Une surprise subite vous arrête, vous éprouvez une émotion générale, vos regards comme absorbés restent dans une sorte d’immobilité, votre âme entière se rassemble sur une foule d’objets qui l’occupent à la fois ; mais bientôt rendue à son activité, elle parcourt les différentes parties du tout qui l’avait frappée, sa chaleur se communique à vos sens, vos yeux lui obéissent et la préviennent : un feu vif les anime ; vous apercevez, vous détaillez, vous comparez les attitudes, les contrastes, les coups de lumière, les traits des personnages, leurs passions, le choix de l’action représentée, l’adresse, la force, la hardiesse du pinceau ; et remarquez que votre attention, votre surprise, votre émotion, votre chaleur, seront dans cette circonstance plus ou moins vives, selon le différent degré de connaissances antérieures que vous aurez acquis, et le plus ou le moins de goût, de délicatesse, d’esprit, de sensibilité, de jugement, que vous aurez reçu de la nature. […] D’après ces réflexions puisées dans une métaphysique peu abstraite, et que je crois fort certaine, j’oserais définir l’enthousiasme une émotion vive de l’âme à l’aspect d’un tableau neuf et bien ordonné qui la frappe, et que la raison lui présente. […] La multitude en est frappée, il est vrai, sans les apprécier, les demi connaisseurs les discutent sans les sentir : on s’en occupe moins longtemps aujourd’hui que d’une parodie sans esprit, dont on n’a pas honte de rire : qu’importe, en seront-ils moins un jour l’école et l’admiration de tous les esprits et de tous les âges?