Mais comme ce pas ne convient pas à tout le monde, parce qu’il faut posseder beaucoup de force dans le cou-de pied ; c’est pourquoi on en a adouci l’usage, en ne faisant faire que deux mouvemens, cette maniere est plus facile, & c’est celle que je vais décrire.
Toutes les deux sont fondées sur la force de l’imagination pour bien inventer leurs productions, & sur la solidité du jugement pour les bien conduire : elles ne sçavent choisir que des sujets qui soient dignes d’elles, & se servir des circonstances & des accidens qui les font valoir ; comme elles sçavent rejetter tout ce qui leur est contraire, ou qui ne mérite pas d’être représenté. […] La Peinture a le même objet, mais elle y va d’une maniere bien plus étendue ; car on ne peut nier qu’elle n’imite Dieu dans sa toute-puissance, c’est-à-dire dans la création des choses visibles : le Poëte peut bien en faire la description par la force de ses paroles, mais les paroles ne seront jamais prises pour la chose même, & n’imiteront point cette toute-puissance qui d’abord s’est manifestée par des créatures visibles ; au lieu que la Peinture avec un peu de couleurs & comme de rien, forme & représente si bien toutes les choses qui sont sur la terre, sur les eaux, & dans les airs, que nous les croyons véritables ; car l’essence de la Peinture est de séduire nos yeux, & de nous surprendre par cent objets différens. […] Mais il faut bien un autre art pour exécuter la pensée d’un tableau, que pour déclamer une Tragédie : pour celle-ci, il y a peu de préceptes à ajouter aux talens extérieurs de la nature ; mais l’exécution de la Peinture demande beaucoup de réfléxion & d’intelligence : il suffit presque uniquement au déclamateur de s’abandonner à son talent, & d’entrer vivement dans son sujet : le Comédien Roscius s’en acquitoit avec tant de force, que pour cela seul il méritoit, dit Cicéron, d’être fort regreté des honnêtes gens, ou plutôt de vivre toujours. Mais le Peintre ne doit pas seulement entrer dans son sujet quand il l’exécute ; il faut encore qu’il ait, comme nous l’avons déja dit, une grande connoissance du Dessein & du coloris, & qu’il exprime finement les différentes phisionomies & les différens mouvemens des passions, Un Poëte peut-il mieux exprimer par un Poëme épique ou dramatique en cinq actes, les Conquêtes d’Aléxandre sur Darius, que l’a fait M. le Brun par la représentation des cinq tableaux qu’il nous a donnez, où l’on voit d’un coup d’œil toute l’étendue de l’action exprimée par la force de l’imagination de cet excellent Peintre. […] Quintilien avoue que la Peinture pénétre si avant dans notre esprit, & qu’elle remue si vivement nos passions, qu’il paroît qu’elle a plus de force que tous les discours du monde.