Chapitre I. De l’utilité de la Théorie dans tous les Arts.
Il est des points fixes d’où tous les Arts sont d’abord partis et un but permanent auquel ils s’efforcent sans cesse d’atteindre. Le Talent est indispensable, pour les pratiquer avec succès : il suffit de les avoir approfondis, pour en écrire avec fruit.
Un Artiste entraîné par cette espèce d’instinct, que la Nature seule donne, et que rien ne supplée, franchit quelquefois, sans s’égarer, une carrière difficile qu’il lui aurait été impossible de bien mesurer ; tandis qu’un Philosophe, qui, le compas à la main, la décrit avec ordre, en fonde les principes, développe tous ses détours, manquerait d’haleine, sans doute, dès le premier pas, s’il se hasardait d’y courir.
L’erreur serait extrême, si on concluait de là, que la Pratique est suffisante, et que la théorie est inutile. Elle sera toujours la boussole des Arts : en montrant les points cardinaux de la route, elle l’abrège et la rend sûre.
Le talent dénué de la connaissance approfondie de l’Art, nous a donné Rotrou : la théorie seule, n’a pu faire de l’abbé d’Aubignac, qu’un Poète froid et stérile : les deux ensemble ont produit P. Corneille11.
Pour exceller dans un Art, il faut donc, non seulement les dispositions distinctives qu’il exige ; mais encore la connaissance profonde des moyens qui servent à le développer avec sûreté. L’homme rare qui réunit la théorie et le talent, s’élève, avec les ailes de l’Aigle, jusqu’au sublime ; l’homme commun qui les confond ou qui les sépare, manque de vues, de force, et d’appui : il rampe toute sa vie, avec la multitude.