(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur la musique] — Réponse à la question proposée. — Lettre xvii » pp. 96-101
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome IV [graphies originales] « [Lettres sur la musique] — Réponse à la question proposée. — Lettre xvii » pp. 96-101

Lettre xvii

Je vous ai annoncé dans mon avant-dernière lettre, Madame, que je ne vous nommerois que ceux des danseurs et danseuses qu’on peut regarder comme les modèles de leur art ; cependant ceux qui s’efforcent de les copier, ne sont pas sans mérite et je ne hazarderai rien, en avançant que dans le nombre des sujets qui contribuent aux charmes et à la magie des ballets, on en trouverait une douzaine au moins, capables de remplir avec succès les premières places dans les plus beaux théâtres de l’Europe, et qu’ils en feraient les délices et l’ornement. Je regarderois comme avantageux à leur intérêt et à leur réputation qu’ils obtinssent des congés. Le Midi et le Nord les accueilleroient avec plaisir ; et la danse de l’opéra, beaucoup trop nombreuse, n’en seroit pas moins belle. L’absence de sept ou huit sujets produiroit une diminution d’appointemens et de feux.

La danse de l’opéra a éprouvé des pertes. La plus récente est celle de la Demoiselle Chamerois, danseuse charmante qui luttoit avec avantage contre Vestris, son danseur favori : même force, même hardiesse, même vigueur ; elle à voit sur lui l’avantage du sexe et celui des grâces qui l’accompagnent. La parque a moissonné cette plante jeune et précieuse.

Les poëtes attendirent ce fatal instant pour célébrer ses talens. Dans leur enthousiasme, ils n’invoquérent ni Apollon ni Minerve. Le plus estimé de ces poëtes ; dans un écart de génie, crut devoir s’adresser, à St. Roch, à son chien ; il fit intervenir dans cette bagatelle les Saints et les Saintes du Paradis. L’autre eût recours à St. Thomas ; partout il n’a trouvé que des incrédules ; les fleurs que l’un et l’autre ont semées sur la tombe de l’Ampuse moderne étoient mêlées de ronces, d’épines, et de chardons ; de feuilles de ciguë, d’absinthe, et de bagnodier. Ces deux plaisanteries, l’une poëtique, l’autre rimaillée, ont fait sur les lecteurs des impressions différentes ; la première excita le sourire, mais scandalisa les amis des mœurs ; l’autre fit bailler les gens de goût ; elle fut jettée au feu, sans produire ni flamme ni éteincelles : Quant à moi, Madame, qui n’ai pas la hardiesse de prononcer sur les ouvrages d’esprit, et qui n’en juge que par sentiment, j’ai regardé le premier pamphelet, le mieux écrit, comme une étourderie d’autant moins excusable que l’auteur n’avoit pas besoin de cette futile production pour faire preuve de talent. C’est-à lui que nous devons les Etourdis, charmante comédie, pleine de finesse, d’enjouement et d’esprit et dont plusieurs scènes peuvent le disputer à celles de nos meilleurs comiques.

Je reprends mon sujet. D’autres pertes successives ont diminué le nombre des danseurs qui ne se trouve plus en proportion avec celui des danseuses. Soit inconstance, frivolité ou dégoût, Didelot, des Hays et Laborie ont quitté l’opéra : le premier est à Pétersbourg, le second à Milan, et le troisième à enchanteresse de mouvemens, imprimés par les graces et embellis par le charme des contours, prétoit à leur danse un air céleste. On espère que la Dlle. Clotilde ne se laissera plus entraîner au torrent impétueux de la mode : lorsqu’elle cessera de sacrifier à sa marotte, elle sera le modèle parfait de la belle danse et d’un genre perdu qu’elle seule peut faire revivre.

Mlle. Heinel a épousé Vestris le père et la Dlle. Rose vient de mourir à St. Pétersbourg.

La retraite, trop précipitée sans doute de Me. Perignon, danseuse remplie de talent, auroit laissé un vuide considérable, si elle n’eût été remplacée par la Dlle. Colomb. Le genre de cette dernière, celui qui s’ajuste le mieux à sa petite taille et à ses moyens physiques, est celui de pâtre ; mais ce genre à disparu avec Dauberval, et ce charmant modèle n’a point encore été copié. Il seroit à désirer que la Demoiselle Colomb fut constamment placée dans ce genre qui lui sied à merveille ; mais il semble qu’on a trop généralisé ses talens, et par cette raison, elle sort très souvent du cadre qui lui est propre et qu’elle rempliroit avec d’autant plus de distinction, qu’elle a un mérite réel, et que la nature lui a donné tous les moyens adaptés à un genre qui demande de la gaieté, des graces naïves, de l’esprit, du brillant, de la gentillesse et de la vigueur.

Il est pénible pour moi, Madame, de me trouver dans l’impossibilité de vous parler d’une foule de danseuses dont la majeure partie mériteroit un éloge séparé, et dont l’autre annonce de grandes dispositions ; talent malheureusement rare, celui d’être intéressante dans tous les genres, mais des accidens et une douleur fixée dans les genoux, l’ont forcée dans plusieurs circonstances de suspendre ses travaux habituels, et cet état d’inaction lui a procuré beaucoup plus d’embonpoint qu’il n’en faut au théâtre et dans un genre surtout qui exige de belles proportions. Cependant la Dlle. Allard étoit devenue très-grasse, sans rien perdre de sa vigueur, de son brillant, de sa prestesse, ni de la gaité franche qu’exige le genre villageois. Elle fit les délices du public jusqu’au moment de sa retraite ; tel est l’empire des grands talens ! tel sera celui de la Dlle. Chevigny, qui a tous les genres à sa disposition.

La Dlle. Clotilde est élève de Vestris le père : c’est faire son éloge. Cette danseuse a une taille noble et majestueuse ; c’est une belle Diane. Sa danse est fière, son exécution est franche, son genre est le sérieux, Mlle. Clotilde a de grands moyens de développemens ; elle peut parcourir le théâtre avec l’élégance que lui donna son physique et avec les grâces que lui prêtent son sexe et ses talens. Mais les amateurs de cet art et les hommes de goût trouvent qu’elle abuse de ses moyens, et que par une imitation pernicieuse, elle se livre à des courses, à des gambades qui dégradent, la sagesse que ce genre exige. Elle ne doit point oublier qu’elle remplace les deux favorites de Terpsicore Mlle. Heinel et Rose. Leur brillante exécution étoit compassée ; les belles proportions y règnoient ; une harmonie enchanteresse de mouvemens, imprimés par les grâces et embellis par le charme des contours, prêtoit à leur, danse un air céleste. On espère que la Dlle. Clotilde ne se laissera plus entraîner au torrent impétueux de la mode : lorsqu’elle cessera de sacrifier à sa marotte, elle sera le modèle parfait de la belle danse et d’un genre perdu qu’elle seule peut faire revivre.

Mlle. Heinel a épousé Vestris le père et la Dlle. ROSE vient de mourir à St. Pétersbourg.

La retraite, trop précipitée sans doute de Me. Perignon, danseuse remplie de talent, auroit laissé un vuide considérable, si elle n’eût été remplacée par la Dlle. Colomb. Le genre de cette dernière, celui qui s’ajuste le mieux à sa petite taille et à ses moyens physiques, est celui de pâtre ; mais ce genre a disparu avec Dauberval, et ce charmant modèle n’a point encore été copié. Il seroit à désirer que la Demoiselle Colomb fut constamment placée dans ce genre qui lui sied à merveille ; mais il semble qu’on a trop généralisé ses talens, et par cette raison, elle sort très souvent du cadre qui lui est propre et qu’elle rempliroit avec d’autant plus de distinction, qu’elle a un mérite réel, et que la nature lui a donné tous les moyens adaptés à un genre qui demande de la gaieté, des grâces naïves, de l’esprit, du brillant, de la gentillesse et de la vigueur.

Il est pénible pour moi, Madame, de me trouver dans l’impossibilité de vous parler d’une foule de danseuses dont la majeure partie mériteroit un éloge séparé, et dont l’autre annonce de grandes dispositions ; mais pour donner à chacune d’elles la portion d’encens qu’elle mérite, il faudroit que je les visse souvent pour les bien apprécier.

Quant aux observations que j’ai faites, je les crois justes et raisonnables. On ne peut les ranger dans la classe de cette critique amère qui blesse, sans instruire. J’ai dit la vérité. Mon âge, soixante années de travaux et de recherches, m’ont acquis, peut être, le droit de parler, de juger et de prononcer sur un art que j’ai approfondi, et au quel j’ai ouvert une nouvelle carrière. Je me suis exprimé avec vérité. J’ai loué tout ce qui mérite de l’être et je me suis dispensé d’encencer les écarts et les erreurs qui sopposent à la perfection d’un art qui fait les délices de toutes les nations de l’Europe, et dont le temple pompeux s’élève avec majesté au centre de la capitale des sciences, des arts, des talens et du goût.

 

J’ai l’honneur d’être etc.