(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Pyrrhus et Polixène. Ballet tragique. » pp. 205-214
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Pyrrhus et Polixène. Ballet tragique. » pp. 205-214

Pyrrhus et Polixène.
Ballet tragique.

Personnages.

  • Pyrrhus , fils d’Achille, Genéral des Grecs.
  • Polixène , fille de Priam.
  • Priam , Roi des Troyens.
  • L’ombre d’Achille .
  • Dames troyennes , Captives.
  • Capitaines et soldats troyens , Captifs.
  • Officiers Grecs .
  • Soldats Grecs .
  • Prêtres et sacrificateurs d’Apollon .

Première partie.

Le fond du théatre représente la ville de Troye : ou voit à la gauche le péristile d’un temple dédié à Jupiter ; la droite offre une partie du palais de Priam.

Scène I.

Pyrrhus, profitant de la brèche que les Troyens viennent de faire à leur ville, pour y donner l’entrée à l’enorme cheval qui renfermoit des hommes armés, et que les Grecs avoient fait construire et feint d’abandonner ensuite, pour surprendre la crédulité des ennemis ; Pyrrhus tombe sur les Troyens ; il fonce dans leur ville ; il y répand le carnage et la mort et la fait incendier par ses troupes. Les Troyens épouvantés ne peuvent échapper au trépas, qu’en acceptant des fers ; le feu se communique de proche en proche ; déjà il embrase le palais de Priam, qui, près de crouler sur ses fondemens ne permet plus à ce Prince infortuné de s’y réfugier. Il se sauve avec un petit nombre des siens vers le temple de Jupiter, et s’efforce en vain de chercher un azile contre la mort. Pyrrhus qui est à sa poursuite et qui veut l’immoler à sa fureur l’atteint au peristille du temple. Ce Roi prosterné aux pieds de la statue de Jupiter, semble lui rendre graces de la conservation de ses jours ; mais Pyrrhus, avide d’un sang qu’il déteste, égorge Priam sur les marches de ce temple ; il l’entraîne mourant et ensanglanté au milieu de ses soldats, et ce sang, que les Grecs prennent plaisir à voir couler, est le signal de la clémence ; Pyrrhus ordonne à ses troupes de n’en plus répandre ; mais de charger de fers tous ceux qui ont évité la mort, à ce saccagement général succède la destruction et la ruine totale de la ville et du palais de Priam consumé par les flammes. On voit défiler par les derrières de cette ville les Troyens et les Troyennes enchaînés ; les Grecs portent les trophées de la victoire ; les uns sont chargés des dépouilles des vaincus, les autres le sont des trésors de Priam ; ce qui forme une marche triomphale mêlée des cris et des pleurs de tous ceux qui, avec leurs biens, ont perdu leur liberté.

Seconde partie.

Le fond de la décoration représente une mer couverte de vaisseaux, et les deux cotés du théâtre offrent le camp des Grecs ; la tente de Pyrrhus est distinguée par sa richesse et sa magnificence.

Scène I.

Une marche de triomphe annonce l’arrivée du vainqueur ; Pyrrhus, précédé par une foule d’esclaves et de soldats, paroît sur un char formé des trophées de la victoire. Il est traîné par les officiers captifs ; les dames Troyennes y sont enchaînées, et elles expriment ce que la douleur et le désespoir ont de plus affreux ; ce char pompeux se démembre par une volte ; chaque morceau qui s’en sépare, compose un trophée, et il n’en reste qu’une espèce de trône élevé, sur le quel Pyrrhus est assis ; les vaincus se prosternent à ses pieds ; ils forment avec leurs boucliers des dégrès par les quels Pyrrhus descend. Les Grecs célèbrent le triomphe de ce héros par des danses guerrières, au bruit des timballes et des instrumens consacrés à la guerre.

Scène II.

Polixène, fille de Priam, qui avoit tenté d’échapper à un esclavage honteux, est conduite à Pyrrhus. Elle lui est présentée dans les fers. La beauté de cette Princesse, son air majestueux, et cette noble fierté qui la caractérise au milieu des plus grands malheurs, frappent Pyrrhus de surprise et d’admiration ; les dames Troyennes oublient leurs chaînes pour voler vers elle ; Polixène reçoit leurs hommages avec cette bonté imposante, et cette fermeté héroïque, apanage des grandes ames. Un des principaux officiers remet dans cet instant à Pyrrhus le poignard avec le quel cette Princesse avoit voulu trancher ses jours, lorsqu’il l’arrêta ; la vue de ce fer retrace à son imagination tous les malheurs ; elle vole vers Pyrrhus, elle le conjure de mettre fin à une vie qui l’importune et lui paroît odieuse ; elle se jette à ses genoux ; elle lui présente son sein et elle l’invite à y plonger le fer qu’il tient à la main. Pyrrhus, frappé d’un courage si héroïque, et encore plus de sa beauté, n’est plus maître de résister à l’impression que les charmes de Polixène ont faites sur son cœur ; le poignard lui échappe de la main, il se jette dans ses bras ; il détache ses fers, et semble lui-même implorer sa clémence. Polixène lui demande la liberté des Troyens et des dames Troyennes ; elle lui est accordée ; tout ce peuple de vaincus se prosterne aux pieds de Pyrrhus et partage sa reconnoissance entre lui et Polixène, qu’il regarde comme l’instrument précieux de sa liberté, l’unique objet de la clémence de Pyrrhus. Ce changement de fortune fait renaître le calme dans tous les cœurs ; la joye, qui en est le symbole, éclate de toutes parts. Tous se livrent à des danses figurées qui expriment également leur allégresse et leur reconnoissance.

Pyrrhus est inquiet ; vivement agité par les mouvemens de son cœur, il oublie cette fête, l’ouvrage de sa valeur et de sa clémence, pour ne penser qu’à Polixène. Cette Princesse de son côté, aussi occupée de ses sentimens que Pyrrhus l’est des siens, porte moins ses regards sur les jeux qui lui sont offerts, que sur son vainqueur. Placés l’un et l’autre sur deux estrades opposées, leurs yeux se rencontrent, s’évitent, et se retrouvent. Ces deux amans peignent dans cette scène muette tous les mouvemens qui agitent leur ame.

Pyrrhus ne pouvant plus résister à l’impression vive que Polixène a faite sur lui, rompt le silence et lui offre son cœur et sa main : cette Princesse dissimule une partie de son trouble, et dérobant à son vainqueur le secret plaisir qu’elle ressent, elle feint de douter de la sincérité de ses sentimens. Pyrrhus s’empresse de détruire des soupçons qui l’offensent, et lui promet de lui engager sa foi en présence des prêtres d’Apollon, et de tout son camp ; il commande à un de ses principaux officiers l’appareil d’un pompeux sacrifice. Ici, Polixène se livre à sa passion avec moins de contrainte, et Pyrrhus, au comble de ses vœux, exprime que rien n’est comparable à sa félicité. Il présente la main à Polixène ; et il ordonne à toute sa suite de l’accompagner pour être témoin d’une union qui va faire son bonheur.

Troisième partie.

Le fond du théâtre représente le magnifique portique du temple d’Apollon ; les deux côtés offrent les campagnes de Sigée. On y voit le tombeau d’Achille.

Scène I.

Les sacrificateurs et les prêtres se préparent à faire le sacrifice. Pyrrhus et Polixène paroissent. Ils sont suivis d’un nombreux cortège. La vue du tombeau d’Achille, et le souvenir des vertus de ce héros pénétrent tous les cœurs de respect et d’admiration. Les guerriers de la suite de Pyrrhus, se sentant animés de ce feu qu’inspire la valeur, se livrent à des jeux qu’ils ont institués, pour honorer la mémoire de ce grand capitaine. Les prêtres entrent dans le temple pour y consulter l’oracle. Pyrrhus et Polixène, impatiens de s’unir l’un à l’autre, expriment combien cette union importe à leur bonheur ; ils peignent l’inquiétude dont leur âme est agitée.

Le grand prêtre et les sacrificateurs sortent du temple. Leur air consterné jette Polixène et Pyrrhus dans la plus cruelle incertitude. Le grand prêtre leur fait entendre que les augures ne leur sont pas propices ; Pyrrhus, au désespoir, se flatte que le sacrifice, qu’il va offrir, lui rendra les dieux favorables ; il entre dans le temple ; mais ses vœux et ses offrandes sont rejettés ; la terre tremble, les éclairs percent la nue ; la foudre gronde, l’obscurité se répand par-tout. Les prêtres effrayés abandonnent les fonctions de leur ministère. Pyrrhus et Polixène sortent du temple et sont glacés d’horreur. Leur suite épouvantée s’empresse de fuir un lieu si redoutable.

Pyrrhus abattu et Polixène consternée sont immobiles ; l’arrêt de leur malheur semble les avoir anéantis. Cependant l’espérance renaît dans le cœur de ces amans, ils veulent tenter une seconde fois de fléchir le courroux des dieux. Ils marchent vers le temple ; mais des gouffres de feu leur en interdisent l’entrée ; leurs soupirs et leur encens sont repoussés par des coups de tonnerre ; la terre tremble de nouveau ; le tombeau d’Achille s’entr’ouvre ; et l’ombre menaçante de ce héros apparoît ; la pierre qui couvre cette tombe s’enflamme et on lit en caractères de feu :

Arrête et frémis, si le sang de Polixène n’appaise mes manes irrités.

A ce spectacle affreux, les cœurs sont glacés d’effroi. L’ombre disparoît. Polixène exprime sa douleur ; Pyrrhus peint son desespoir ; il se jette aux genoux de son amante éperdue, et fait tous ses efforts, pour la rassurer. Il vole ensuite vers les prêtres ; il les conduit au tombeau de son père ; il s’y prosterne avec eux et tâche en vain de le fléchir. Ses vœux et ses prières irritent davantage les manes d’Achille. La foudre en courroux redouble ses éclats ; la terre y répond par d’horribles secousses ; les vents se déchaînent ; l’impétuosité de leur souffle ajoute encore au terrible de cette situation. Le tombeau s’embrase de nouveau ; l’inscription devient plus ardente ; l’ombre menaçante du héros s’élève toute entière au dessus de la tombe ; elle tient un poignard à la main ; elle le jette à son fils, en lui ordonnant d’égorger Polixène ; ce héros recule d’horreur ; il frémit d’un ordre aussi barbare ; et sa main et son cœur se refusent à l’obéissance ; Polixène ramasse ce poignard ; elle jette un regard fier et terrible sur l’ombre d’Achille. Elle va se le plonger dans le sein, lorsque Pyrrhus vole, lui arrête le bras et la désarme. Ce Prince au comble du désespoir veut lui-même s’arracher la vie ; dans ce moment Polixène se jette à ses genoux ; le coup est suspendu par les regards, et les larmes de cette Princesse ; il se laisse aller dans ses bras, et il se livre aux divers sentimens qui déchirent son âme. Polixène profitant de cet instant se saisit du poignard ; elle se lève, se perce le sein et se traîne mourante vers le tombeau d’Achille ; l’ombre satisfaite disparoît. Les caractères de feu s’éteignent avec les jours de Polixène ; le ciel s’éclaircit ; les nuages se dissipent ; et c’est en vain que l’infortuné Pyrrhus tente d’unir son sang à celui de son amante. Les officiers Grecs, attentifs à la conservation des jours de ce héros, s’opposent à l’exécution d’un dessein si barbare.

Ici se termine ce spectacle par deux tableaux intéressans ; l’un représente Polixène égorgée au pied du tombeau d’Achille et entourée des dames Troyennes qui expriment ce que les regrets et la douleur ont de plus amer ; l’autre offre Pyrrhus accablé de désespoir et évanoui dans les bras des guerriers empressés à le secourir, et à l’arracher d’un séjour qui lui retraceroit son infortune et ses malheurs.