Mais ce discours qu’on a tenu pendant vingt ans sur des sujets évidemment supérieurs à ceux qu’on exaltait à leur préjudice, ce préjugé qui nous est démontré injuste aujourd’hui à tous égards, aurait cependant été funeste à l’Art, s’il avait retenu les Dupré, les Sallé, les Camargo, dans les bornes étroites de la carrière qu’avaient parcourue leurs prédécesseurs.
Des gens d’esprit et de goût m’ont assuré, que la partie dansante de ces deux compositions, étoit brillante et remplie de charmes ; mais que l’action pantomime et l’expression qui en est l’âme, n’avoient pu se déployer dans deux sujets également mal-choisis, totalement dénués d’intrigues et incapables de fournir au compositeur de grands traits et d’heureuses situations. […] Ils auroient du se contenter de blâmer le mauvais choix du compositeur, lui reprocher la trop grande extension qu’il avoit donnée à des sujets pauvres, foibles, froids et languissans, lui prouver que les épisodes dont il les a farcis, n’ont pu les réchauffer, et que les efforts multipliés de la danse n’ont pu suspendre ni éloigner leur chûte.
Mon sujet m’entraîne indispensablement dans cette discussion. […] Dans les premiers temps, ils ont pris les sujets des Grecs, ont changé la division, et l’ont faite en trois Actes. […] L’Histoire était le champ fertile que ce grand Poète avait préféré ; et c’est-là qu’il allait choisir ses sujets.
Un poète de nos amis trouva dans une légende allemande, pour cette blonde Italienne aux prunelles de vergiss-mein-nicht, un sujet de ballet qu’il confia à M. de Saint-Georges, l’homme d’esprit et de tact à qui l’Académie royale de musique et de danse doit être doublement reconnaissante. […] Dès sa plus tendre jeunesse, Carlotta montra pour la danse la vocation la plus décidée, et dès l’âge de sept ans, elle était engagée au théâtre de Milan, on elle exécutait des pas de premier sujet. […] Du bout de son sceptre, elle trace dans l’air des cercles cabalistiques, elle évoque ses sujettes des quatre coins du vent ; — ses sujettes, car elle n’a pas de sujets.
Mais il me faut quitter ce beau domaine si longtemps négligé de la danse masculine ; peut-être, un jour, reprendrai-je le sujet avec plus d’ampleur.
Le sujet : un imbroglio italien où des grotesques de Callot bernent des masques échappés du Ridotto vénitien, où travestissements burlesques, quiproquos bouffons, déconvenues d’amoureux transis s’enchevêtrent et se dénouent — où la mort même, matée, arbore un costume de Pietro Longhi et accompagne sur son violon macabre une danse de Mme Tchernitcheva, danse mélancolique où le divin sourire de Scarlatti se mouille et s’alanguit.
Mais que fait-on de Mlle Alice Vronska — qui, si je ne me trompe fort, a déjà paru à la Salle Favart — avec sa grande allure de sujet classique et je ne sais quel air de noblesse et d’amertume sur son beau profil ?
Elle est sans aucun doute un fort bon sujet, très sûr de ses moyens.
Si je voulais donner à mon sujet une importance trop étrangère au but infiniment plus restreint que je me suis prescrit, il me serait aisé, Madame, de vous retracer le point étonnant de perfection où la danse a rapidement été portée de nos jours.
J’ai écrit sans prétention, plus occupé de mon sujet que du soin de travailler mon style.