Mais comme il est aussi difficile de marcher, sans s’égarer, dans les routes obscures de l’antiquité, que d’anatomiser des objets presque décharnés , et de distinguer exactement ceux dont la forme se perd dans l’immesurable distance des siècles, il faut présumer avec les commentateurs raisonnables, que les anciens avoient des gestes de convention, qui devenoient les signes représentatifs de telle ou telle chose, j’en ai parlé avec assez d’étendue dans mes lettres précédentes ; j’ai même avancé qu’il a existé des dictionnaires explicatifs de tous les gestes possibles. […] Les interlocuteurs avoient un accoutrement si bizarre, qu’il n’est pas possible de croire qu’une telle mascarade pût produire de si grands effets ; pour suppléer à l’immensité des théâtres et aux dégradations du lointain, et pour n’avoir pas l’air Pygmée, ces acteurs avoient des cothurnes très-exhaussés, des ventres postiches, des têtes ou masques affreux, dont la bouche étoit ouverte et béante ; ces masques énormes emboitoient toute la tête ; leur base étoit appuyée sur les épaules ; une espèce de cornet se terminoit en s’évasant vers la bouche de ces visages postiches et hideux, et répercutoit les cris de l’acteur ; l’attirail gigantesque et monstrueux de celui-ci ne lui permettoit aucun mouvement des bras ; mais un pantomime, vêtu sans doute plus lestement, faisoit les gestes, pendant que le comédien déclamoit ; ces gestes et cette déclamation étoient accompagnés par l’orchestre ; la musique, comme on doit le supposer, fortifioit l’expression du pantomime, règloit ses gestes et en déterminoit l’action dans des tems justes et mesurés ; elle ménageoit encore à l’acteur essoufflé, et enterré, pour ainsi dire, sous un harnois incommode, le temps de reprendre baleine.