Fort de sa connaissance des hommes et de son succès, il dévale d’un air satisfait, d’un air insolemment satisfait, entouré d’une cour de jeunes, et parfois aussi de vieux dandys de la littérature, qu’il régale habituellement de champagne et de jolies figurantes. […] « Il égaye, écrivait Théophile Gautier, et rend vivantes les représentations, qui, sans lui, seraient mornes et froides ; il est la mèche du fouet qui fait bondir l’acteur et le précipite au succès ; il donne du cœur à la jeune première qui tremble, et desserre la gorge de la débutante qui ne pourrait, sans lui, laisser filtrer un son perceptible ; ses applaudissements sont un baume pour l’amour-propre blessé des auteurs, qui oublient aisément qu’ils ont été commandés le matin… « Le claqueur n’est, du reste, qu’une nature admirative un peu exagérée40. » A l’époque où Véron prit possession du fauteuil directorial, ces natures admiratives étaient commandées à l’Opéra par un chef habile et majestueux, Auguste, devenu tellement illustre sous ce prénom, qu’il eût été dérisoire d’y ajouter son nom de famille, Levasseur, de même qu’il eût été malséant de faire suivre le nom de Louis XIV de celui de Capet. […] Je me surprenais quelquefois à rire de la justesse de ses critiques et du programme qu’il se traçait à l’avance pour la répartition savante et graduée des applaudissements44. » Après avoir pris leurs dispositions pour préparer le succès de la pièce, les deux collaborateurs déterminaient ensemble le sort qui serait fait à chaque artiste. […] Mon interlocuteur saisissait jusqu’aux nuances les plus fines de ce langage musical ; je constatais le soir que mes instructions avaient été comprises et fidèlement traduites45. » Ainsi, la claque, méthodiquement organisée et savamment dirigée, intimement associée aux entreprises de Véron, devint presque une institution d’Etat et contribua pour une grande part aux retentissants succès qu’eut à enregistrer l’Académie royale de Musique. […] *** Des innovations qui n’avaient aucun rapport avec l’art, mais qui témoignaient d’un mercantilisme ingénieux, assurèrent le succès de Véron.