Alexandre par des peintures vivantes, veut augmenter l’enthousiasme de l’Artiste, il ordonne à Campaspe de marcher et de déployer ses Graces, elle se pose dans les attitudes les plus variées et les plus pittoresques : chaque mouvement exprime un sentiment ; elle réunit les graces à la volupté ; les traits de sa figure et le feu de ses regards prêtent l’ame et la vie aux positions de son corps, toutes ces peintures délicieuses enchantent Apelles, et portent à son cœur le trouble et l’émotion. […] Roxane qui a des droits sur le cœur d’Alexandre, paroît avec l’empressement que lui donnent les soupçons dont son âme est agitée, prête à oublier ce qu’elle doit à son maître, elle cherche d’un œil inquiet et curieux, la rivale qu’elle redoute ; elle l’apperçoit et lance sur elle des regards qui expriment tous les sentimens que lui inspire sa jalousie.
En outre, elle n’avait pas sa pareille pour saluer le public, après un écho applaudi, et pour le remercier de la bouche et du regard, en plaçant sa main sur son cœur. […] Figurait-elle dans un pas de trois ou de quatre, après son écho, la scène n’appartenait qu’à elle : elle se campait résolument sur le premier plan, et cherchait tellement à accaparer les regards qu’il n’en restait rien pour les autres.
Un champ plus vaste et moins stérile s’offre aujourd’hui à vos regards.
L’éclat de l’or, des diamans, et celui de la beauté réunis aux grâces et aux talens, offroient aux regards enchantés le tableau le plus pompeux, le plus piquant et le plus voluptueux.
Si j ajoute à toutes ces merveilles la variété des traits de la physionomie, leur mobilité à se ployer, et à se déployer pour exprimer énergiquement les sensations, et les affections de l’âme ; si je parle du langage des yeux, du feu qui en animant les regards, embrase, éclaire et vivifie tous ses traits, et les grouppes variés, que les passions y impriment ; si je joins à tant de facultés sublimes la variété des sons et des infléxions de la voix, ses modulations naturelles, la finesse de l’oreille, son tact et sa sensibilité ; enfin les gestes éloquents qui en résultent, et forment un langage universel, on trouvera dans cette richesse de moyens, les principes innés de la danse, et de la pantomime sans règle, de la musique, et de la mélodie sans étude. […] Ce fut à Athènes qu’ils déployèrent, à l’envi, leur richesse, et leur magnificence, ce fut dans cette ville si justement célébrée, que des hommes supérieurs exposèrent aux regards d’un peuple passionné les chefs-d’oeuvre de l’esprit, de l’imagination, et du génie ; ils embéllirent cette ville en y élevant des temples, des palais, des théatres et des colonnes.
Lorsque les Danseurs animés par le sentiment, se transformeront sous mille formes différentes avec les traits variés des passions ; lorsqu’ils seront des prothées, & que leur physionomie & leurs regards traceront tous les mouvements de leur ame ; lorsque leurs bras sortiront de ce chemin étroit que l’école leur a prescrit ; & que parcourant avec autant de grace que de vérité un espace plus considérable, ils décriront par des positions justes les mouvements successifs des passions ; lorsqu’enfin ils associeront l’esprit & le génie à leur Art ; ils se distingueront ; les récits dès-lors deviendront inutiles ; tout parlera, chaque mouvement dictera une phrase ; chaque attitude peindra une situation ; chaque geste dévoilera une pensée ; chaque regard annoncera un nouveau sentiment ; tout sera séduisant parce que tout sera vrai, & que l’imitation sera prise dans la nature.
Il voit tour à tour dans les regards de cette foule de peuple qui l’écoute, la surprise, l’admiration et la joie.
La face, pareille à un masque au relief très bas, reste impassible ; le regard fermé, absent.
Leurs pas, leurs regards, leurs mouvements étaient si modestes, si remplis d’agréments et de décence, qu’elles ne faisaient jamais naître l’amour, sans inspirer un nouveau goût pour la vertu. « Toutes les Danses des Lacédémoniens, dit Plutarque, avaient, je ne sais quel aiguillon qui enflammait le courage, et qui excitait dans l’âme des Spectateurs un propos délibéré, et une ardente volonté de faire quelque belle chose47. » Telle est dans un État la force de l’éducation établie sur de bons principes, lorsqu’elle est générale, et que des exemples contagieux n’en dérangent point les effets48.
Tant qu’on verra des hommes supérieurs dans leur Art, qui fixeront sur eux l’attention des autres ; on verra aussi l’orgueil et l’envie s’épuiser en efforts pour détourner les regards de la multitude et pour la forcer, s’il leur est possible, à briser l’idole qu’elle s’est choisie.