Enée et Didon.
Ballet tragique.
Personnages.
- Didon , Reine de Carthage.
- Enée , Prince Troyen.
- Jarbe , Prince Maure, et Roi des Gétuliens.
- L’Amour , sous la forme d’Ascagne.
- Junon .
- Vénus .
- Femmes de Didon .
- Carthaginois .
- Troyens .
- Gétuliens.
- L’hymen .
Première partie.
La décoration représente un bois sacré, terminé par un temple dédié à Junon.
Scène I.
Didon, vivement éprise d’Enée, cherche la solitude ; en vain veut elle effacer de son âme, l’image de son vainqueur ; l’Amour sous la forme et sous la figure du jeune Ascagne, triomphe de tous ses efforts ; les tendres caresses que cette Reine prodigue à cet enfant, et celles qu’elle reçoit de lui, allument dans son âme la passion la plus vive ; et à l’aide de cette méthamorphose, l’Amour établit son empire dans un cœur qui jusqu’à cet instant ne respiroit que la gloire, et ne chérissoit que la liberté. Didon ne pouvant plus résister au penchant invincible qui l’entraîne vers Enée, se détermine à lui offrir sa main et son trône. Un instant après elle vent entrer dans le temple de Junon, pour y faire un sacrifice, consulter les Augures, et apprendre si l’union qui la flatte, se formera sous d’heureux auspices ; puis reprenant tout à coup sa première fierté, et rougissant de sa foiblesse, elle veut fuir Enée ; elle veut le bannir de son cœur, elle veut lui ordonner de quitter ses états ; mais un sourire d’Ascagne renverse et détruit tous ses projets, et croyant voir dans les traits de cet enfant tous ceux de son vainqueur, elle n’est plus occupée que du désir de lui plaire, et que du bonheur d’en être aimée.
Scène II.
Enée, non moins sensible que Didon, cherche la solitude. L’Amour le conduit dans ce bois, sacré, pour y jouir de sa défaite. Ce Prince aborde Didon avec cet embarras et cette émotion qui décèlent un amour extrême. La Reine le reçoit avec ce trouble et cette agitation qui caractérisent l’excès de la passion ; le jeune Ascagne vole des bras de Didon dans ceux d’Enée : il le presse contre son sein ; il imprime dans son ame l’image du plaisir, il grave dans son cœur les attraits de la volupté ; et satisfait de son ouvrage, le perfide enfant se retire à l’écart, pour jouir du progrès de ses artifices et s’applaudir de son triomphe.
Enée et Didon ne pouvant plus résister à l’excès de leur passion, rompent enfin le silence ; ils se font l’aveu de leur tendresse, ils se confient, mutuellement le secret de leurs âmes. Enée, qui ne respire que l’amour, se jette aux genoux de la Reine ; il lui jure une fidélité éternelle. Didon, aussi tendre que le Prince Troyen, reçoit ses sermens avec transport ; elle lui promet sa main, son cœur et son trône. Le jeune Ascagne, ou plutôt l’enfant de Cythère, s’amuse pendant cette scène à cueillir des fleurs ; il en compose une guirlande, qu’il présente en souriant à Didon ; il fait en sorte d’en former une chaîne à la quelle il attache Enée. Cette idée dans un enfant enchante les deux amans ; ils regardent ce jeu comme un présage assuré du bonheur qui doit couronner leur union. Didon se sépare avec regret de son vainqueur ; elle emmène avec elle l’enfant dangereux, et le Prince Troyen suit de loin les pas de la Reine, en exprimant sa félicité.
Seconde partie.
Didon est placée sur un trône. Ascagne est à ses pieds. Ce trône est environné des officiers et des dames de sa cour. Enée tient la première place auprès de Didon ; il est entouré par les Troyens. Jarbe, Prince Maure et Roi des Gétuliens paroît ; il est devancé et suivi par un cortège aussi nombreux que magnifique ; il offre avec les présens les plus rares de ses climats, sa main et son cœur à la Reine de Carthage. Cette Princesse flattée de l’hommage de Jarbe, reçoit les présens qui lui sont offerts ; mais elle lui donne à entendre qu’elle ne peut accepter le don de son cœur, et que sa liberté lui est plus chère que toutes les couronnes de l’univers : Cependant en dédaignant les vœux de ce Roi, elle fait sentir à Enée que lui seul règne sur son ame, et qu’elle lui sacrifie avec plaisir un double trône, sur le quel elle est la maîtresse de monter. Didon descend de son trône.
Jarbe, attentif au refus de Didon, croit lire dans ses regards et dans son action, le motif de son indifférence ; il dissimule son dépit. Le jeune Ascagne, pendant cette scène, s’est approché de ce Prince. Il a ouvert son cœur aux sentimens de la jalousie et de la vengeance ; mais la politique masquant son ressentiment, il feint de se livrer avec complaisance aux raisons de Didon. Elle propose à ce Prince une partie de chasse, et il l’accepte avec d’autant plus d’empressement, qu’il espère pouvoir pénétrer ses sentimens, connoître son rival, et se venger de la préférence offensante qu’on lui oppose.
Cette scène d’action est suivie d’un fête générale de trois quadrilles ; les Carthaginois, les Troyens et les Maures. Le costume et le genre de Danse étant absolument différents. La musique doit l’être à son tour. Vers le milieu de cette fête, Didon, Enée, Jarbe et Ascagne s’y réunissent ; ce pas de quatre bien plus rempli d’intérêt et d’action que de danse, éclaire les soupçons qu’Jarbe a conçus, et, quelques précautions que puissent prendre Didon et Enée pour se contraindre, les éteincelles de leur passion n’échappent point à l’œil pénétrant du Prince Maure. On sent que l’amour joue dans ce pas le principal personnage, un ballet général et une marche pompeuse terminent cette seconde partie.
Troisième partie.
La décoration représente une vaste forêt disposée pour un rendez-vous de chasse. On apperçoit à la droite du théatre une grotte percée dans les rochers du haut de la quelle tombe une cascade rustique ; des arbres s’élèvent au dessus du rocher.
Scène I.
Cette chasse devant être l’instant de la défaite de Didon et du triomphe d’Enée, Junon, Vénus, l’Amour et l’Hymen prennent, ensemble des moyens pour conduire la Reine de Carthage dans le piège qu’ils veulent lui tendre. Junon s’engage à séparer la chasse en suscitant une tempête ; Vénus promet de conduire les deux amans dans une grotte, et l’Amour fait serment d’y rendre Enée le plus heureux des amans. L’Hymen qui aime la pompe et l’appareil ne promet rien.
Scène II.
Une suite nombreuse devance la chasse : les fanfares et le bruit des cors annoncent la Reine. Elle paroît dans un char de la plus grande magnificence. Enée et Jarbe, montés sur de superbes coursiers, suivent le char de Didon ; ces deux princes sont accompagnés par une suite nombreuse qui forme différens quadrilles opposés l’un à l’autre par le costume, mais dont la richesse et l’élégance éclatent également.
Ce cortège ayant parcouru les routes de la forêt, se rassemble dans la partie circulaire destinée au rendez-vous, avec cette différence qu’il y paroît à pied ; ce qui représente la halte de la chasse.
Jarbe s’empresse à donner une fête à Didon. Ses Maures et ses Gétuliens, au son des instrumens en usage chez eux, exécutent des danses caractéristiques suivant leur costume ; les Troyens au bruit des timballes et des trompettes forment des danses guerrières, qui expriment la valeur et l’intrépidité.
Les femmes de la suite de Didon se livrent à des danses plus légères, et peignent tour-à-tour ce que la volupté à de plus tendre ; insensiblement cette fête devient générale. Didon, Enée et Jarbe veulent encore l’embellir ; ils forment un pas de trois en action dans le quel cette Reine ne peut s’empêcher de marquer les préférences les moins équivoques pour Enée. Jarbe, vivement offensé, saisit tous les instans où Enée et Didon enivrés du plaisir de se regarder, ne voyent qu’eux, pour faire éclater sa colère.
A ce pas de trois succède un divertissement général ; mais il est interrompu tout-à-coup par l’orage qui se forme ; le ciel se couvre d’épais nuages ; les vents se déchaînent et ébranlent les arbres de la forêt, les éclairs percent la nue, la foudre gronde ; la grêle et la pluie obscurcissent encore la scène ; la cascade se déborde et tombe avec fracas sur les rochers. Les chasseurs effrayés prennent la fuite ; on les voit courir sur leurs chevaux épouvantés. Enée et Didon s’enfoncent dans la grotte, et regardent cet azile échappé à tons les yeux, comme une retraite assurée contre le déchaînement des élémens. Cependant le ciel s’éclaircit, les vents irrités s’appaisent, la fondre cesse de gronder ; et le soleil annonce par son retour le tems le plus calme et le plus serein.
Scène III.
Junon, satisfaite de son ouvrage, paroît ; elle est accompagnée par Vénus, l’Hymen et l’Amour.
Ici, tous les sentimens qui enflamment Enée et Didon, sont exprimés dans un pas de quatre, exécuté par ces divinités. Les emportemens de l’amant, la molle resistance de l’amante, les transports d’Enée, ses progrès, la défaite de Didon et toutes les gradations de sentimens qui peuvent colorier une scène amoureuse, sont rendus avec les pinceaux et les couleurs les moins équivoques. L’Amour fournit les sujets des différens tableaux ; il est continuellement auprès de la grotte ; il écoute attentivement ce qui s’y passe, et il en instruit soudain les divinités qui l’accompagnent : Ce pas enfin rend avec des nuances vives l’action amoureuse de la grotte dérobée aux spectateurs. L’instant du triomphe d’Enée et la défaite de Didon est caractérisée par un feu brillant qui embrâse le flambeau de l’Amour. Dans le même moment celui de l’Hymen s’allume ; mais sa lumière moins vive et moins éteincellante ne dure qu’un instant. Junon, Vénus et l’Amour se retirent en s’applaudissant du succès de leur entreprise, et 1’Hymen confus et pénétré de honte, fuit en exprimant son désespoir.
Scène IV.
Enée et Didon au comble de la félicité, sortent de la grotte ; leurs danses et leurs attitudes caractérisent leur bonheur, et ne respirent que l’Amour et la volupté.
Scène V.
Jarbe, enivré d’amour et dévoré de jalousie, court à la vengeance, cherche son rival, et le surprend dans les bras de Didon, rien ne peut arrêter sa rage et son désespoir. La perfidie de la Reine et le bonheur d’Enée mettent le comble à sa fureur ; il menace l’une et attaque l’autre avec intrépidité ; il s’élance sur Enée, et le combat s’engage.
Didon, attentive à la conservation des jours de son amant, vole au milieu des coups ; tantôt elle arrête le bras d’Enée ; tantôt elle pare de son bouclier le coup que son adversaire lui portoit.
scène vi.
La suite d’Jarbe et celle du Prince Troyen accourent, et animées l’une et l’autre par la vue du danger de leurs Princes, elles volent à leur secours. Le combat dévient général ; mais rien ne peut résister à la valeur et à l’adresse des Troyens. Les Maures sont terrassés et vaincus ; les uns prennent la fuite, ceux-ci payent de leur vie, l’excès de leur témérité, tandis que ceux-là, foulés aux pieds des vainqueurs et prêts à recevoir la mort, implorent leur clémence, et leur générosité. Le superbe Jarbe, désarmé et renversé par Enée, respire encore la fureur ; mais le Prince Troyen brise ses armes avec mépris et lui laisse la vie. Cet acte de générosité ajoute encore à la honte d’Jarbe, qui fuit avec les siens, en exprimant sa rage et son désespoir.
Scène VII.
Didon, qui s’étoit rangée du côté des Troyens, et qui aimoit même leur courage en combattant à côté de son amant, le reçoit tendrement dans ses bras, Enée regarde son triomphe comme l’ouvrage de l’Amour, et il en abandonne toute la gloire à Didon. Il se retire avec elle au bruit des timballes et des trompettes ; et ces heureux amans sont suivis par une foule de vainqueurs qui ont secondé la valeur et l’intrépidité de leur chef.
Quatrième partie.
L’ombre d’Anchise apparoît à Enée. Elle le rappelle à son devoir ; elle l’invite à suivre ses desseins, à quitter le séjour de la volupté et à obéir promptement aux ordres du maître des dieux. Enée rend dans son sommeil toutes les expressions des sentimens qui agitent son ame. L’ombre disparoît. Enée se réveille, et ne voulant point résister aux impressions de sagesse qu’il vient de recevoir, il se lève et sort avec la ferme résolution d’abandonner Didon et de quitter Carthage.
Cinquième partie.
Scène I.
Enée, accompagné des officiers Troyens, donne ses ordres pour l’embarquement. Ce héros est prêt à monter sur son vaisseau, lorsque Didon, avertie de sa résolution paroît. Cette Reine s’exhale en reproches, mais voyant Enée inébranlable, elle emploie les larmes et les prières pour le détourner d’un dessein, dont l’exécution va lui donner la mort. Enée, vivement attendri, se jette dans les bras de Didon ; il lui fait les plus tendres adieux. Cette Reine ne pouvant supporter sans frémir l’idée du départ de son amant, tombe sans connoissance dans les bras de ses femmes. Enée frappé du danger de la Reine, vole à ses genoux ; il arrose de ses pleurs les mains de son amante, et fait de vains efforts pour la rappeller à la vie. Les amis de ce héros, attachés à sa gloire, l’arrachent des bras de Didon et l’entraînent sur son vaisseau. Déjà les voiles sont déployées ; un vent favorable éloigne la flotte du rivage, lorsque Didon revoit avec la lumière la perfidie et l’inconstance de son amant. Elle court vers le rivage ; elle appelle Enée ; elle lui montre un poignard et son sein. Elle le prie, elle le menace ; elle lui reproche tout à la fois son parjure et son infidélité.
Scène II et dernière.
Didon abandonnée n’écoute plus que la voix du désespoir. Elle va se plonger dans le sein l’épée d’Enée dont elle est armée ; lorsqu’une troupe de Maures, tenant des torches à la main, se dispersent dans le palais, et y portent partout la flamme et la mort. Didon, qui n’a plus rien à ménager, seconde leur fureur ; elle se saisit d’une torche ; elle court dans le perystile ; elle en embrase les parties qui avoient échappé à la rage des Maures, et elle fait tous ses efforts pour augmenter les flammes et accélérer les ravages de l’incendie. Le peristile est prêt à s’écrouler, lorsqu’Jarbe qui s’est ménagé une issue, vient offrir sa main et son trône à cette Reine infortunée. Didon, qui déteste la vie, et qui abhorre ce Roi, refuse avec horreur et sa main et ses secours. Ce Prince, vivement épris, se jette à ses genoux, se repent de sa barbarie et veut sauver ce qu’il aime : mais Didon, au comble du désespoir, vole vers le bûcher, l’allume, et, après s’être livrée aux plus terribles imprécations, elle se perce le sein de l’épée même de son perfide amant, et se précipite dans les flammes. Jarbe désespéré fuit ce spectacle épouvantable ; et sa fuite est soudainement suivie de l’écroulement général du palais de Didon.