(1775) La littérature renversée, ou l’art de faire des pièces de théâtre sans paroles [graphies originales] « Discours préliminaire, préface, avis au lecteur, ou tout ce qu'on voudra . » pp. -
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(1775) La littérature renversée, ou l’art de faire des pièces de théâtre sans paroles [graphies originales] « Discours préliminaire, préface, avis au lecteur, ou tout ce qu'on voudra . » pp. -

Discours préliminaire,
préface,
avis au lecteur,
ou tout ce qu'on voudra
1.

Il n’est point aisé de devenir Auteur. Malgré le grand nombre de gens qui s’avisent d’écrire, les bons Ouvrages sont très-rares. La moindre production coûte des soins & des peines infinies. Croirait-on qu’il faut plus d’un jour avant d’accoucher d’un Opéra-bouffon, ou d’une Comédie-mêlée-d’ariettes ?

Mais ce n’est pas seulement la difficulté ou le manque de génie, qui doit arrêter les Poètes modernes. Des raisons plus pressantes, des embarras plus fâcheux, doivent les engager à renoncer à la carrière pénible & brillante d’hommes de Lettres, à cette montagne stérile, où croissent à peine quelques lauriers, & sur laquelle un Dieu misérable éblouït une troupe d’infortunés, qu’il repaît de vent & de fumée. Après avoir pâli, séché sur un Ouvrage, on fait quelquefois en vain la courbette à un Libraire ; il desire avoir gratis les manuscrits qu’on lui présente, ou du moins pour très-peu de chose ; il vous dupe, s’enrichit, & l’Auteur meurt de faim : meurt de faim, façon de parler hyperbolique, qui approche pourtant de la vérité.

Si c’est un Drame qu’enfante un cerveau poétique, nouvelles peines, nouvelles tracasseries, & nouveaux chagrins cuisans. Les Comédiens font les grands Seigneurs, reçoivent orgueilleusement un jeune Auteur qui n’est pas protégé, ou qui n’a pas l’honneur d’être de leurs amis, & refusent presque tout, dans la crainte de se tromper : ils encouragent rarement l’aurore du talent. Ces Messieurs ne pensent pas comme le Public, & devraient bien avoir pour les Auteurs l’indulgence qu’ils desirent qu’on ait pour eux-mêmes. Mais s’ils s’arrogent des droits tout-à-fait impertinens, ce n’est point leur faute ; qu’on s’en prenne à ceux qui pourraient mettre un frein à leur orgueil, & qui les laissent tranquillement former un Aréopage aussi indécent que ridicule.

On prétend, il est vrai, que la Jurisdiction des Sénats-comiques va bientôt être supprimée pour toujours. Si ce projet s’effectue, les Poètes dramatiques seront encouragés, & l’on fera disparaître un abus tout-à-fait criant. Je demande qui l’on doit considérer le plus, ou de celui qui compose une Pièce de théâtre, ou de ceux qui l’apprenent par cœur ? Je me doute de la réponse, & je dis qu’il est donc absurde qu’un Auteur ne puisse faire jouer ses Drames, sans avoir humblement sollicité l’agrément des Comédiens. C’est à-peu-près comme si le compère de Polichinel était obligé de demander la permission de ses marionnettes, lorsqu’il veut les faire mouvoir ...... Mais ce n’est point à un grand-Sauteur à se mêler des affaires d’Etat.

Loin d’être effrayé par les revers & les difficultés qu’éprouvent mes Confrères en littérature, j’ai résolu de me montrer au grand jour. Quel dommage qu’un génie tel que le mien ait été si long-temps ignoré ! L’Europe apprendra qu’elle a un grand homme de plus à admirer : mon esprit sublime fort enfin de l’obscurité, il va paraître avec éclat. Le soleil, en se montrant sur l’horizon, efface par sa vive lumière, tous les objets les plus brillans : je vais aussi faire fondre, dissoudre, éclipser tous les infiniment petits, à qui la manie d’écrire met la plume à la main. Le croira-t-on ? j’ai eu le bonheur de concevoir l’idée des Ouvrages que je mets au jours, en faisant le saut de carpe & celui du tremplin.

Que les Comédiens refusent chaque semaine trois Tragédies, une Comédie, & une douzaine d’Opéra-bouffons, ou Comédies-mêlées-d’ariettes ; cela m’est égal : qu’ils soient fiers, trop délicats, rébarbatifs ; peu m’importe. En dépit d’eux, le Public va me connaître. Grace au sieur Nicolet, je suis certain de briller sur la Scène. Qu’ils tremblent, je me propose de consacrer mes veilles au Théâtre fameux des Boulevards ; oui, je vais le gratifier de plusieurs Pantomimes excellentes, sublimes, merveilleuses : j’en jure par le Parnasse, aussi respecté des Poètes que le Styx était redoutable aux Dieux de la Mythologie ; ou plutôt j’en jure par le Repoussoir, machine qui sert à nous élever quand nous saisons nos sauts-périlleux : ce serment-là est terrible dans la bouche d’un grand-Sauteur.

Que deviendront les Comédiens, si j’amène la mode des Drames où l’on ne parle point ! Ce ferait leur jouer un assez mauvais tour, & rendre service au Public .... Exécutons un aussi noble dessein ; qu’ils apprenent à être moins farouches & plus faciles ; qu’ils fachent que maintenant le plus petit mirmidon peut s’illustrer, & que la souquenille & le manteau-court peuvent cacher un grand-homme.

Que l’univers aura d’obligations au sieur Nicolet ! Il m’ouvre la barrière du théâtre, qu’il n’est guères aisé de franchir la première fois. Hélas ! peut-être que sans lui je languirais encore dans l’obscurité ; on ignorerait l’existence d’un génie qui doit être célèbre à jamais. Que mon amour-propre soit délicieusement chatouillé ! Je grossirai les Dictionnaires des Auteurs vivans : que j’aurai de plaisir à voir mon nom moulé dans un Livre où l’on ne met sans doute que celui des gens illustres !

Je suis faché que la modestie m’empêche d’en dire davantage. Le Lecteur devinera tout ce que je n’ôse lui révéler, & sera contraint d’avouer qu’il existe enfin un Auteur modeste.