On a sacrifié le beau genre au trivial ; on a secoué le joug des principes ; on a dédaigné et rejetté toutes les règles ; on s’est livré à des sauts, à des tours de force ; on a cessé de danser, et l’on s’est crû pantomime : comme si l’on pouvoit être déclaré tel, lorsqu’on manque totalement par l’expression ; lorsqu’un ne peint rien ; lorsque la danse est totalement défigurée par des charges grossières, lorsqu’elle se borne à des contorsions hideuses, lorsque le masque grimace à contre-sens, enfin, lorsque l’action, qui devoit être accompagnée et soutenue par la grace, est une suite d’effets répétés, d’autant plus désagréables pour le spectateur, qu’il souffre lui-même du travail pénible et forcé de l’exécutant. […] Voilà, comme vous voyez, les ballets subordonnés en quelque sorte aux règles de la poèsie ; cependant ils différent des tragédies et des comédies, en ce qu’ils ne sont point assujettis à l’unité de lieu, à l’unité de temps et à l’unité d’action ; mais ils exigent absolument unité de dessin, afin que toutes les scènes se rapprochent et aboutissent au même but. Le ballet est donc le frère du poème ; il ne peut souffrir la contrainte des règles étroites du drame ; ces entraves que le génie s’impose dans les ouvrages soutenus des beautés du style, anéantiroient totalement la composition du ballet, et le priveroient de cette variété qui en est le charme. […] En rapprochant toutes mes idées, en réunissant ce que les anciens ont dit des ballets, en ouvrant les yeux sur mon art, en examinant ses difficultés, en considérant ce qu’il fut jadis, ce qu’il est aujourd’hui et ce qu’il peut être si l’esprit vient à son aide ; je ne puis m’aveugler au point de convenir que la danse sans action, sans règles sans esprit et sans intérêt, forme un ballet, ou un poème en danse.