Donnons quelques exemples capables de développer l’emploi de ces différentes articulations relativement aux mouvemens qui constituent le méchaisme de l’art. […] L’articulation qui coopère aux mouvemens de la tête dans toutes les positions, se nomme pivot. […] Les mouvemens que la cuisse décrit dans tous les temps variés de la danse déterminent tous ceux de la jambe et fixent la position des pieds ; ces mouvemens ne sont opérés que par le secours de la hanche, c’est à dire, par l’articulation de cette partie qui est composée de l’os nommé fémur et d’un des os du bassin. […] Ce n’est donc qu’avec un travail très-laborieux et un exercice violent que l’on peut parvenir à forcer, pour ainsi dire, le jeu de cette partie, pour lui faire opérer, en apparence, les mouvemens de rotation ; mouvemens qu’elle ne peut avoir aussi parfaitement que le bras, si l’art, l’application et l’exercice continuel ne la forcent, pour ainsi dire, a l’obéissance. […] J’ai déjà dit que les angles doivent être proscrits des mouvemens des bras ; il est nécessaire de dire qu’ils doivent également l’être de tous les mouvemens que la cuisse et la jambe décrivent de concert ; or tous ces mouvemens, tous ces deployemens, tous ces ronds de jambe devant tracer perpétuellement des cercles, ne peuvent parvenir à dessiner cette figure sans le secours de la hanche, puisqu’elle seule jouit de la faculté de se mouvoir et de tourner dans tous les sens.
Des differens mouvemens des bras. On compte dans les bras trois mouvemens de même que dans les jambes, & qui sont rélatifs l’un à l’autre : Sçavoir, celui du poignet, celui du coude, & celui de l’épaule ; mais il faut qu’ils s’accordent avec ceux des jambes, en ce que, si vous faites des demi-coupez en des tems & ouvertures de jambes, & autres pas qui se prennent plus du cou-de-pied que du genou, ce sont les poignets qui agissent, au lieu que si ce sont des pas fort pliez, comme pas de Bourée, tems de Courante, pas de Sissonne, Contretems & autres pas qui demandent du contraste ou de l’opposition, pour lors c’est le coude qui agit, ou du moins qui est le plus apparent ; parce que l’on ne doit pas plier le coude, sans que son mouvement soit accompagné de celui du poignet : ainsi du cou-de-pied & du genou, qui ne peut finir son mouvement sans que l’on soit élevé sur la pointe du pied, qui par consequent est le cou-de-pied qui l’acheve. […] Ces mouvemens d’épaule se manifestent encore dans les oppositions, en ce que les bras étant étendus, l’épaule s’efface en arriere : par exemple, si vous passez à côté de quelqu’un vous effacez l’épaule. Mais pour en donner une facile intelligence, je vais expliquer dans les Chapitres suivans, la maniere de prendre les mouvemens des poignets separément de ceux des coudes, afin que l’on en connoisse la difference, & que l’on puisse parvenir à cette précision de grace que la danse demande.
Discours sur les mouvemens en general. Comme le plus essentiel pour bien danser est de sçavoir bien prendre ses mouvemens ; pour les faire justes, il faut bien les connoître, & pour les bien connoître il faut en sçavoir le mobile ; c’est ce que je vais tâcher de faire comprendre, suivant les regles de l’art. Il y a trois mouvemens depuis la ceinture jusqu’aux pieds, qui est celui de la hanche, celui du genoüil, & celui du cou-de-pied ; c’est de ces principaux mouvemens que l’on forme tous les differens pas de danse. […] Le mouvement du genoüil est different de celui-ci, parce qu’il n’est dans sa perfection qu’autant que la jambe est étenduë & la pointe basse, ce qui se voit dans les demi-coupez, le genoüil se plie & la pointe se leve un peu, mais lorsque vous passez le pied & que vous vous élevez, c’est le cou-de-pied qui perfectionne ce pas ; ainsi le mouvement du genoüil est inseparable du cou-de-pied : celui de la hanche est très-different, son mouvement n’est pas si apparent en ce qu’il est plus caché, néanmoins c’est elle qui conduit & dispose des autres mouvemens, puisque les genoux ni les pieds ne se peuvent tourner si les hanches ne sont tournées d’abord, ce qui est incontestable, puisqu’elle est superieure aux autres jointures ; il se fait des pas où il n’y a que la hanche qui agit comme dans les battemens terre à terre, les entrechats & les cabrioles qui sont des pas de Ballets, ou lorsqu’ils se font en l’air, il n’y a que les hanches qui agitent les jambes, parce que pour les faire dans leur perfection elles doivent être étenduës : ainsi le cou-du-pied ni les genoux ne se meuvent pas ; mais comme je n’ai entrepris que de donner l’instruction de faire les differens pas des danses de ville, c’est ce qui m’engage de ne me pas étendre sur ces pas qui sont d’une plus grande execution.
Les bras de ce pas sont des moins embarrassans, & la raison en est facile à comprendre, comme je vais vous l’expliquer en peu de mots ; ce pas se fait en place & ne marche pas, il ne fait point non plus de grands mouvemens qui demanderoient beaucoup de force : ce n’est à proprement parler qu’un jeu de cou-de-pied qui engage les autres jointures à faire aussi quelques mouvemens : ainsi dans les bras ce ne sont que les poignets qui s’émouvent ; Sçavoir une fois de bas en haut, & l’autre de haut en bas. […] Les Jettez sont encore de ces pas qui se font par l’articulation du cou-de-pied : c’est pourquoi il n’y a que les poignets qui agissent : par exemple, vous faites un Jetté du pied droit & un du gauche, en ce que l’on en fait deux de suite, pour la valeur d’un autre pas, les deux emplissant une mesure à deux tems : de sorte qu’en les commençant du droit, vous prenez seulement un petit mouvement des poignets de haut en bas, & les bras demeurent étendus dans le cours du second pas ; mais comme ces deux pas se succedent l’un à l’autre, & que ce sont des mouvemens très-legers, les bras par consequent ne se doivent pas tourmenter. Quand vous faites vos jettez en arriere ; c’est la même chose pour les bras, en observant sur tout d’en prendre les mouvemens avec douceur, pour ne point déranger le haut du corps de cet air gracieux qu’il doit avoir.
L’action en matière de danse est l’art de faire passer par l’expression vraie de nos mouvemens, de nos gestes et de la physionomie, nos sentimens et nos passions dans l’ame des spectateurs. […] Les passions sont les ressorts qui font jouer la machine ; quels que soient les mouvemens qui en résultent, ils ne peuvent manquer d’être expressifs. […] Que les maîtres de ballets se persuadent que j’entends par gestes les mouvemens expressifs des bras, soutenus par les caractères frappans et variés de la physionomie. […] Ce mélange innombrable de pas enchainés plus où moins mal, cette exécution difficile, ces mouvemens compliqués, ôtent, pour ainsi dire, la parole à la danse, plus de simplicité, de douceur et de moëlleux dans les mouvemens procureroient au danseur la facilité de peindre et d’exprimer, il pourroit se partager entre le mécanisme des pas et les mouvemens qui sont propres à rendre les passions ; la danse alors délivrée des petites choses, pourroit se livrer aux plus grandes. […] Mais ces derniers n’ont ils pas les gestes, les attitudes, les pas et la musique, que l’on doit regarder comme l’organe et l’interprète des mouvemens successifs du danseur ?
De la maniere de faire les bras avec les Coupez de mouvemens. […] C’est pourquoi, lorsque vous prenez votre premier pas qui est un demi-coupé fort soûtenu dans ce même tems, vous laissez tourner vos deux bras un peu en dessous, & vous faites un demi mouvement des poignets, & des coudes en commençant de bas en haut : ce qui doit être accompagné aussi d’une petite inclination du corps & de la tête imperceptible & sans paroître affectée ; mais lorsque vous prenez votre second mouvement qui est le jetté échapé, en commençant votre plié, vos bras s’étendent, & dans le même moment ils prennent un petit mouvement de l’épaule, en se baisant & en se relevant, le corps se redresse de même que la tête qui doit se retirer en arriere ; ce qui lui donne un port majestueux, & fait une liaison parfaite de tous les mouvemens, tant des jambes & des bras que de la tête & du corps. Quant à ceux que l’on fait de côté, quoique les mouvemens des bras se prennent à peu près de même, il y a cependant quelques petites observations à faire, qui sont un peu differentes ; Sçavoir, lorsque vous prenez votre demi-coupé (soit du pied droit) comme il se croise devant le gauche à la 5e. position, cela vous oblige pour vous assujetir en quelque façon à la regle de l’opposition, d’effacer un peu l’épaule droite, & de laisser venir un peu aussi la gauche en devant qui par consequent fait cette sorte d’opposé au pied droit, sans néanmoins vous distraire de faire ces mouvemens de bras de bas en haut ; mais les laisser un peu baissés en prenant votre second mouvement, & les relever en le finissant, comme aussi de faire une demie inclination du corps, & un petit baissement de tête, en observant pourtant que si c’est du côté droit que vous alliez, la tête doit aussi s’y tourner à demi.
De tous les mouvemens qui se font en dansant, c’est l’opposition ou contraste du bras au pied qui nous est la plus naturelle, & à laquelle on fait le moins d’attention. […] & 7. quoique j’ai fait remarquer que ces mouvemens se doivent faire ensemble, je repete une seconde fois, que ces mouvemens se doivent prendre avec beaucoup de douceur & de suite, pour en rendre l’execution plus facile, & je conseillerois de vous presenter devant un miroir, & là d’y conduire vos bras de la maniere que je viens de vous le montrer, pour le peu de discernement & de goût que vous ayez, la glace vous fera d’abord appercevoir des fautes que vous y ferés, & par consequent vous vous en corrigerez. Ce sont tous les moyens les plus faciles & les plus courts, que je puisse vous fournir pour faire les mouvemens des bras avec la grace & la précision que cet Art le demande.
Il faut, pour bien danser, que le corps soit ferme et tranquille, qu’il soit immobile et inébranlable dans le temps des mouvemens des jambes. […] On peut être très dur et saccader tous les mouvemens, en pliant bas, comme en ne pliant pas. La raison en est simple, naturelle et évidente, lorsque l’on considère que les temps et les mouvemens du danseur sont exactement subordonnés aux temps et aux mouvemens de la musique. […] C’est cette harmonie rare dans tous les mouvemens, qui à mérité au célèbre Dupré, le titre de dieu de la danse. […] Ce charme, qui nait de l’harmonie des mouvemens de la musique et des mouvemens du danseur, entraîne ceux même qui ont l’oreille la plus ingrate et la moins susceptible des impressions de la musique.
Ce pas dans sa construction est très-singulier, il se fait à la même place sans avancer ni reculer ; ou aller de côté, & si les jambes font plusieurs mouvemens differens, il est fort gay dans sa maniere, aussi on le place dans les airs à deux tems legers, comme les Bourées, Rigaudons & autres. Il se commence de la premiere position ayant les deux pieds assemblez, vous pliez les deux genoux également, & vous vous relevez en sautant & en levant du même temps la jambe droite qui s’ouvre à côté, & le genou étendu & là reposez du même mouvement aussi à la premiere position ; mais à peine est-elle posée que la jambe gauche se leve en s’ouvrant à côté, sans faire aucuns mouvemens du genou, ce n’est que la hanche qui agite la jambe & la baisse tout de suite, & les deux pieds étant à terre, vous pliez & vous relevez en sautant & en tombant sur les deux pieds ; ce qui termine ce pas, après on fait un pas en avant ou à côté selon le pas que vous entreprenez de faire après ; mais il est indépendant du pas de Rigaudon, ce n’est que pour faire une liaison de ce pas avec un autre, & faire le mouvement du pas suivant avec plus de facilité. Tous ces differens mouvemens se doivent faire de suite, ne formant qu’un seul pas qui se fait dans une mesure à deux tems, comme je viens de dire, aussi toute l’attention qu’il faut avoir en faisant ce pas ; c’est que vos jambes soient bien étenduës quand vous les levez, & lorsque vous sautez de retomber sur les deux pointes & les jambes tenduës ; ce qui vous fait paroître plus leger.
Ce pas est un des plus gracieux & le plus gai qui soit dans tous les differens pas que l’on a inventé, tant par la varieté de ses mouvemens qui sont moderez ; ce qui facilite en quelque façon d’acquerir beaucoup de grace lorsque l’on les sçait bien faire. […] Je dis qu’il est diversifié par ces mouvemens, parce qu’il n’est composé que de deux pas, & ces deux pas renferment deux mouvemens differens.