corps, mais il est faux en ce qui concerne la Danse, car la légéreté ne naît que de la force des muscles.