Des moyens de conserver le talent de la danse.
Il ne suffit pas d’avoir enfin acquis par l’étude les principes et l’habitude de la danse ; il faut craindre toujours de perdre le fruit de tant de travaux. Si on veut le conserver, il faut s’exercer le plus souvent possible sur les principes avec soin et attention ; il faut surtout se garder de vouloir exécuter sans l’avoir appris, ce que l’on voit faire à un autre, parce que ce qui convient à la disposition de l’un, ne convient pas toujours à la disposition de l’autre, à moins que l’on ne soit assez avancé pour sentir la différence, juger de sa capacité et savoir placer les tems chacun dans leur valeur.
Sans cette connaissance on est exposé continuellement à tomber dans toutes sortes de défauts qui ne sont que trop multipliés maintenant, parce que les principes sont méconnus. L’ignorance, le mauvais goût et le mauvais ton créent tous ces défauts, que le vulgaire prend pour autant de modes et qui s’accréditent à ses yeux par la mise brillante de ceux qui les ont contractés. Il ne faut pas non plus céder aux avis de ces détracteurs des principes et du bon goûlt qui veulent vous persuader qu’on peut bien danser sans principes, ou en dérogeant de ceux qu’on a reçus ; qui vous assurent également que la mode est de marcher au lieu de danser, qu’il n’est plus d’usage de donner les mains en dansant. Ces défauts, insultans pour la personne devant qui l’on danse, ne peuvent être soutenus et vantés que par des gens tout-à-fait étrangers aux convenances et au ton de la bonne compagnie, qui voudraient nous faire admirer leurs prétendues innovations, et qui ne peuvent cependant se défendre d’admirer eux-mêmes une belle exécution. On doit aussi s’abstenir autant qu’il est possible de trop danser dans un bal : cette habitude est nuisible à une bonne exécution ; elle peut rompre un bon maintien et en faire prendre un mauvais. Il faut éviter encore de danser à des orchestres qui précipitent le mouvement de la danse, défaut qui vous fait contracter celui de précipiter votre danse, lui ôte tout son moelleux, rompt le maintien du corps et vous force à dévier de tous vos principes. Ce même inconvénient n’est que trop commun dans les endroits publics, où d’ailleurs on rencontre des manières vicieuses et toujours un mauvais ton capable de faire perdre les bonnes habitudes, le goût et quelquesfois plus encore.
Une autre observation qui paraîtra peut-être puérile, c’est d’éviter de danser dans des endroits trop petits, qui nuisent au développement des membres et à leur extension, ou au moins leur ôtent cette aisance sans laquelle le danseur n’a plus de grâce ; de danser au nombre de plus de huit personnes, ce qui est le nombre ordinaire pour former les quadrilles ou contredanses. On ne saurait croire combien cela peut nuire à une bonne exécution, par le trop d’écartement des tems auxquels l’oreille n’est pas accoutumée. Vous êtes forcés de violer les règles, en outrepassant les positions de la danse qui fixe l’étendue des pas, surtout si les danseurs qui forment l’augmentation ne sont point forts sur les principes. Cette manière de danser en nombre trop multiplié ou indéterminé, est celle qui le plus particulièrement a détruit et détruit chaque jour ce que la danse offre de beau et d’agréable ; c’est cette mauvaise habitude qui a fait renoncer les compositeurs à l’invention de nouvelles figures, par l’impossibilité qu’il y aurait de les faire comprendre à tant de danseurs à la fois, et dont le nombre indéterminé ne s’accorderait plus avec la combinaison de beaucoup de ces nouvelles figures ; c’est encore cette mauvaise habitude qui force le danseur à devier de tous les principes et l’oblige, en quelque sorte, à marcher au lieu de danser. Ce manque aux convenances est devenu une mode pour les sots et les ignorans, et cela leur convient à merveille ; aussi ce sont eux en partie qui s’empressent de multiplier le nombre des danseurs lorsqu’il s’agit de se mettre en place, parce que sentant eux-mêmes leur incapacité, ils aiment à se confondre dans la foule, et par ce moyen dérober aux yeux des spectateurs leurs défauts et leurs gaucheries. Nous le disons, cette manière de danser répugne aux personnes d’un bon goût ; ce n’est plus que désordre, confusion, et brutalité ; il fait beau de voir les dames exposées à recevoir à chaque instant des coups d’épaules.
C’est aussi cette confusion qui leur ôte toute aisance pour se dessiner avec cette grâce qui convient si bien à leur sexe, et qui excite l’admiration de leurs parens et de la société entière. Quoi ! la danse qui ne trouve, pour ainsi dire, que chez les demoiselles bien nées en qui elle puisse répandre ses dons, serait poursuivie jusque chez elles par la barbarie de l’exécution moderne. Il vaudrait mieux, s’il était possible, que les jeunes personnes à qui la danse est donnée comme faisant partie de leur éducation, sous le rapport du maintien, des grâces, du ton et des manières, renonçassent pour jamais à danser plutôt que de danser ainsi.
Il est cependant un moyen bien simple de mettre un frein à ce genre barbare d’exécution. C’est aux parens qui souvent donnent des bals pour fournir à leurs enfans l’occasion de stimuler leur amour-propre ; c’est à eux seuls qu’il appartient de mettre un terme à ce désordre et à cette confusion. Il suffit pour cela de proportionner le nombre des danseurs avec l’étendue du local ; en se réglant sur ce que, pour former une contredanse du nombre de huit danseurs, il faut au moins huit pieds carrés, et pour une contredanse à seize, douze pieds carrés au moins ; et en proportionnant le nombre des danseurs selon la distribution du salon, s’il est long et étroit, il convient de former les quadrilles ou contredanses de huit personnes, et s’il est assez large on peut les former à seize. Ce nombre peut encore s’accorder avec les règles de la danse, pourvu qu’il y ait au moins douze pieds d’étendue en carré, comme il est dit plus haut. Il serait nécessaire, pour exécuter cette règle, que les personnes qui donnent des bals prissent, à cet effet, un homme initié dans la danse, tel qu’un répétiteur ou un musicien même, ou tout autre personne qui pût remplir cette fonction.