Loret, lettre du 2 février 1664
Dans un Salon, ou grande Sale,
De la noble Maizon Royale,
Un Ballet fut dansé, Mardi,
Duquel, ici, rien je ne dis.
J’ m’y coulai, non pas sans peine,
Un peu devant qu’entrât la Reine :
Mais n’ayant pas été placé
Aussi bien que j’avais pensé,
Je n’ouïs point la mélodie,
Je n’y vis point la Comédie,
Ni le Ballet entremêlé,
Ni ce qu’on en avait moulé :
C’est pourquoi j’en sortis, belle-erre,
Et quoi qu’on ne vît Ciel, ni Terre,
Je revins chez-moi, promptement,
Sans voir ce divertissement.
Jeudi, ma chance fut meilleure,
Car m’y rendant d’assez bonne-heure,
La sage Dame de Beauvais,
Dont beaucoup d’estime je fais,
Et que l’on chérit et révère
Dans la Cour de la Reine Mère,
M’y fit entrer, m’y fit placer,
Dieu l’en veuille récompenser :
Enfin, par la bonté d’icelle,
Ayant pour siège une bancelle,
Tantôt assis, tantôt debout,
Je vis bien, et de bout-en-bout
Ce plaisant Ballet qui se pique
De musical et de comique,
Et voici deux mots du sujet.
Un Jaloux charmé d’un Objet
Ravissant et de belle-taille,
Veut l’épouser, vaille-que-vaille,
Ou, du moins, il promet cela
Aux Parents de cet Objet-là :
Mais connaissant que sa Maîtresse
Est plus Coquette, que Tigresse,
Redoutant, comme un grand méchef,
Le fatal pennache29 du chef
S’étant dégagé vers le Père,
Il arrive, enfin, que le Frère,
Qui paraît doux comme un mouton,
Le contraint à coups de bâton,
De conclure le Mariage,
Ce qu’il fait, dont son âme enrage ;
Mais ce que je dis du Ballet
Ne vaut pas un coup de sifflet,
Ou, du moins, ce n’est pas grand’chose,
Ni de la Comédie en prose,
Qu’on peut nommer certainement
Un exquis divertissement.
Je ne dis rien des huit Entrées,
Qui méritent d’être admirées,
Où Princes et Grands de la Cour,
Et nôtre Roi digne d’amour,
En comblant nos cœurs d’allégresse,
Font éclater leur noble adresse ;
Je laisse les Concerts galants,
Et les habits beaux et brillants,
J’omets les deux Egyptiennes
Ou, si l’on veut, Bohémiennes,30
Qui jouèrent audit Ballet
Admirablement leur rolet,
Et parurent assez charmantes
Avec leurs atours et leurs mantes :
De la Du-Parc, rien je ne dis,
Qui rendait les Gens ébaudis
Par ses appas, par sa prestance,
Et par ses beaux pas et sa danse ;
Enfin, je ne décide rien
De ce Ballet qui me plût bien :
Cette Pièce assez singulière
Est un In-promptu de Molière ;
Et comme les Bourgeois, un jour,
Verront ce spectacle à leur tour,
Où l’on a des plaisirs extrêmes,
Ils en pourront juger eux-mêmes :
Mais présentement écrivons
Autres choses, si nous pouvons.