Robinet, lettre du 24 janvier 1671
Le dix-sept de ce mois, tout juste,
Ce Ballet pompeux, grand, auguste,
Et bien digne, veramentè,
De divertir la Majesté
Du premier Monarque du Monde,
Tant sur la Terre, que sur l’Onde,
Fut, pour le premier coup, dansé,
En ce vaste Salon, dressé,
Dans le Palais des Tuileries,
Pour les Royales Momeries,
Avec tant de grands Ornements,
Si merveilleux, & si charmants,
Tant de Colonnes, de Pilastres,
Vallans plusieurs mille Piastres,
Tant de Niches, tant de Balcons,
Et, depuis son brillant Plat-fons,
Jusques, en bas, tant de Peintures,
D’Enrichissemens, & Dorures,
Que l’on croid, sur la foi des yeux,
Etre en quelque Canton des Cieux.
D’abord, comme en un Lieu champêtre,
On voit, dans un Lointain, paraître,
Un Port, où la Mer fait flo-flo,
Comme à Dieppe, ou Saint Malo,
Avec de longues Kyrielles,
De Navires & de Nacelles,
De l’un, & de l’autre côté,
Et même, une vaste Cité,
Flore, que le Printemps r’amène,
Se découvre dessus la Scène,
En des Atours fort gracieux,
Avec ses Nymphes, & les Dieux
Tant des Eaux, que des Jardinages,
Qui, pour Valets de Pied, & Pages,
Ont des Dryades, des Sylvains,
Des Fleuves d’Eau douce, & Marins,
Et le reste de leur Séquelle,
Magnifique, & non telle quelle.
Cette Flore, qui fait florés,
Est représentée142 (à peu près)
Par l’illustre Sirène, Hilaire,
Qui, toujours, a le don de plaire,
Avec son angélique Voix,
Ainsi que la première fois.
En charmant Chacun, elle appelle
Venus, l’amoureuse Immortelle,
Afin qu’elle vienne Ici-bas,
Achever, par ses doux Appas,
Les Plaisirs dont la Paix foisonne,
Graces à LOUIS, qui la donne,
En interrompant ses Explois,
Qui pourroyent êtablir ses Loix
Chez tous les Peuples que la Terre,
Dans sa vaste Rondeur, enserre.
Venus, à ses souhaits, consent,143
Et dans le même instant, descend,
En Conche, tout-à-fait, divine,
Dans une superbe Machine,
Ayant, auprès d’elle, son Fils,144
Qui se plaît fort, parmi les Lys,
Avec six autres petits Drôles
Qui savent là, très-bien, leurs Rôles.
Les Grâces la suivent, aussi,145
Par un équitable souci,
En d’autres Machines côtières,
Toutes brillantes de Lumières.
Mais, comme elle a le cœur fâché
Des Honneurs rendus à Psyché,146
Au préjudice de ses Charmes,
N’en pouvant cacher ses alarmes,
Elle fait, bientôt, bande à part,
Et restant seulette, à l’écart
Avec son Fils, en conférence,
Elle l’anime à sa Vengeance,
Puis s’éclipse, jusqu’au Succès,
Qu’aura son amoureux Procès.
Sur ce, roule une Tragédie,
Non pas, c’est Tragi-Comédie,
Faite par deux rares Auteurs147
Qui n’ont que des Admirateurs.
Or, cet excellent Dramatique,
Qu’ici, nullement, je n’explique,
De crainte de prolixité,
Est, comme très-bien concerté,
Entremêlé de huit Entrées
Dignes d’être considérées.
La première est de plusieurs Gens
Qui sont contristez, & dolents
De vois Psiché dans la Disgrâce :
Et qui, dansants de bonne grâce,
Ou chantants fort plaintivement,
En Italien, mêmement,
Expriment leur Deuil, à merveille,
Et ravissent l’œil, & l’oreille.
Une autre, de Cyclopes, suit,
Mais, nullement, à petit bruit,
Car n’étants148 pas des Gens d’extases,
Ils achèvent de pompeux Vases
Pour un beau Palais dont l’Amour
Consacre à Psiché, le Séjour,
L’aimant, & trahissant sa Mére,
Comme un faux & malin Compère :
Et des Fées, aux Forgerons,
Faisans des Pas légers & prompts,
Apportent ces Vases superbes
Dignes des Beaux Vers des Malherbes.
Des Furies, & des Lutins,
Poussez par de mauvais Destins,
À leur tour, entrent en Cadence,
Et n’ont, pour motif de leur Dance,
Que de faire peur à Psiché,
Qui, ceci soit dit sans péché,
Mériterait mieux les Caresse
De beaux Galants, à blondes Tresses.
Apollon, avec les neuf Sœurs,
Qui plaisent fort aux Spectateurs,
Bacchus, de même, avec sa suite,
À faire Brindes, bien instruite,
Momus, avec la Sienne, aussi,
Et Mars, lors, sans guerrier souci
Font, enfin, chacun, une Entrée :
Etants venus de l’Empirée,
Avecque leur Sire, Jupin,
Lequel termine à la parfin,
De Venus, & son Fils, les rixes,
Et par ses Soins, des plus propices,
Rend l’Amour, Epoux de Psiché,
Dont il est, tendrement, touché.
Lors, tous ces Dieux, & leurs Escortes,
Qui sont de nombreuses Cohortes,
Des Déités, jusqu’à trois cents,
Dans ces Cohortes, paraissants,
Sur de grands & brillants Nuages,
Disposez à triples Etages,
Célèbrent, par de beaux Concerts,
Par des Danses, & par des Airs,
La Solennité de la Noce,
Comme s’ils étaient chez Mandoce.
La Scène, au reste, incessamment,
Comme, par un Enchantement,
En différents Objets, se change :
Et, pour une surprise étrange,
On y voit, tantôt, des Palais,
De Marbre, en un tourne-main, fais :
Puis, en moins de rien, en leur place,
Sans qu’il en reste nulle trace,
Des Mers, des Jardins, des Déserts,
Enfin, les Cieux, & les Enfers.
Mais, il me faudrait faire un Livre
Gros comme c’il qui s’en délivre
Chez Balard, Imprimeur du Roy,
(Je vous le dis de bonne foi)
Pour tout raconter, tout déduire,
Et, parfaitement, vous instruire
De ce Spectacle si Royal.
Ainsi, donc, en Auteur féal,
D’y recourir, je vous avise.
Mais, il faut, qu’ici, je vous dise
Que Lundi, je vis ce Ballet,
Grace à Monsieur Carnavalet,
Qui joint, par un rare avantage,
La courtoisie au vrai courage,
Et qui m’ayant, de très-bon cœur,
Fait, bien des fois, même faveur,
En toute rencontre semblable,
Me fit, par un trait amiable,
Entrer ici, certe, à gogo,
Et, c’est-à-dire, tout de go,
Et de maniére aussi facile,
Que j’entre dans mon Domicile.