Un Drame n’est autre chose qu’un grand Tableau qui doit en offrir successivement & avec rapidité une multitude ; or n’est-il pas extravagant de le diviser par lambeaux, d’en interrompre la suite, d’en suspendre l’intrigue, & d’en détruire l’ensemble & l’harmonie ? […] Des contraires aussi choquants, ne peuvent en vérité trouver place sur la Scene ; ils en détruisent le charme & l’harmonie & privent les Tableaux de leur ensemble. […] Cette harmonie qui auroit régné dans deux Arts si intimes, auroit produit l’effet le plus séducteur & le plus admirable ; mais par un malheureux effet de l’amour propre, les Artistes loin de se connoître & de se consulter s’évitent scrupuleusement. […] Pour peu que le Poëte s’humanisât, il donneroit le ton & les choses changeroient de face, mais il n’écoute que sa verve : dédaignant les autres Arts il ne peut en avoir qu’une foible idée ; il ignore l’effet que chacun d’eux peut produire en particulier, & celui qui peut résulter de leur union & de leur harmonie ; le Musicien à son exemple prend les paroles, il les parcourt sans attention, & se livrant à la fertilité de son génie, il compose de la Musique qui ne signifie rien, parce qu’il n’a pas entendu le sens de ce qu’il n’a lu que des yeux, ou qu’il sacrifie au brillant de son Art & au grouppe d’harmonie qui le flatte, l’expression vraie qu’il devroit attacher au récitatif. […] Les Interpretes de Sophocle, d’Euripide & d’Aristophane, disent cependant que les Danses des Egyptiens représentoient les mouvements célestes & l’harmonie de l’Univers ; ils dansoient en rond autour des Autels qu’ils regardoient comme le Soleil, & cette Figure qu’ils décrivoient en se tenant par les mains désignoit le Zodiaque ou le cercle des Signes ; mais tout cela n’étoit ainsi que bien d’autres choses que des figures & des mouvements de convention, aux-quels on attachoit une signification invariable.