Le mêlange que les Danseurs ont fait de la cabriole avec la belle Danse a altéré son caractere & dégradé sa noblesse ; c’est un alliage qui diminue sa valeur & qui s’oppose, ainsi que je le prouverai dans la suite, à l’expression vive & à l’action animée qu’elle pourroit avoir, si elle se dégageoit de toutes les inutilités qu’elle met au nombre de ses perfections. […] Le Ballet est, suivant Plutarque, une conversation muette, une peinture parlante & animée qui exprime par les mouvements, les figures & les gestes. […] Lorsque les Danseurs animés par le sentiment, se transformeront sous mille formes différentes avec les traits variés des passions ; lorsqu’ils seront des prothées, & que leur physionomie & leurs regards traceront tous les mouvements de leur ame ; lorsque leurs bras sortiront de ce chemin étroit que l’école leur a prescrit ; & que parcourant avec autant de grace que de vérité un espace plus considérable, ils décriront par des positions justes les mouvements successifs des passions ; lorsqu’enfin ils associeront l’esprit & le génie à leur Art ; ils se distingueront ; les récits dès-lors deviendront inutiles ; tout parlera, chaque mouvement dictera une phrase ; chaque attitude peindra une situation ; chaque geste dévoilera une pensée ; chaque regard annoncera un nouveau sentiment ; tout sera séduisant parce que tout sera vrai, & que l’imitation sera prise dans la nature. […] Il n’y a rien de sensible qui n’ait sa matiere, sa forme & sa figure ; conséquemment le Ballet cesse d’exister s’il ne renferme ces parties essentielles qui caractérisent, & qui désignent tous les êtres tant animés qu’inanimés. […] Les connoisseurs la regardent avec les mêmes yeux que Pigmalion lorsqu’il contemploit son Ouvrage ; ils font les mêmes vœux que lui, & ils desirent ardemment que le sentiment l’anime, que le génie l’éclaire, & que l’esprit lui enseigne à s’exprimer.