Les Danaïdes,
ou
Hypermnestre.
Ballet tragique.
en cinq actes.
Personnages.
Danaüs, Roi d’Argos.
Hypermnestre, fille de Danaüs.
Les Danaïdes, autres filles de Danaüs.
Lincée, l’un des fils d’Egyptus et Neveu de Danaüs.
Les autres fils d’Egyptus.
Trsiphone, Alecto, Mégère, Furies.
Le Crime, la Trahison, la Perfidie et le Remords, personnifiés.
Spectres,
Prêtres et Sacrificateurs d’Isis.
Prêtres et Prêtresses de l’Hymen.
Officiers de Danaüs.
Gardes et Soldats.
Officiers de la suite de Lincée.
Première partie.
La décoration représente le Cabinet le Danaüs : un grouppe de figures de marbre eu décore la fond ; une couchette, surmontée d’un riche baldaquin est placée à la gauche de la scène.
Scène i.
Danaüs désespéré de l’union de ses filles avec ses neveux, et de la loi que son frère Egyptus lui impose, médite le projet de se venger ; agité par mille sentimens divers, il exprime le trouble de son ame ; il veut punir l’arrogance d’Egyptus par le massacre de ses fils ; il veut changer les flambeaux de l’Hymen et de l’Amour en torches funéraires, et se servir du bras de ses filles pour porter des coups plus assurés, et se délivrer d’une famille qui lui est d’autant plus odieuse, qu’elle met des bornes à sa puissance et à son ambition. C’est au milieu de ces pensées que Danaüs est interrompu par un bruit souterrain, qui le glace d’effroi ; mais la frayeur de ce Prince redouble, lorsqu’il apperçoit une main qui trace en caractères de feu sur le lambris de son appartement :
Tremble, un fils d’Egyptus, va règner à ta place.
A cet aspect Danaüs épouvanté recule de surprise et d’effroi ; la pâleur de la mort s’imprime sur ses traits ; ses genoux tremblans supportent avec peine le poids de son corps agité.
Scène ii.
Il veut fuir ; mais il est arrêté par des gouffres de feu, qui s’entrouvrent sous ses pas ; l’ombre menaçante de Gélanior(1) lui apparoît, elle confirme au Tyran la fin de son règne ; l’inscription s’enflamme et devient plus terrible ; le bruit s’accroit ; le feu s’exhale de toutes parts, et Danaüs ne pouvant plus soutenir la vüe d’un pareil spectacle, tombe sans sentiment sur une couchette. Le bruit cesse ; la main et l’ombre disparoissent ; les caractères s’effacent ; les gouffres se ferment, et Danaüs revoit la lumière.
Scène iii.
Un de ses principaux Officiers vient l’avertir, que tout est prêt pour l’Hymen des Danaïdes ; que l’on n’attend que lui pour marcher au temple ; ce Prince revenu à peine de son évanouissement, mais dont l’ame est agitée par la frayeur et par la vengeance, fuit avec précipitation un lieu, qui lui paroît d’autant plus redoutable, qu’il vient d’y lire sa destinée.
Deuxième partie.
La décoration représente l’intérieur du Temple d’Isis ; tout y est préparé pour l’union des Danaïdes et des fils d’Egyptus ; un autel consacré à l’Hymen et à l’Amour est élevé au milieu de cet édifice ; les prêtres, les prêtresses et les sacrificateurs entourent cet autel ; les nouveaux époux sont rangés près d’eux ; Hypermnestre et Lincée forment le couple le plus distingué ; Danaüs accompagné d’une suite nombreuse est placé à la droite ; une foule de peuple, témoin de celle cérémonie, est dispersé dans les différentes parties de cet édifice.
Scène i.
Danaüs, vivement troublé, se fait violence pour dérober à ses enfans la situation de son âme, et pour masquer la haine et la rage qui régnent dans son cœur ; il affecte de se prêter avec joie à cette union funeste, mais il a beau dissimuler ; les étincelles de la fureur et de la vengeance décelent la barbarie dont son ame est tourmentée.
Cependant la cérémonie nuptiale se fait avec toute la pompe et tout l’appareil qu’exige une telle union ; les nouveaux époux se livrent à leur commun bonheur ; Hypermnestre et Lincée sont ceux qui expriment avec le plus de vivacité l’excès de leur félicité. Cette fête se termine par des danses caractéristiques, analogues au sujet et au site de l’action, dans les quelles Danaüs soutient son caractère, en mêlant à l’expression d’une joie feinte, les transports d’une haine implacable.
Troisième partie.
La décoration représente une grotte de verdure des jardins de Danaüs, enrichie de vases et de figures de marbre représentant le silence et le mystère ; un autel est placé dans le fond de cette grotte, et il s’élève derrière lui un grouppe de figures dérobé par un voile ; les Danaïdes croyent d’aprés l’aveu de leur père, que ces statues sont celles de l’Hymen et de l’Amour.
Scène i.
Danaüs devancé par deux Officiers fait poser sur l’autel un vase d’or couvert d’un tapis de brocard ; les Officiers se retirent, et les Danaïdes s’assemblent auprès de leur père ; il les engage de jurer par les Divinités, dont il leur dérobe l’image, d’être inviolablement fidelles aux serment d’obéissance qu’il exige d’elles ; Hypermnestre et ses sœurs s’avancent vers l’autel ; elles posent respectueusement la main sur ce marbre sacré, et s’engagent solemnellement et en présence des Dieux, de n’être point parjures à leurs serments ; Danaüs jouissant d’avance du succès funeste de sa ruse barbare, découvre le vase mystérieux ; il ordonne à ses filles de faire le partage de ce qu’il renferme, et elles en tirent chacune un poignard ; immobiles et tremblantes, elles n’osent lever les yeux ; mais leur père, arrachant le voile qui déroboit les statues, montre à ses filles les Divinités, sous les loix des quelles elles viennent de s’ensager. Ce grouppe mystérieux qu’elles regardoient comme celui de l’Hymen et de l’Amour, représente la haine et la vengeance armées de poignards, qui épuisent les traits de leur fureur sur un jeune homme nouvellement couronné par l’Hymen. A ce spectacle, les Danaïdes reculent épouvantées ; Hypermnestre frémissant du crime, que son père exige d’elle, tombe à ses genoux ainsi que ses sœurs ; en vain elles veulent révoquer leurs sermens ; en vain conjurent-elles Danaüs de leur épargner l’horreur et le remords d’un parricide ; ce père barbare est insensible aux larmes et aux prières de ses filles ; il les menace, il entre en fureur, et il leur ordonne en se retirant de lui obéir, et de ne point épargner le sang de leurs époux.
Hypermnestre livrée à la douleur fait tous ses efforts pour engager ses sœurs à renoncer à un projet si horrible ; mais celles-ci, peu sensibles à une union où leur cœur n’est que foiblemeut intéressé, assurent Hypermnestre, qu’elles volent au parricide pour conserver les jours de leur père ; Hypermnestre ne veut point tremper ses mains dans le sang de Lincée, et se retire dans la ferme résolution de tout entreprendre pour le soustraire à la haine de Danaüs.
Quatrième partie.
La décoration représente une magnifique gallerie qui aboutit à la chambre nuptiale. La scène est dans la nuit.
Scène i.
Danaüs est devancé par des Officiers portant des flambeaux ; il exprime son impatience et son inquiétude ; mais étant tout-à-coup frappé par les accens tristes et lugubres et par les cris plaintifs, qui sortent de la Chambre Nuptiale, il ne doute plus que ses filles n’ayent exécuté ses ordres. Il commande à deux Officiers d’ouvrir les rideaux, et à la lueur de leurs torches, Danaüs apperçoit l’horrible tableau du massacre des enfans d’Egyptus ; plusieurs d’entre eux ont passé des bras du sommeil dans ceux de la mort ; quelques-uns de ces infortunés luttent encore contre la parque qui tranche avec peine le fil de leurs jours ; d’autres enfin se traînent avec peine vers les portes de ce monument de barbarie, pour se conserver les restes d’une vie, que leurs cruelles épouses s’efforcent de leur arracher. Danaüs se repaît de ce spectacle ; mais craignant qu’il n’echappe quelque victime à sa vengeance, il enfonce lui-même le poignard dans le sein d’un de ces malheureux, qui imploroit sa clémence ; content de l’énormité de tant de forfaits, il ordonne aux Officiers de fermer les rideaux, et se retire.
Scène ii.
Hypermnestre tremblante paroît tenant un poignard d’une main et une lampe de l’autre. Lincée, qui la cherche, se présente à elle ; il lui demande le sujet de son inquiétude ; Hypermnestre oublie alors ses sermens et les ordres de Danaüs ; le fer lui échappe de la main elle se jette aux genoux de son époux, les arrose de ses larmes, et lui conseille de fuir ; Lincée, qui ne peut abandonner son épouse, la conjure de s’expliquer ; Hypermnestre se tait ; les rideaux s’ouvrent ; Lincée apperçoit les Danaïdes ; leurs cris de désespoir, leurs accens douloureux poussés par le repentir, leurs courses errantes, leurs gestes effrayants glacent le cœur de Lincée. Les cheveux hérissés des Danaïdes, leurs bras ensanglantés leurs physionomies, où la rage est imprimée, annoncent l’énormité de leurs forfaits. A la lueur d’une lampe suspendue dans la chambre nuptiale, Lincée découvre ses frères massacrés et baignés dans leur sang ; la vue d’un tel spectacle le transporte de fureur ; il veut courir au secours de ses frères ; il veut venger leur mort par celle dn cruel Danaüs ; mais ne pouvant plus soutenir l’idée de tant de forfaits, ni résister à la violence de sa douleur, il tombe sans connoissance dans les bras d’Hypermnestre, elle l’entraîne avec le secours de quelques amis fidèles hors de ce lieu d’épouvante ; elle leur confie les jours de son époux ; elle se retire en implorant leur secours, et en leur recommandant de prendre la fuite avec Lincée.
Les Danaïdes restent immobiles à la vue de leur cruel attentat ; ici sortent du lieu du massacre des spectres horribles ; Tisiphone, Alecto, Mégère les accompagnent ; le Crime, la Trahison, la Perfidie et le Remords les suivent ; cette troupe infernale s’empresse à présenter aux Danaïdes les tableaux effrayans de leurs crimes ; les images, qui leur sont retracées par les enfers, leur déchirent l’ame, et leur causent à chaque instant de nouvelles épouvantes ; elles veulent fuir ; mais elles sont sans cesse arrêtées dans leur fuite par les grouppes horribles, qui les dévancent ou qui les poursuivent ; le Crime, le Remord, la Trahison et la Perfidie, conduits par les Furies, les enchaînent, pour ne les plus abandonner ; en vain veulent-elles échapper à la punition, qui les attend ; la terre s’entr’ouvre, il s’en exhale une vapeur épaisse mêlée de flammes ; un bruit sourd et confus ajoute à cette horreur ; un spectre hideux armé d’une faulx, sort à pas lents du souterrain ; son apparition glace d’épouvante l’ame des Danaïdes ; la pâleur de la mort se répand sur leurs traits ; le spectre leur montrant d’une main menaçante la route qu’il vient de leur frayer, leur ordonne d’y descendre ; c’est inutilement qu’elles tentent de se soustraire à sa puissance ; elles sont entrainées par la troupe infernale et les spectres armés de torches funéraires et lugubres les précipitent dans l’empire des morts.
Scène iii.
Danaüs, toujours inquiet et toujours tourmenté, cherche Hypermnestre ; cette Princesse paroît ; à ses pleurs et à la douleur qui l’accable, le Tyran croit ne pouvoir douter de la mort de Lincée ; dans l’instant qu’il lui témoigne sa satisfaction et qu’il cherche à la consoler, des gardes accourent, lui présentent une lettre de ce Prince adressée à Hypermnestre ; à cette vue Danaüs entre en fureur ; il ordonne de courir promptement après ce fugitif ; il commande à ses Gardes d’enchainer Hypetmnestre, et furieux de sa désobéissance il l’accable de reproches, et ordonne qu’on l’éloigne pour jamais de ses yeux.
Scène iv.
Lincée désarmé et chargé de chaînes est conduit à Danaüs ; à cette vue Hypermnestre vole aux genoux de son père ; elle le trouve insensible à ses prières ; Lincée, qui ne respire que la vengeance, honteux de l’abaissement de son épouse, l’arrache de cette posture humiliante ; il accable le Tyran de reproches, et par un geste menaçant il semble braver sa colère. Danaüs ne peut soutenir cet excès d’outrage, et regardant Lincée comme celui que les Dieux ont conservé pour le punir de ses forfaits, il ordonne qu’on l’entraîne au supplice, et que l’on conduise sa fille dans les cachots. Ces deux infortunés se disent d’éternels adieux ; mais Danaüs, jaloux de la douceur qu’ils éprouvent dans ce fatal moment, commande qu’on les sépare, et ils sont cruellement arrachés l’un à l’autre par les gardes qui les conduisent au supplice.
Cinquième partie.
La décoration représente une grande place publique de la ville d’Argos ; un bucher est élevé au milieu de cette place ; dans le fond on apperçoit une partie des fortifications intérieures de la ville ; une foule de peuple est rangée dans cette place, pour être témoin de l’execution qui doit s’y faire.
Scène i.
On amene Lincée paré d’ornemens funéraires ; du coté opposé on conduit Hypermnestre enchaînée ; ici ces deux epoux, prêts à être désunis pour toujours, volent l’un à l’autre, malgré la résistance de leurs gardes, et se donnent en présence de tout le peuple des témoignages de leur mutuelle tendresse : le peuple attentif à l’action de ces amans, s’y intéresse ; le parti de Lincée saisit cet instant pour se soulever contre un Roi Tyran ; la persuasion gagne de proche en proche, et le peuple aussi attendri que convaincu de l’innocence de ces infortunés, se déclare en leur faveur ; la faction s’accroit ; les gardes sont renversés ; le bucher est détruit ; on élève un trône à sa place ; on dépouille Lincée de ses ornemens funéraires ; on lui donne des armes ; on le place sur le trône avec Hypermnestre ; on le proclame Roi d’Argos, et on lui prête d’une commune voix le serment de fidelité.
Scène ii. et dernière.
Danaüs, averti de la révolte, paroît à la tête de quelques troupes encore fidèles ; le combat recommence, mais ses efforts sont repoussés ; rien ne peut résister à la valeur de Lincée secondé des siens : Danaüs, se voyant prêt à être enveloppé, et à recevoir le châtiment qu’il mérite, s’élance sur Hypermnestre, qui, attentive à la conservation des jours de son père et de son époux, a volé au milieu d’eux, pour suspendre ou détourner leurs coups ; il la saisit d’une main, et lève le bras pour lui plonger dans le sein le glaive dont il est armé ; ici, Lincée, voyant le danger d’Hypermnestre, se jette sur Danaüs, lui arrête le bras et le désarme ; un Officier de confiance saisissant cet instant, plonge son poignard dans le sein du Tyran ; déjà la mort s’imprime sur ses traits ; des mouvernens convulsifs annoncent son dernier instant ; il tombe : c’est en vain que sa fille vole vers lui, qu’elle le presse et le conjure de jetter sur elle un regard de clemence ; déjà la mort étend ses voiles sur les traits de Danaüs ; il expire ; Lincée et Hypernmestre receuillent son dernier soupir ; Danaüs toujours cruel détourne avec horreur ses yeux de dessus eux, ou, si par hazard il les regarde, c’est pour leur reprocher sa mort, leur prouver qu’il emporte sa haine, et qu’il expire avec le regret de n’avoir pu éteindre sa vengeance dans leur sang.
FIN.