Toutes les deux sont fondées sur la force de l’imagination pour bien inventer leurs productions, & sur la solidité du jugement pour les bien conduire : elles ne sçavent choisir que des sujets qui soient dignes d’elles, & se servir des circonstances & des accidens qui les font valoir ; comme elles sçavent rejetter tout ce qui leur est contraire, ou qui ne mérite pas d’être représenté. […] Cicéron rapporte que si Aléxandre défendit à tout autre Peintre qu’à Appellès de le peindre, & à tout autre Sculpteur qu’à Lisippe de faire sa statue, ce ne fut point seulement par l’envie d’être bien représenté, mais pour ne rien laisser de lui qui ne fût digne de l’immortalité, & par l’estime singuliere qu’il avoit pour ces deux Arts. Lucien, au chapitre d’Hérodote, dit que de son tems Actyon excellent Peintre fut admis aux jeux Olimpiques, pour disputer les premiers prix contre les Poëtes & les Musiciens, en exposant le tableau qu’il avoit fait des amours de Roxane & d’Aléxandre, qui lui acquit tant de gloire, que celui qui présidoit aux jeux Olimpiques, lui donna sa fille en mariage, comme un prix digne de son tableau, & dont Lucien fait la description. […] Saint Grégoire de Nice, après avoir fait une longue description du Sacrifice d’Abraham, dit ces paroles : « J’ai souvent jetté les yeux sur un tableau qui représente ce spectacle digne de pitié, & je ne les ai jamais retiré sans larmes ; tant la Peinture a sçu représenter la chose comme si elle se passoit effectivement. » La fin de la Peinture comme de la Poésie, est de surprendre de telle sorte, que leurs imitations paroissent des véritez.