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23. (1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Histoire generale de la danse sacrée et prophane : son origine, ses progrès & ses révolutions. — Chapitre VII. Des Spectacles des Danseurs de corde, & de l’Art Gymnastique, & des sauts périlleux. » pp. 161-182

C’est pourquoi ils font payer les places à présent sur le même pied qu’à la Comédie ; ce qui me fait souvenir de rapporter ce qui arriva un jour à Térence dans Rome, au sujet des Danseurs de corde. […] Néanmoins il arrive souvent que la tête leur tourne en dansant, & qu’il leur en coûte la vie, comme il est arrivé à un Turc que j’ai vû à la Foire de Saint Germain, il y a plus de trente ans : il montoit tout droit le long d’une corde qui étoit attachée de haut en bas au bout d’un grand mât, & dont le sommet alloit jusqu’au plafond du Jeu de paume ; & quand il étoit monté, il attachoit son contrepoids au sommet du mât, sur lequel il y avoit un rond de bois large comme une assiette, & y dansoit en tournant de tous côtez, ensuite il y dansoit sur la tête & les pieds en haut, & y faisoit quantité de mouvemens conformes à la cadence des violons, & puis il descendoit tout debout sur la corde, quoique tendue de haut en bas. Je puis dire aussi que les spectateurs ne le regardoient qu’en tremblant pour sa vie, comme il lui arriva quelque tems après de la perdre dans une représentation qu’il fit à la Foire de Troyes en Champagne, dont on a soupçonné un Anglois fameux Danseur de la troupe, qui jaloux de la réputation du Turc, graissa un endroit de la corde pendant qu’il étoit en haut ; il ne put s’en appercevoir, parce qu’il descendoit à reculon & ayant les pieds nuds, ce qui fut cause de sa chute. […] Elle paroissoit d’abord sur le Théâtre d’un air imposant, & y dansoit seule une Sarabande avec tant de grace, qu’elle charmoit tous les spectateurs ; ensuite elle demandoit des épées de longueur aux Cavaliers, qui vouloient bien lui présenter pour faire sa seconde représentation : ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’elle s’en picquoit trois dans chaque coin de l’œil, qui se tenoient aussi droites que si elles avoient été picquées dans un poteau ; elle prenoit son mouvement de la cadence des violons qui jouoient un air qui sembloit exciter les vents, & tournoit d’une vitesse si surprenante pendant une quart-d’heure, que tous ceux qui la regardoient attentivement en demeuroient tout étourdis, ainsi qu’il m’est arrivé ; ensuite elle s’arrêtoit tout court, & retiroit ses épées nues l’une après l’autre du coin de ses yeux, avec autant de tranquilité que si elles les eût tirées du foureau.

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