(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur les fêtes nationales] — Lettre iv. sur le même sujet. » pp. 129-136
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur les fêtes nationales] — Lettre iv. sur le même sujet. » pp. 129-136

Lettre iv.
sur le même sujet.

Le Cardinal Mazarin connoissoit les hommes, et savoit les apprécier ; politique adroit, il avoit étudié soigneusement le caractère léger et insouciant des Français. Il demandoit, un jour, en parlant du peuple, chante-t-il et danse-t-il encore.

Cette question politique fût faite dans un instant difficile ; mais cet instant ne peut-être comparé à celui qui vient de se passer. Le peuple avoit du pain, le luxe naissant venoit au secours de l’industrie ; les arts sortant de leur berceau étoient caressés et encouragés par des récompenses et des distinctions flatteuses. Mazarin avoit sagement prévu qu’ils contribueraient un jour à la grandeur de Louis XIV ; qu’ils feroient l’ornement de son règne, et qu’ils ajoutéroient à la gloire et à la prospérité de la nation. Cette époque étoit bien différente de celle qui fut marquée par la main ensanglantée de Robespierre. Les échafauds élevés par sa cruauté, et alimentés par sa barbarie, fument encore. Les torrens de sang dont il innonda la France ne sont point taris ; le tems n’a pu effacer celui dont sont imprégnés les pavés qui environnoient les guillotines. Ces taches conservées, pas le burin de l’histoire feront passer à la postérité la plus reculée, l’horreur et l’indignation qu’inspire le nom de ce montre. Le souvenir déchirant du passé empoisonne l’instant présent. On tremble, et l’on ne danse pas ; on pleure et l’on ne chante pas.

Ce n’est donc pas dans des circonstances marquées par la douleur et l’infortune générale, que les législateurs doivent s’amuser à donner des fêtes qui n’amusent personne. Ce n’est pas, dis-je, dans un instant qui a fait fuir jusqu’à l’espérance, qu’on peut se flatter de faire sourire l’humanité souffrante.

Non, de long-tems, ce peuple trompé par l’infernal artifice de Robespierre et de ses abominables suppôts, ne reviendra de sa stupeur. Privé de travail, il languit dans la misère, et ses maux sont d’autant plus cruels, qu’il ne peut en calculer la fin.

Notre révolution offre l’image d’un vaste théâtre élevé par la chimère ; tous les genres y sont confondus, toutes les scènes y sont décousues ; on n’y trouve ni ordre ni règle, ni précision, ni ensemble. Le public est trompé tous les jours par des affiches mensongères ; les décorations changent continuellement ; elles représentent quelquefois des sites agréables, lorsqu’ils sont éclairés par les rayons brillans de l’espérance, mais en général elles n’offrent que les contrastes les plus durs et les plus choquans.

D’après ce tableau dont la vue est si affligeante, il est aisé de se persuader que toutes les fêtes immorales et insignifiantes que l’on donnoit au peuple, au moment de son délire et dans le cours de sa convalescence, ne pouvoient le mettre en belle humeur. Le prestige de la liberté et de l’égalité avoit disparu ; le peuple avoit renoncé à sa prétendue souveraineté ; et ceux de ces petits souverains, qui avoient le plus de bon sens, regardoient toutes ces fêtes comme des épigrammes, d’autant plus sanglantes, qu’elles retraçoient leur égarement passé et leur misère présente.

Je reviens à mon sujet. Le but de toutes les fêtes qui fûrent données en France, depuis la mort de Louis XIV, fut toujours manqué, parce qu’on ne s’attacha qu’aux accessoires, et qu’on leur sacrifia le fond du sujet. Aussi, ne brillèrent-elles que par l’éclat passager des illuminations et des fusées volantes. Le génie et l’imagination ne pûrent s’associer à ces compositions monotones. Aussi, le résultat de toutes ces fêtes maladroitement combinées, n’offrit que du bruit et de la fumée.

Je crois vous avoir dit, Monsieur, que je ne prétendois pas bannir ces feux et ces illuminations ; mais je les rangerai toujours dans la classe des accessoires d’ornement, qui peuvent s’adapter aux parties intéressantes d’un vaste tableau. Je voudrois qu’on eût l’art de donner à ces feux et à ces illuminations, un caractère d’intérêt et de nouveauté qu’ils n’ont point encore atteint et qu’il seroit possible de leur imprimer : dèslors ils deviendroient partie d’un grand tout.

Je ne prétends pas dire non plus qu’on dût rassembler sept à huit cens mille âmes dans le même emplacement ; une telle fête n’offriroit que désordre et confusion ; des accidens graves en seroient les suites, et changeraient bientôt ce beau jour, en un jour de calamité et de deuil.

On ne peut donc eviter tous ces dangers qu’en divisant cette masse énorme, et en donnant au peuple autant de fêtes particulières, qu’il y a de faubourgs et de sections différentes.

Lorsque le gouvernement s’occupera de donner une grande fête, pour célébrer un événement qui fixera le bonheur et la prospérité et la France, tel que celui d’une paix générale, il faut alors qu’elle soit, par la réunion du goût à la magnificence, digne de l’objet intéressant qui la détermine ; il faut que les etrangers de toutes les parties de l’Europe en payent les frais en s’amusant ; il faut que cette fête soit grande, parce que c’est une grande nation entourée de victoires et de triomphes, qui la donne. Il faut que les talens qui embellissent la France, y déployent à l’envi tous les trésors des arts qu’ils cultivent ; il faut enfin, prouver à l’Europe étonnée, que les flots ensanglantés de la révolution, les guerres intestines et étrangères, la stagnation du commerce et de l’industrie, les calculs multipliés de la malveillance, les ravages de l’usure, l’anarchie des opinions, la disette et la mort, enfin que les calamités les plus effrayantes n’ont pu, enlever à la France cette troupe d’artistes célèbres, qui, dans les beaux jours de la paix, consacreront leurs plumes, leurs ciseaux, leurs burins et leurs pinceaux à immortaliser tous les grands traits de courage et de bravoure qui ont illustré nos armées. On me dira, sans doute, que le peuple, est curieux ; je le sai, qu’il veut tout voir, j’en conviens ; mais il est des moyens de satisfaire ce sentiment impérieux, sans confusion, sans embarras. Il est facile de prévenir le désordre par son contraire ; c’est-à-dire, par l’ordre le plus exact, le plus scrupuleux et le plus sagement maintenu.

En connoissaut la curiosité du peuple, je ne puis ignorer qu’il est des genres de spectacles qui l’attachent de préférence. La vüe de bœufs, de veaux et de moutons à la broche, lui seroit-elle indifférente ? quelques colonnes entourées de cervelas et de jambons ; quelques fontaines dont découleroient du vin, de la bièrre et du cidre ; un tel ordre d’architecture ne lui plairoit-il pas davantage que le Toscan, l’Ionique et le Corinthien ?

En approuvant ma distribution, on ne manquera pas de m’observer que le peuple voudra voir ce qu’on aura préparé au champ de Mars. Hé bien, on le lui montrera, en faisant ce qui n’a jamais été fait dans une ville où les ressources sont immenses en ouvriers et en artistes de toute espèce.

Je veux dire que, deux jours avant celui destiné à donner la fête, il n’y aura pas un clou à mettre, un coup de pinceau à donner, que tout sera parfaitement terminé, excepté l’illumination à placer. Cet ouvrage, ainsi que l’artifice, est réservé pour la veille, ou le jour même de la fête.

Pour venir au devant de toutes les objections, soit raisonnables, soit puériles ; je dirai que le peuple après avoir vû tous les grands préparatifs de la fête, jouiroit encore du spectacle le plus pompeux et le plus imposant. Le cortège auguste, qui se rendroit au Champ de Mars, passeroit par les Boulevards ; le peuple admireroit l’appareil le plus frappant et le plus maguifique. Je vais en tracer la richesse et la variété.

Premièrement, deuxièmement, troisièmement, quatrièmement, cinquièmement, sixièmement, septièmement, huitièmement, neuvièmement, dixièmement, onzièmement, douzièmement.

Vous avouerez que tant de merveilles réunies par le goût et la puissance des arts, le frapperoient d’étonnement et exciteroient ses applaudissemens.

Une barrière insurmontable, placée à l’entrée du pont de la révolution, arrêteroit la curiosité.

Lorsque le peuple auroit vu passer cette marche pompeuse et triomphale, qu’il auroit examiné la forme et le goût des accessoires, considéré l’elégance, la richesse, et le bel ordre de cette marche ; que lui resteroit-il de mieux à faire, que d’aller manger, boire, chanter et danser ?

Je crois qu’il n’y a pas de parti plus sage que celui que je propose.

L’architecture feinte et la peinture déployeroient, dans l’enceinte du Champ de Mars, toutes leurs richesses.

On dépasseroit cette enceinte, et la scène offriroit une vaste plaine à l’imagination. C’est là où je placerai le dénouement de cette fête auguste.

Le Champ de Mars présenteroit à l’œil toutes les merveilles des arts réunis, dont je m’empresse de vous transmettre les détails.

Premièrement, deuxièmement, troisièmement, quatrièmement, cinquièmement, sixièmement, septièmement, huitièmement, neuvièmement, dixièmement, onzièmement, douxièmement.

Vous conviendrez que rien au monde ne peut être comparé à ce vaste plan, que l’on nommeroit le miracle des arts.

Il nous reste la rivière, et les bords fortunés de la Seine. De son lit paisible et tranquille, il s’éleverait mille enchantemens, et l’intervalle qui sépare le Champ de Mars de la rivière, offriroit à l’œil étonné, les objets que je vais vous décrire.

Premièrement, deuxièmement, troisièmement, quatrièmement, cinquièmement, sixièmement, septièmement, huitièmement.

Avouez, Monsieur, que tant de belles choses réunies par le goût et par le génie des arts, offriroient un ensemble vraiment miraculeux, un spectacle unique et ravissant, une fête absolument neuve, où tout brilleroit sans se heurter et sans se détruire, et qui honoreroit autant la nation qui la donneroit, que les artistes qui l’exécuteroient.

Enfin, Chaillot et Passy seroient pour moi le nec plus ultra de mes idées ; ce riche amphithéâtre serviroit de fond à ce grand tableau. En voilà bien assez ; gardons quelque chose pour l’avenir. Vous connoissez les numéros que je viens de vous donner, comme je connois les vôtres. Attendons le moment ou les rayons bienfaisans de la paix, feront germer et croître les grandes idées. Cet instant fortuné, qui ramènera le calme et l’abondance n’est peut-être pas éloigné. Un génie bienfaisant peut le rapprocher, que dis-je, le faire arriver. Je le souhaite ; les amis de l’humanité forment le même vœu ; il est général, il intéresse cent millions d’individus accablés et ruinés par le fléau destructeur de la guerre. Il est tems de mettre un terme à ces affreuses calamités ; il est tems d’arrêter l’effusion du sang, et de cesser d’envoyer à la mort, ceux qui assurent notre subsistance et notre vie, ceux qui, font fleurir et prospérer l’agriculture, première richesse de la France, source intarissable du bonheur, de la sécurité et de la grandeur de la nation.

Je suis, etc.