Chapitre IX. Opposition singulière des Mœurs des Grecs avec les nôtres
Lorsque Agamemnon partit pour le siège de Troie, il laissa auprès de Clytemnestre qu’il aimait, et dont il était aimé, un Danseur célèbre40, qu’il établit l’écuyer de la jeune reine. Il devait être en cette qualité, le guide de son esprit, l’instituteur de ses mœurs, le directeur en chef de toute sa conduite.
La grande réputation que ses talents lui avaient acquise, et l’estime singulière que les Grecs avaient pour son Art, lui avaient procuré une distinction aussi honorable. Si l’on en croit quelques Historiens, il en était digne.
Il avait l’attention d’exercer la Reine par des Danses nobles qu’il composait exprès pour elle. Il l’amusait, en développant ses grâces, en les lui faisant apercevoir, en lui donnant du goût pour un exercice qui devait flatter son amour propre, puisqu’il la rendait plus capable de plaire.
Il joignait à ce premier trait d’adresse, la facilité extrême de composer sur le champ des Danses nouvelles qu’il exécutait lui-même : chacune d’elles était une image vive et ingénieuse des traits estimables, des actions héroïques, des vertus éclatantes, des femmes illustres, dont on conservait en Grèce la mémoire.
Ces tableaux animés excitaient dans l’âme de Clytemnestre l’amour de la gloire, éloignaient d’elle l’esprit d’intrigue, et la distrayaient des ennuis de l’absence, que le feu de la jeunesse rend presque toujours dangereux.
Égisthe cependant, prince ambitieux, occupé sans cesse de tous les tendres soins qu’inspire le désir de paraître aimable, osait soupirer pour la Reine ; mais toujours dissipée par un exercice, et par des représentations qui remplissaient ses moments et qui suffisaient à son oisiveté, elle n’apercevait les regards, les soins, ni les soupirs d’Égisthe.
Ce Prince éclairé enfin par l’amour, pénétra quel était l’obstacle qui s’opposait à son bonheur. Le salut de la ville de Troie dépendait d’une statue de Minerve : la sagesse de la reine d’Argos ne tenait qu’à son Danseur. Égisthe le tua, et il triompha bientôt des précautions du mari et de la vertu de la femme.
Quel changement dans les mœurs ? Si la Danse autrefois fut pendant quelque temps la sauvegarde de la sagesse des femmes, ne devrait-on pas dire aujourd’hui ? Maris qui partez, emmenez avec vous le Danseur.