Loret, lettre du 25 février 1662
Le Grand Ballet d’Hercule Amant,
Si magnifique et si charmant,
Fut Lundi, pour la fois dernière,
Dansé de la belle manière :
Je ne l’avais point encor vu
D’un si brillant éclat pourvu ;
Et du Dieu Mars la seule Entrée,
Digne, certes, d’être admirée,
Avec ses nobles Combattants,
Surprit fort tous les Assistants.
On n’entendait point de Musettes,
Mais des Tambours et des trompettes,
Et des timbales, mêmement,
Qui résonnaient terriblement,
Et comblaient d’ardeur martiale
Tous les moins hardis de la Salle.
Quoi que ce ne fût qu’un ébat,
Il s’y fit un fort beau combat,
Avec diverses sortes d’armes,
Qui pour nous étaient de doux charmes ;
Dans ce Camp, le Roi secondé24
De l’Altesse du Grand Condé25
(Un des preux Héros de la Terre)26
Y parut en foudre de guerre,
En Dieu triomphant et vainqueur ;
Saint-Aignan, dont le brave cœur
Eut toujours la Valeur pour guide,
Et qui se porte en intrépide
Dans les périls et les hasards,
Faisait le premiers des Césars ;
Rassan (qui sait l’art de combattre)
L’illutre Amant de Cléopâtre,
Et quantité d’autres Humains,
De Chefs guerriers, Grecs et Romains.
Ce combat fut fait en cadence ;
Et je n’ai point de souvenance,
Moi qui depuis maint et maint jour,
Vois tous les Ballets de la Cour,
Quoi que d’eux je me remémore,
D’avoir vu nulle Entrée, encore,
(Je puis bien jurer de cela)
Si superbe que celle-là,
Ni qui pour de divers usages
Eût compris tant de personnages.
Quel discours pourrait raconter
L’entrée, aussi, de Jupiter ?
De grande et pompeuse entreprise,
Dont était Chef Monsieur de Guise,
Et qui dans ce splendide lieu,
Représentait icelui Dieu.
Illec, quatre antiques Monarques,
Dès longtemps le jouet des Parques,
Et doués de rares vertus,
Cyrus, Philipus, Augustus,
Et Hannibal, au grand courage,
Jadis, Citoyen de Carthage,
Sur de hautes chaises montés,
Etaient en triomphe portés :
Ce qui formait si beau spectacle,
Que j’en pensai crier, miracle :
Et cette Entrée, en vérité,
Par sa splendeur et majesté,
Multitude, éclat, harmonie,
Ravit toute la Compagnie.
Dans mes autres précédents Vers,
En deux ou trois endroits divers,
J’ai parlé de celle des Dames,
Qui comblaient d’amoureuses flammes,
Ainsi que des soleils ardents,
Les cœurs de tous les regardants
Y causant un désordre extrême,
N’en étant pas exempt moi-même,
Aujourd’hui, je prends le souci
De toucher encore ceci ;
Mais on pourrait cent choses dire
Dudit Ballet de notre Sire,
Passant tous les Ballets passés,
Que ce ne serait pas assez.
Outre trente actions célèbres,
On y vit des Pompes funèbres,
Avec des chants si musicaux,
Qu’on les estimait sans égaux.
Les seules Danses des Planètes
Pourraient remplir douze Gazettes
Si l’on les voulait débiter :
Mars, Apollon et Jupiter,
La Lune, Vénus et Mercure,
Dieux de différente nature,
Jouèrent chacun leur Rollet
En cet admirable Ballet,
Avec tant de magnficences,
Eux, et toutes leurs Influences
Que leur seule déduction,
(C’est-à-dire description)
Est digne qu’une belle Plume
Les consacrât dans un Volume.
Mais le passetemps le plus doux,
Selon l’opinion de tous,
Furent quinze Etoiles dansantes ;
Quinze Fillettes ravissantes,
Dont, certes, les jeunes appâts,
La gaie humeur et les beaux pas,
Les grâces et les gentillesses,
Pourraient charmer Dieux et Déesses.
Ô Que par Elles, quelque jour,
Fleurira l’empire d’Amour !
Ô Que ces rares Créatures
Causeront de vives pointures !
Que la belle et chère Toussy
Remplira les cœurs de souci !
Que Bailleul, l’aimable mignonne,
Deviendra charmante personne !
Et que la divine Brancas
Par ses traits purs et délicats,
Et sa blancheur incomparable
Doit se rendre un jour adorable !
Les autres étaient Plabisson,
Qui savait des mieux leur leçon,
Vaure, Dargentier, Barnouville,
Ribera, Mousseaux, Arnouville,
Certe, Saugé, Longuet, Mignon,
Dont le visage est bien mignon ;
Et, bref, la petite L’Estrade,
Sur qui l’on jeta mainte œillade.
Certes, ces naissantes Beautés,
Ces jeunes sources de clartés,
Ou, pour le moins, plusieurs d’entre elles,
Récréèrent bien des prunelles,
Causèrent mainte émotion
D’amour et d’admiration,
Et comme elles ne sont encore
Que des images de l’Aurore,
Leurs appâts seront sans pareils
Quand elles deviendront soleils :
Mais je ne les crains, ni redoute,
Car, alors, je ne verrai goutte.
Ce Ballet du plus Grand des Rois
Eût été dansé plus de fois,
Mais à la requête et prière
De la pieuse Reine-Mère,
Le Carême étant survenu,
J’ai su du discours ingénu
D’un de mes voisins nommé Jacques
Qu’on l’a salé pour après Pâques :
Mais d’autres Gens mieux éclairés
Prétendant en être assurés,
En discourent d’une autre sorte,
Et disaient Mardi, sur ma porte,
Que ce Ballet étant cassé,
Ne serait jamais plus dansé.