II
L’ancien ballet est un conte ou une épopée sans paroles, que les gestes figurent et que la musique accompagne avec un excès de fidélité. Le ballet semble immuable : on le dirait lié à cette forme surannée. Les Russes y ont mis beaucoup plus de surprise, une vie et une couleur parfois admirables. Mais ils ont beau faire : toutes leurs inventions ne vont qu’à embellir un art qui a fait son temps. Ils rendent à la mode une beauté démodée : le ballet de Nijinski ressuscite le ballet de Vestris, comme l’Europe de 1914 rappelle celle du Directoire.
Quel abus du ballet en tout genre, à tutu ou sans tutu. Tant qu’il y aura du tutu dans le ballet, on n’aura pas la danse. Je parle de tutu pour faire bref : Le tutu n’est qu’un signe, celui du rond de jambe, des bras en l’air, du sourire collé au visage humain, comme un masque de bouche à l’autre masque : même dans le feu, ce sourire est glacé. On croit voir un peuple de poupées et de pantins en cire. Une femme, passe encore ; mais il me souvient avec horreur d’un danseur scandinave : je ne sais rien de plus ridicule, de plus laid et de plus lourd que ce Lapon gras, fessu, aux larges cuisses, au ventre mou qui faisait la femme, bien pis l’almée.