Le bras se leve, le coup est prêt à tomber, lorsqu’un Dieu protecteur des amants arrête le bras du Sacrificateur, en répandant un charme sur cette Isle qui en rend tous les habitants immobiles. […] Les instants du charme qui les rend immobiles, offrent une multitude de tableaux & de grouppes qui différent tous par les positions, par la distribution, par la composition, mais qui expriment également ce que la fureur a de plus affreux. […] « Nous ne nous soucions pas, répondront-ils, que la Danse & les Ballets nous attendrissent, qu’ils nous fassent verser des larmes ; nous ne voulons pas que cet Art nous occupe sérieusement ; le raisonnement lui ôteroit ses charmes ; c’est moins à l’esprit à diriger ses mouvements qu’à la folie ; le bon sens l’anéantiroit ; nous prétendons rire aux Ballets ; causer aux Tragédies ; & parler petites maisons, petits soupers & équipages à la Comédie. » Voilà, Monsieur, un systême assez général. […] Pourquoi donc, lui répondis-je, doutez-vous de l’effet que ces pieces produiroient au Théatre, puisqu’elles vous ont séduit, quoique dégagées des charmes de l’illusion que leur prêteroit la Scene, & quoique privées de la nouvelle force qu’elles acquerroient étant jouées par de bons Acteurs ? […] Je sais que la crainte frivole d’innover arrête toujours les Artistes Pusillanimes ; je n’ignore point encore que l’habitude attache fortement les talents médiocres aux vieilles rubriques de leur profession ; je conçois que l’imitation en tout genre a des charmes qui séduisent tous ceux qui sont sans goût & sans génie ; la raison en est simple, c’est qu’il est moins difficile de copier que de créer.