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64. (1760) Lettres sur la danse et sur les ballets (1re éd.) [graphies originales] « LETTRES SUR LA DANSE. — LETTRE X. » pp. 261-289

Les mains d’un Danseur habile doivent, pour ainsi dire, parler ; si son visage ne joue point ; si l’altération que les passions impriment sur les traits n’est pas sensible ; si ses yeux ne déclament point & ne décélent pas la situation de son cœur, son expression dès-lors est fausse, son jeu est machinal, & l’effet qui en résulte péche par le désagrément & par le défaut de vérité & de vraisemblance. […] Les Arts sont de tous les pays ; qu’ils empruntent la voix qui leur est propre, ils n’auront pas besoin d’interprete, & ils affecteront également & le connoisseur & l’ignorant ; leur effet ne se borne-t-il au-contraire qu’à frapper les yeux sans toucher le cœur, sans remuer les passions, sans ébranler l’ame ? […] Les oreilles n’ont point été flattées de son jeu, ses sons n’ont point touché, mais les yeux se sont amusés ; il a démanché avec adresse, ses doigts ont parcouru le manche avec légéreté ; que dis-je ? […] Ce ne seroit pas m’entendre que de penser que je cherche à abolir les mouvements ordinaires des bras, tous les pas difficiles & brillants, & toutes les positions élégantes de la Danse ; je demande plus de varieté & d’expression dans les bras ; je voudrois les voir parler avec plus d’énergie ; ils peignent le sentiment & la volupté, mais ce n’est pas assez, il faut encore qu’ils peignent la fureur, la jalousie, le dépit, l’inconstance, la douleur, la vengeance, l’ironie, toutes les passions innées enfin dans l’homme, & que d’accord avec les yeux, la physionomie & les pas, ils me fassent entendre le cri de la nature. […] Si notre ame détermine le jeu & l’action de nos ressorts, dès-lors les pieds, les jambes, le corps, la physionomie & les yeux seront mus dans des sens justes, & les effets résultants de cette harmonie & de cette intelligence intéresseront également le cœur & l’esprit.

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