(1921) Danse et musique « Danse et musique, par André Suarès — IV » p. 136
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(1921) Danse et musique « Danse et musique, par André Suarès — IV » p. 136

IV

Le mime nu et réduit au seul langage des gestes est une forme puérile de l’art. La danse pure, aux rythmes simples et carrés, en est une forme sauvage et presque liée à l’instinct. Par contre, mime et danse à leur juste place, donnant le secours de la plastique et du mouvement à la musique et au poème, peuvent faire la plus belle et la plus riche des œuvres d’art.

À mon gré, la symphonie seule n’y suffit pas. J’y voudrais aussi des voix récitantes et des chœurs. Il y faudrait le goût le plus sobre et l’expression la plus concise : le moins de paroles qu’il se pût, et du sens le plus essentiel ou le plus fécond en résonances, en échos pensants.

La musique aspire à cette forme suprême, comme à sa délivrance. Le poème symphonique l’annonce. Le jeu scénique n’ajoute rien aux grandes fresques de Wagner : il les gâte plutôt, parce qu’il les ravale à la taille et à la présence des interprètes. On n’a pas besoin de voir les ondines, ni les nains, ni les géants, qui sont toujours de pauvres hères et toujours ridicules. On entend mieux les voix, quand on ne voit point les corps. S’il dépouille le comédien, le chanteur n’en est que plus fidèle à la musique. Le bon serait que l’on vit de belles figures mimer les êtres ou l’action, et qu’on entendît de beaux chants, sans qu’ils fussent visibles. Wagner n’est pas traîné seulement au concert par l’avarice ou la paresse des chefs d’orchestre : Tristan excepté, sa musique y est plus musique et plus elle-même qu’à la scène, où le spectacle la corrompt. Parsifal, cette messe sublime, pour la meilleure part, est le concert mimé que je veux dire.

La voix mérite bien qu’on la traite enfin comme un incomparable instrument d’orchestre : le luth des passions, la viole humaine.

Peu de paroles : aussi bien ne les perçoit-on jamais. Quelques-unes, mais du plus haut prix ; et qui ont la portée du texte religieux à l’église : de celles qui font rêver la vie, ou qui nomment en nous les cimes où elle touche, les abîmes où elle se penche, les autres horizons. Pour la musique, tout poème doit être plus ou moins mystique. Les beaux mimes faisant voir l’action, les voix invisibles faisant entendre les sentiments et les âmes, quel spectacle ce pourrait être.