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1. (1803) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome I [graphies originales] « Lettres sur la danse. — Lettre IV. » pp. 25-31

Je ne parle point de cette partie du public, qui en est l’ame et le ressort, de ces hommes sensés qui, dégagés des prejugés de l’habitude, gémissent de la dépravation du goût, qui écoutent avec tranquillité, qui regardent avec attention, qui pèsent avant de juger, et qui n’applaudissent jamais que lorsque les objets les remuent, les affectent et les transportent : ces battemens de mains prodigués au hazard ou sans ménagement, perdent souvent les jeunes gens qui se livrent au théatre. […] S’il veut persuader, qu’il dessille les yeux trop fascinés des jeunes danseurs, et qu’il leur dise : « Enfans de Terpsichore, renoncez aux cabrioles aux entrechats, et aux pas trop compliqués ; abandonnez la minauderie pour vous livrer aux sentimens, aux graces naïves et à l’expression ; appliquez-vous à la pantomime noble ; n’oubliez jamais quelle est l’âme de votre art ; mettez de l’esprit et du raisonnement dans vos pas de deux ; que la volonté en caractèrise la marche, et que le goût en distribue toutes les situations ; quittez ces masques froids, copies imparfaites de la nature ; ils dérobent vos traits ; ils éclipsent, pour ainsi dire, votre âme, et vous privent de la partie la plus nécessaire à l’expression ; défaites-vous de ces perruques énormes, et de ces coeffures gigantesques, qui font perdre à la tête les justes proportions qu’elle doit avoir avec le corps ; secouez l’usage de ces paniers roides et guindés, qui privent l’exécution de ces charmes, qui défigurent l’élégance des attitudes, et qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions. […] Livrez vous à un métier, où les mouvemens de l’âme soient inutiles, où le génie n’a rien à faire, et ou il ne faut que des bras et des mains. »   Ces avis donnés et suivis, Monsieur, délivreroient la scène d’une quantité innombrable de mauvais danseurs, de mauvais maîtres de ballets, et enrichiroient les forges et les boutiques des artisans d’un très grand nombre d’ouvriers plus utiles aux besoins de la société, qu’ils ne l’étoient à ses amusemens et à ses plaisirs.

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