Lettre XIV.
J e n’ai parlé que vaguement, Monsieur, d’une étude que je regarde comme absolument nécessaire à la danse ; c’est celle de l’anatomie dans ce qu’elle a de relatif à cet art. Mon ouvrage étant didactique, je dois traiter avec soin tous les objets qui peuvent concourir aux progrès de la danse, répandre de la clarté dans la démonstration des principes, et en faciliter l’application.
Mon dessein n’est cependant ni d’entreprendre une dissertation anatomique, ni de me donner un air de démonstrateur qui me siéroit mal ; je me bornerai à décrire les articulations qui coopèrent le plus aux mouvemens du danseur. Cette connoissance est d’autant plus utile que la beauté et l’harmonie de la danse dépendent essentiellement du jeu souple et facile de ces articulations ; elles sont autant de ressorts qui déterminent les attitudes du corps, les mouvemens des jambes, les dévoloppemens des bras. Sans elles rien ne peut se faire dans l’art de la danse : la tête surtout ne peut avoir d’inflexions ni contraster agréablement, avec les positions du corps, c’est donc l’étude de cette union et de cette harmonie qui constitue la danse par excéllence. C’est elle qui fournit à cet art des secours et des ressources qui lui ont manqué jusqu’à ce moment, parce que l’artiste n‘a ni envisagé le but, ni calculé l’étendue de la carrière. C’est elle enfin qui réduira à dos principes constans et puisés dans la nature, des règles, qui jusqu’à présent, n’ont été que vagues et incertaines.
En supposant, comme il est nécessaire de le faire, que la danse acquière un nouveau dégré de perfection, ne seroit-il pas de nécéssité que les maîtres à l’exemple des peintres, eussent une connoissanec, sinon parfaite, du moins générale de l’anatomie ? pourquoi tel danseur ne réussit-il pas ? est-ce défaut de conformation ? comment réduire ces questions à des principes sûrs, si l’on n’a aucune notion de la construction physique du corps humain ? un maître criera, faites ceci comme moi, levez la jambe comme moi, tournez la comme moi, pliez comme moi. Voilà de l’égoïsme. L’élève répondra, je ne puis lever la jambe à la hauteur où vous levez la vôtre ; je ne puis plier ni arrondir mes temps comme vous ; mes bras et mes jambes ne peuvent parcourir dans la même proportion des vôtres les mêmes circonférences.
Le maître dira que l’élève n’est qu’un sot ; et le maître ne sera qu’un routinier ignorant. Il voudra exiger les mêmes moyens dans son écolier que ceux dont la nature le fait jouir ; il rapportera tout à lui, sans s’appercevoir ni des différences, ni des difficultés que l’écolier ne peut vaincre, parce que la nature s’y oppose ; qu’elle se prête, mais qu’elle ne se change point, ou qu’elle ne peut changer que dans un âge tendre, où les os même n’ont pas encore acquis leur dernier dégré de solidité ; ils sont dans cette circonstance l’image du jeune arbrisseau qui, malgré son penchant, obéit et prend la direction que le jardinier lui impose : de même, le maître habile guétera la nature, l’assujétira à ses desseins, et d’une main industrieuse, il lui donnera des formes étrangères à son inclination et à ses penchants. Toutes ces observations ne sont pas d’un maître inepte et mercenaire qui dit, tournez vos genoux, sans savoir qu’ils ne peuvent que plier et s’étendre, et que c’est la hanche qui les détermine à telle ou telle position.
La connoissance de celte anatomie simple purgeroit à l’avenir le théâtre d’une foule d’impotens et d’incurables qui ne doivent leur état défectueux qu’a l’ignorance des maîtres ; car la plupart de ceux qui se mêlent de donner des leçons, loin de pallier les défauts naturels, les agravent encore par un exercice peu raisonné, soit en exigeant des choses impossibles aux quelles les leviers, les muscles et les articulations ne peuvent se prêter, soit en prenant des routes contraires à celles que la nature indique pour remédier à toutes les bizarreries que l’oeil examinateur rencontre dans les conformations.
Pour donner des leçons utiles, il faut savoir connoitre son élève, chaque écolier demande des principes différens : ce qui convient à l’un ne convient point à l’autre ; ce qui redresse celui-ci estropie celui-la.
Ou entend par articulation, l’union de deux os attachés ensemble par des ligamens et exécutant les mouvemens que la nature leur a assignés par le moyen des muscles qui y aboutissent et les mettent en mouvement. On peut considérer ces muscles comme de vrais leviers de différentes espèces. Dans les uns, la résistance se trouve entre le point d’appui et la puissance ; dans les autres, (et ceux-ci sont les plus fréquens dans l’économie animale) la puissance agit entre le point d’appui et la résistance. On a un exemple de la première espèce de lévier, dans l’action par la quelle on s’élève sur la pointe du pied ; la puissance est alors appliquée au talon par les muscles extenseurs du pied, et la résistance est le poids du corps qui si ; trouve entre le talon où agit la puissance, et la pointe du pied où se trouve le point d’appui.
La fléxion de la cuisse et de la jambe sur le tronc, fournit un exemple de la seconde espèce de leviers ; les fléchisseurs de la cuisse agissent alors entre le point d’appui, qui est en arrière, et le poids des membres qui forme la résistance en avant.
C’est par le moyen des différens os joints ensemble par des ligamens, et mûs par des muscles, que le corps de l’homme se soutient, qu’il se lève, qu’il se baisse, qu’il se plie, qu’il s’étend, qu’il se meut dans tous les sens, qu’il opère toutes sortes de mouvemens. Pour que ces mouvemens se lassent avec plus de facilité, la nature a formé des os qui ont des cavités, et des os qui ont des têtes ; ces cavités et ces têtes qui se réunissent et s’emboitent, sont couverts de cartilages lisses et polis, surtout pour les os qui sont destinés à produire des mouvemens manifestes ; ce sont ces rencontres et ces jonctions, que l’on nomme articulations. Elles sont autant de points mobiles que la nature à ménagés dans la magnifique charpente du corps humain, pour l’obliger d’obéir aux volontés de l’âme, avec autant de célérité que de facilité.
L’union et l’assemblage différens de toutes les pièces osseuses dont la machine humaine est composée, porte en général le nom d’articulation. La plus grande partie de ces pièces, destinée à l’exécution de certains mouvemens que le danseur est obligé de faire, ont entre elles un rapport et une convenance d’où dépendent la liberté et la possibilité de leur action ; d’autres toujours immobiles, mais non moins bien assorties, sont arretées fixèment ensemble ; d’autres enfin maintenues par des intermèdes tels que des cartilages et des ligamens, participent de la mobilité des unes et de l’immobilité des autres.
Il y a donc des articulations de deux espèces, les unes avec mouvement, et les autres sans mouvement ; j’omettrai ces dernières comme absolument étrangères à mon sujet.
Les articulations mobiles peuvent toutes se rapporter à quatre espèces de mouvemens, savoir : à celui de coulisse, à celui de genou, à celui de charnière et à celui de pivot.
Le mouvement de coulisse se fait quand deux os coulent et glissent l’un sur l’autre, comme les Vertèbres par leurs apophises obliques, la rotule sur le fémur. Celui de genou, lorsque la tête d’un os se meut dans une cavité, comme la tête de la cuisse dans la cavité cotyloïde des os du bassin, celle du bras dans la cavité glénoïde de ceux de l’épaule.
Le mouvent de charnière ne peut avoir son exécution que lorsque l’extrémité de l’os a deux éminences et une cavité, et que l’extrémité de l’os qui s’articule avec le premier a deux cavités et un éminence, ou, lorsqu’une extrémité de l’os est reçue par un autre os ; ou enfin lorsqu’un os en reçoit deux autres, un à chaque extrémité, comme les vertèbres.
Enfin le mouvement de Pivot a lieu, lorsqu’un os considérable tourne sur une pointe, comme la première vertèbre du col sur l’apophèse olondoïde de la seconde vertèbre, le mouvement du Radius avec le Cubitus, où le premier roule autour du second.
Il y a deux sortes d’articulations par genou sçavoir ; une, qui se l’ait lorsqu’une tète est reçue dans une cavité superficielle, comme celle du bras avec l’epaule ; l’autre au contraire est celle où la tête d’un os est située dans une grande et profonde cavité, comme celle de la cuisse.
La charnière est également de deux sortes, l’une parfaite et l’autre imparfaite. La parfaite est celle, où les deux os se reçoivent mutuellement, comme font l’os du bras et l’os du coude ; le Tibia, et l’os de la jambe avec l’Astragal.
La charnière imparfaite a lieu, lorsque de deux os articulés l’un reçoit l’autre, sans en être reçu, soit qu’il ait une ou plusieurs têtes ; ce qui se remarque dans l’occipital avec la première vertèbre du col et dans plusieurs autres telles que celles des doigts des pieds et des mains.
Donnons quelques exemples capables de développer l’emploi de ces différentes articulations relativement aux mouvemens qui constituent le méchaisme de l’art.
Les positions de la tête, ses contrastes avec le buste et ses oppositions prêtent sans doute à la danse les plus grands agrémens. La tête donne de la valeur à toutes les attitudes, de l’élégance à toutes les positions, de la vie et de l’ame a tous les mouvemens du corps ; si elle ne joue point avec grace, si elle ne contraste pas avec goût, tout est mort ; et l’exécution fût-elle du reste parfaite, paroitra maussade, machinale et sans âme, si la tête, par ses différentes positions ne l’embellit pas.
L’articulation qui coopère aux mouvemens de la tête dans toutes les positions, se nomme pivot. L’articulation par pivot se fait, lorsqu’un os considérable tourne sur la pointe d’un autre ; tel est le mouvement de la tête au moyen de l’apophise olontoïde de la seconde vertèbre du col qui tourne dans la première ; ces mouvemens sont modifiés a l’infini et à la volonté de l’homme, par le secours des différens muscles appliqués aux leviers osseux qui concourent à la formation des articulations, les quelles unissent la tête avec le col. Leur usage indique assez leur nom. Les uns sont fléchisseurs, les autres sont extenseurs, et leurs mouvemens s’exécutent, lorsque la tête se baisse, lorsqu’elle se lève et qu’elle se porte en arrière, comme dans l’action de regarder le ciel. Les mouvemens qui portent la tête en dedans, en dehors, à droite et à gauche, et qui opèrent tous les effacemens avec le buste, sont exécutés par l’action des muscles qu’il a plû aux anatomistes de nommer abducteurs et adducteurs, on mieux rotateurs de la tête.
L’action simultanée de tous ces muscles produit l’immobilité de la tête dans l’effroi, l’épouvante ; leurs contractions spasmodiques ou désordonnées déterminent au contraire les mouvemens convulsifs qui ont lieu dans l’action de menacer, dans la colere etc. état d’immobilité ou de spasme qui est toujours en rapport avec l’expression de stupeur du visage dans la crainte, ou avec son désordre dans la fureur.
L’attitude de la tête dans l’expréssion de la bienveillance n’est pas moins d’accord avec l’état du visage.
Il sera donc important que le danseur s’accoutume de bonne heure à surveiller l’état de son visage en même temps que la position de sa tête ; car rien n’est plus pénible pour le spectateur que de voir se peindre sur la physionomie de celui qui danse, les efforts qu’il fait pour simuler une legereté qu’il n’a point, ou d’appercevoir sur son front les traces de la préocupation que lui cause l’attention qu’il donne à ses mouvemens.
Rien ne contribue tant à l’élégance et à la bonne grace que le mouvement des bras combinés avec les oppositions de la tète et avec les positions des pieds ; pour que les bras soient beaux et qu’ils contrastent avec grace, il faut qu’ils soient exactement arrondis ; s’ils décrivent des angles, ils sont défectueux. J’avoue qu’il est un art à faire perdre au bras l’angle saillant qu’il décrit lorsqu’il se plie, et que cet art exige une application continuelle ; tâchons de démontrer quelles sont les articulations qui opèrent ces rondeurs, et quels sont les muscles, ou les leviers qui y participent le plus.
Les rondeurs et les mouvemens variés des bras dépendent du jeu de l’épaule, du bras, de l’avant-bras et de la main ; pour que le bras soit véritablement arrondi, il faut que le coude soit moins élevé que l’épaule, et qu’il soit à son tour plus élevé que le poignet ; de sorte que le bras et le poignet dans cette position décrivent à peu près un quart de cercle. L’articulation du bras avec l’épaule constitue L’articulation par genou ; c’est-à-dire, qu’ilpeut se mouvoir en haut, en bas, en dedans, en déhors, et faire toutes sortes de mouvemens de fronde et de rotation ; celle du coude permet seulement la flexion et l’extension et forme une charnière ainsi que celle du poignet. Tous ces mouvemens seroient insuffisants pour produire les courbures moelleuses et arrondies des bras, s’ils n’étoient aidés par le moyen d’une seconde articulation qui se rencontre entre la partie inférieure et supérieure des deux os de l’avant-bras qui s’articulent ensemble latéralement, de manière à se mouvoir en axe, ou pivot l’un autour de l’autre. De cette articulation latérale du Radius avec le Cubitus résultent les mouvements de Pronation et de Supina- lion qui concourent à faire prendre an bras une courbure agréable et un arrondissement parfait.
Lorsque le liras est élevé et soutenu à la hautem de l’épaule, tous les muscles de cette partie agissent de concert par une contraction tonique, eu se balançant mutuellement ; si le bras, de colle position veut se porter en avant, pour s’y arrondir d’une manière moelleuse, l’omoplate qui a d’autant plus de mobilité qu’elle n’est attachée que par des muscles, coopère avec l’articulation des bras(1) à l’exécution de ces mouvemens flatteurs dont le principal agrément dérive d’une courbure adoucie en quart de cercle, à. la formation de la quelle concourent beaucoup de mouvemens de pronation et de supination de l’avant-bras, ainsi que lu flexion du poignet qui, en adoucissant les angles, les rendent moins saillants. Mais ce que la nature ne peut faire entièrement, l’art y supplée, et les vêtemens étant artistement garnis au bras, eu diminuent la longueur et aident à son arrondissement parfait en apparence ; car il seroit impossible de décrire avec un instrument composé de ceux branches égales et d’une troisième bien plus petite, un quart de cercle.
Ce n’est que par des rondeurs que l’on peut diminuer l’étendue des bras et leur donner de la grace ; ce n’est que par les effacemens du corps qu’on trouve l’art de les faire paroître plus courts. Point de principes, point de règles fixes pour les bras ; c’est le goût seul qui leur assigne leurs mouvemens et leurs contours ; la nature se prête et obéit à ce goût ; elle ne refuse point les secours qu’elle peut prodiguer ; elle est esclave de la volonté ; mais que cette volonté soit sage ou extravagante, elle opère en conséquence. Les rondeurs diminuent les longueurs ; elles effacent les angles formés naturellement par le bras et l’avant-bras. Elles diminuent encore le grand angle qui se décrit depuis le poignet jusqu’à la hanche, lorsque le bras est élevé et exactement tendu ; mais toutes ces observations, quoique puisées dans la nature, ne sont que vagues quant à l’expression et à la bonne grace.
Les règles arrondissent machinalement les bras, sans les rendre gracieux, sans les faire parler, et il faut que l’action des bras qui constitue le geste parle ; que les mains articulent ; que les doigts concourent à la prononciation du pantomime, qu’ils soient, pour me servir de l’expression de Garrick, autant de langues qui parlent. Il est aisé de voir et de sentir que celle variété est au dessus des règles, que le geste n’en reçoit que de l’ame et du génie ou, pour mieux dire, des passions ; Ce sont elles qui donnent de l’énergie et de la valeur aux mouvemens ; elles les frappent, pour ainsi dire, au coin qui leur plaît, en leur assignant telle ou telle portion de valeur relativement à leur silence ou à leur murmure, a leur ton modéré, ou a leur éclat impétueux.
Passons maintenant aux articulations qui servent directement aux pas et aux mouvements combinés du méchanisme de l’art.
On peut considérer la hanche comme la partie qui primordialement facilite le jeu de toutes celles qui lui sont subordonnées. On ne peut danser de bonne grace sans être exactement tourné en dehors ; on ne peut décrire aucune rondeur sans le secours de la hanche, et la danse enfin ne peut être agréable sans contours ; les angles comme en peinture doivent être évités ; c’est la hanche qui opère ; elle commande à toutes les parties qui lui sont inférieures. Il seroit à souhaiter pour la facilité et la beauté de l’exécution que ses mouvemens fussent aussi complets que ceux du bras, mais la nature ne l’ayant pas jugé nécessaire, et la position des danseurs, étant comme je l’ai dit, anti-naturelle, il faut donc que l’artiste lutte sans cesse contre les hanches, et il faut à son tour que cette partie violemment exercée, obéisse à l’art. Considérons maintenant cette articulation.
Les mouvemens que la cuisse décrit dans tous les temps variés de la danse déterminent tous ceux de la jambe et fixent la position des pieds ; ces mouvemens ne sont opérés que par le secours de la hanche, c’est à dire, par l’articulation de cette partie qui est composée de l’os nommé fémur et d’un des os du bassin. La jonction de ces deux os constitue l’articulation par genou ; son mouvement de rotation est moins manifeste que celui du bras avec l’épaule ; par la raison que la cavité des os des iles, ou autrement cotiloïdes, est bien plus profonde que celle du bras appellée Glénoïde ; que les ligamens en sont plus forts et les muscles plus multipliés. La nature sage et prudente dans ses opérations, ne pouvoit donner à cette partie autant de jeu qu’à celle du bras : Trop de mobilité se soi oit opposée à la solidité que les colonnes d’un édifice doivent avoir, pour en supporter et en maintenir la charpente et la masse supérieure ; dèslors il falloit des cavités plus profondes des ligamens plus forts et des muscles plus multipliés pour en modifier les mouvemens, pour résister aux ébranlemens divers, et pour supporter le poids du corps qui devient considérable, lorsqu’après s’être élancé, il retombe. C’est dans cet instant d’affaissement et de gravité que, le corps acquiérant un poids considérable et proportionné à sa chûte, il étoit nécessaire que la nature assignât à ces deux colonnes une force supérieure, qui pût lutter contre le choc et maintenir le corps dans son équilibre et dans son à-plomb. Ce n’est donc qu’avec un travail très-laborieux et un exercice violent que l’on peut parvenir à forcer, pour ainsi dire, le jeu de cette partie, pour lui faire opérer, en apparence, les mouvemens de rotation ; mouvemens qu’elle ne peut avoir aussi parfaitement que le bras, si l’art, l’application et l’exercice continuel ne la forcent, pour ainsi dire, a l’obéissance.
Ce n’est que par le secours de la hanche que l’on peut parvenir à se tourner parfaitement en dehors ; le genou ne peut point participer à cette position contrainte, puisque son articulation par charnière, ne lui permet que le mouvement de fléxion et d’extension ; le pied peut cependant se tourner dans cette position sans le secours de la hanche, par le moyen des muscles qui en dirigent le mouvement ; mais cette position dèslors est outrée et défectueuse, parce qu’elle contraste ridiculement avec celle des parties supérieures. Pour être donc parfaitement en dehors, il faut être tourné non pas par partie, mais il faut l’être depuis la hanche jusqu’au pied ; c’est elle qui pose et qui dirige toutes les positions des parties qu’elle commande, et qui lui sont subordonnées par son mouvement de rotation ; il n’est point d’articulation qui coopère avec plus de peine et moins d’activité à la formation des pas, que celle de la hanche. J’ai déjà dit que les angles doivent être proscrits des mouvemens des bras ; il est nécessaire de dire qu’ils doivent également l’être de tous les mouvemens que la cuisse et la jambe décrivent de concert ; or tous ces mouvemens, tous ces deployemens, tous ces ronds de jambe devant tracer perpétuellement des cercles, ne peuvent parvenir à dessiner cette figure sans le secours de la hanche, puisqu’elle seule jouit de la faculté de se mouvoir et de tourner dans tous les sens. Si je fais un grand rond de jambe, le genou obéit, mais la hanche opère ; si j arrête ma jambe au demi-cercle, elle se trouve placée ainsi que la cuisse sur l’allignement de l’épaule, elle est élevée à une certaine hauteur, et pour maintenir ces parties dans une position contrainte et forcée, tous les muscles sont en contraction, et sont, comme je l’ai dit ailleurs, dans une contraction tonique ; mais si dans cette position je plie et je fléchis le genou pour former ce que l’on nomme communément attitude, alors les muscles de la cuisse conservent leur tension tonique, et ceux de la jambe font exécuter le mouvement de flexion ; si de cette attitude on passe subitement à une autre attitude, en portant lajambe et la cuisse en avant, alors il y a mouvement de fléxion à la cuisse et mouvement d’extension à la jambe ; mais lorsque je tends toute la partie, pour fixer le pointjuste de l’attitude alors la contraction redevient tonique ; si enfin, je veux de cette position, en fléchissant de genou, reprendre un grand tour de jambe dans le moment de cette fléxion, la cuisse sera dans un mouvement d’adduction modifié par lemuscles qui en sont les moteurs ; et la jambe qui, avant étoit en extension, sera fléchie.
Au reste, tout ceci n’est qu’une esquisse qui devient suffisante à l’art. Ce ne seroit point l’ouvrage de l’homme, que de vouloir définir tous les mouvemens variés et contraires dans les quels l’exécution des pas met perpétuellement les muscles ; assigner la marche de chacun d’eux, régler leur dégré de tension, de flexion, d’adduction et d’abduction, supputer toutes leurs opérations variées, calculer sans erreur leurs rapports, apprécier leurs jeux contractés, ce seroit vainement fouiller dans les mystères de la nature ; il est des secrets qu’elle ne révèle point, pas même sur le cadavre ; lorsque la nature fait un effort violent, comme l’entrechat dans le danseur, le saut périlleux dans le sauteur, et la ruade dans le cheval ; il est impossible dans ces mouvemens où tous les muscles sont généralement en contraction de déterminer leur jeu particulier et d’assigner à chacun d’eux la partie de mouvement qui lui est propre.
Si ces notions ne paroissent pas suffisantes, on pourra avoir recours aux sources de cette connoissance, consulter le squelette avec Winslow, supputer les forces musculaires avec Borelli, et étudier la méchanique animale dans l’ouvrage du célèbre Barthès ou dans ceux des anatomistes ou physiologistes qui ont traité ce sujet à fond. Ce que j’ai dit est plus que suffisant pour le but que je me propose, et cette portion de connoissance, quelque petite qu’elle soit, ne laissera pas de servir utilement au danseur, et de le guider dans les leçons qu’il donnera à ses élèves.
Je suis, etc.