Lettre ii.
sur le même sujet.
Oui, Monsieur, je l’ai vue cette fête des victoires, qui n’étoit point celle du goût et de l’imagination. Vous voulez que je vous en dise un mot, un seul mot. Eh bien ! je dirai, Fi ! le public éclairé à prononcé sur cette rapsodie, et je n’ajouterai rien à la critique judicieuse qu’il en a faite. Je me contenterai d’observer que le local étoit trop grand, et la fête trop petite ; que le temps, pour la concevoir et l’exécuter, étoit trop court, et la dépense trop mince ; que cette fête allégorique qui devoit retracer majestueusement tout ce que nos victoires ont eu d’éclatant, ne peignoit rien et n’avoit rien d’imposant, ni de relatif à son titre ; que les auteurs, en manquant le but, n’avoient offert qu’un galimatias de petites choses incohérentes, nullement propres à inspirer l’enthousiasme.
Lorsqu’une fête, de quelque genre qu’elle soit, ne parle ni à l’œil ni à l’imagination, que faut-il en penser ? ce que je ne conçois pas, c’est de voir des artistes célèbres se disputer le triste honneur d’exécuter des plans tracés par la sottise et l’ignorance, sacrifier gaiement leur réputation à un paquet d’assignats, et se donner enfin des tourmens incroyables pour enfanter douloureusement une souris.
J’ai partagé avec une foule immense de spectateurs, le désagrément de ne rien voir, de ne rien distinguer ; tout me paroissoit si petit et si maigre, que je me croyois transporté chez les Lilliputiens ; n’eût-il pas été plus prudent de supprimer les programmes mensongers, et d’y substituer des microscopes ?
Comment-est-il possible, lorsque l’on construit, qu’on élève, qu’on décore et qu’on distribue, d’oublier l’étendue du local, de ne point combiner les distances entre les spectateurs et les objets qu’on doit leur présenter ? n’est-il pas extravagant de vouloir peindre en miniature sur une toile de cent pieds ? Est- il permis enfin de ne point se subordonner aux règles du lointain, puisées dans les loix immuables de la perspective ?
Eh bien ! ces conditions premières, sans les qu’elles il ne peut exister d’effets, ont été violées ; aussi tout étoit pauvre et décousu. Lorsque les productions des arts s’annoncent sans principes et sans proportions, elles choquent les yeux et révoltent le bon goût.
Au reste les accessoires de cette fête affichoient l’inconséquence et la misère ; les drapeaux, les étendards, les banderoles et les trophées de la victoire, étoient de papiers aux couleurs de la nation ; une petite pluie humecta tous ces attributs ; elle fut suivie d’un coup de vent impétueux qui déchira tous ces simulacres, de telle sorte que le ciel fut éclipsé par l’immense quantité de papiers que Borée y enlevoit.
Delà, de sots propos, de méchians quolibets, de plattes épigrammes sur la fragilité du papier. Je ne fus point étonné du brouhaha et du bourdonnement affreux qui retentissoient à mes oreilles ; je quittai la fête, car lorsque le parterre à de l’humeur, les plus excellentes pièces sont siffilées.
Les fêtes, en général, sont filles du génie et de la paix. Ce sont les arts réunis, enfans du goût et de l’imagination, qui doivent y déployer leur magie enchanteresse, et transporter, par leur puissance, les spectateurs dans des règions célestes. Tel est leur empire, lorsqu’ils opèrent de concert, et qu’ils ont le bon esprit d’associer leurs efforts pour enfanter des prodiges.
J’ai dit ailleurs que les arts sont frères ; qu’ils composent une même famille, qu’une chaîne imperceptible les lie l’un à l’autre ; que le but de leurs travaux est un, l’imitation de la belle nature ; qu’ils y arrivent par des principes différens et par des routes diverses ; mais l’amour-propre, la jalousie et toutes les petites passions qui dégradent les hommes, et qui avilissent les artistes, contribuent nécessairement à leur désunion, et s’opposent toujours à leurs progrès.
J’ajouterai, cependant, que si les artistes n’ont pas brillé dans toutes nos fêtes, avec l’éclat et la splendeur que leurs talens leur assuroient, la faute en est aux petits intriguans qui captent, à force de bassesses, la confiance et la protection des hommes en place.
On sait que la France est la patrie et le sol des arts et des talens en tout genre. Si ces plantes heureuses et fécondes produisent quelques fois des fleurs et des fruits médiocres, il faut en accuser les cultivateurs inéptes ou ignorans.
Je reviens à mon objet. Le plateau qu’on avoit élevé au centre de la place, et qui étoit le point principal et unique de la fête, étoit écrasé et à peine apperçu. Il eut fallu en doubler au moins l’élévation, puisque c’étoit sur ce pâté, ou cette éminence, que le directoire se donnoit une fête. Je dis se donnait, car, assurément la fête n’étoit point pour le peuple, qui méritoit, au moins, les égards dûs au maître du logis ; mais qu’on paroissoit n’avoir invité ce jour-là, que pour l’insulter et le rudoyer, au point que, de l’extrémité où il se trouvoit relégué, il ne pouvoit pas même distinguer les grands hommes, auteurs, acteurs, et devenus seuls spectateurs de cette sublime création.
Tels sont les résultats facheux de l’imagination froide et barbare de nos petits faiseurs. Telles sont les suites ordinaires, et malheureusement trop fréquentes, de la protection accordée aveuglement à l’intrigue et à l’ignorance. Comment trouve-t-on des artistes assés complaisants, pour se charger de l’exécution de plans aussi absurdes ? Servandoni aimoit l’argent, mais il avoit du génie et du goût ; jamais il n’auroit compromis sa réputation ; jamais il n’auroit consenti à suivre des idées aussi plattement conçues ; le sourire du mépris eût accompagné son réfus.
Les arts doivent s’annoncer avec majesté ; ce qu’ils créent doit être noble, simple et grand, à l’exclusion du gigantesque, la beauté ne peut exister sans proportions ; une imitation outrée, dégrade l’artiste, et choque le bon goût. L’imitation de la belle nature, doit lui ressembler, et être, autant qu’il se peut, la nature même. Si cette imitation est exagerée, ou manierée, elle ne présente que des caricatures ou monstrueuses ou grimacières.
Le mot fête annonce quelque chose de grand et de magnifique. Ce mot est l’éveil de la curiosité, parce qu’il fait espérer du merveilleux. Une fête, je le repete, est ou doit être un poème. Elle n’est point assujétie à la règle des unités, mais elle doit avoir, comme tout ouvrage des arts, un commencement, un milieu et une fin. Le sujet principal, l’étendue du local, doit en fixer la distribution et l’ordonnance. Dans tous les cas, il faut qu’elle ait, ainsi que les ouvrages dramatiques, son exposition, son nœud et son dénouement.
D’après ces principes, une fête telle que je la conçois, doit avoir des parties différentes ; chacune d’elles doit présenter des cadres nouveaux et perpétuellement variés d intérêt et de situation ; chacune de ces scènes doit offrir des contrastes heureux et artistement ménagés.
Pour répandre plus de clarté sur ce que je viens de dire, je citerai la Henriade. Ce beau poëme est divisé en plusieurs chants ; chacun d’eux offre des scènes variées, des sentimens, des passions et des intérêts divers. Tous ces chants présentent à l’imagination une foule de tableaux peints par le génie, et de chant en chant, on arrive au dénouement : hé bien, une fête est un poëme héroïque ; elle doit réunir le même intérêt, la même variété, et les mêmes contrastes.
Il est tard, les jours sont courts, et ma lettre est longue ; demain ou après, je reprendrai mon sujet, et j’entrerai dans de nouveaux détails.
Je suis, etc.