(1823) De l’art de la danse , considéré dans ses vrais rapports avec l’éducation de la jeunesse (3e éd.) « Introduction. » pp. -
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(1823) De l’art de la danse , considéré dans ses vrais rapports avec l’éducation de la jeunesse (3e éd.) « Introduction. » pp. -

Introduction.

L a danse, dont l’origine remonte aux premiers âges du monde, ne fut d’abord qu’un mouvement naturel et spontané du corps. Dans ces tems d’une rustique simplicité, quelques bonds irréguliers exprimaient sans art, mais non pas toujours sans grâce, une joie franche et vive. Ensuite les règles s’établirent au son des instrumens et de la voix ; le corps s’agita en cadence ; les bras s’ouvrirent ou se fermèrent ; les pieds formèrent des pas lents ou rapides ; les traits du visage participèrent à ces mouvemens divers ; et la danse devint un art universel et estimé.

La danse a été en usage chez tous les peuples civilisés et barbares ; elle faisait partie de leur éducation et de leur religion même. Moïse, après la délivrance des Hébreux et après le passage de la Mer Rouge, institua des fêtes et des danses ; David dansa devant l’Arche sainte : Socrate apprit à danser d’Aspasia ; Épaminondas tenait à honneur de danser habilement ; les soldats de Crête et de Sparte allèrent à l’assaut en dansant. Nous lisons dans les commentateurs des Anciens, que les Égyptiens représentaient par des danses les mouvemens célestes et l’harmonie de l’univers ; ils dansaient en rond autour des autels consacrés au soleil, et cette figure, qu’ils décrivaient en se tenant par les mains, désignait le zodiaque, ou le cercle des signes. Les sauvages dansent autour de leurs idoles et sur les tombeaux de leurs pères. On sait que, chez les peuples de l’antiquité, les sacrifices étaient accompagnés de cris de joie, et surtout de danses : toute la nature semblait sourire à leurs fêtes publiques. Ils avaient trois sortes de danses : l’une grave, nommée emmeline, à laquelle répondent nos basses danses pavanes et nos menuets ; la seconde, qu’ils nommaient cordax, était gaie ; nous la retrouvons dans nos gaillardes voltes courantes et nos gavottes ; la troisième, appelée seimis, entremêlée de gaîté et de gravité, répond à nos branles1.

Je ne prétends point publier un traité complet d’orchestographie2 ; j’entreprends seulement d’établir et de développer quelques principes certains, quelques règles infaillibles d’un art utile et aimable, l’un des premiers ornemens de la société, et qui fait, pour ainsi dire, partie de l’éducation nationale. Trop heureux si je puis à la fois, offrir à la science des maîtres une méthode lumineuse et sûre, prémunir l’inexpérience des élèves contre les écarts du faux goût, et perfectionner un art qui a fait l’occupation et le charme de ma vie tout entière.

Cet ouvrage sera encore utile, je l’espère, à ceux qui se présentent dans le monde avec des manières forcées et éloignées du ton de la bonne société. C’est de l’étude de la danse que naissent les dispositions favorables pour acquérir cette aisance dans la marche et dans le maintien, ces manières aimables et polies, ces grâces séduisantes qui, après avoir été portées dans les beaux jours de la France à un haut degré de perfection, furent, dans des tems désastreux, contraintes chez les uns, méconnues chez les autres, et remplacées chez plusieurs par un ton difforme et grossier, ennemi de la galanterie et de l’urbanité française. Ce changement, produit par des passions diverses, porta un coup terrible à notre art en lui enlevant ses plus agréables attributs, l’élégance dans les manières et l’amabilité dans l’expression de la physionomie. On ne vit plus que cette partie matérielle qui défigurait un art plein de grâces et de charmes : on se tourna alors vers la danse de théâtre, et l’on s’en occupa entièrement, comme du seul moyen nécessaire pour briller en société.

La méthode des anciens maîtres fut tournée en ridicule, et l’on alla jusqu’à introduire l’usage des ballets dans les maisons d’éducation. Mais, si les principes du vrai et du beau peuvent s’éclipser pendant quelque tems, ils ne reparaissent qu’avec plus d’éclat après des jours de trouble et de révolution : aujourd’hui, un maître habile et sage peut parvenir à former des élèves, qui uniront à la noblesse décente de la danse ancienne, l’aisance et la grâce de la danse moderne. Tels sont les principes qui servent de base à cette méthode, que j’ai puisée dans l’expérience et dans l’étude de la nature.

Je reviens, en finissant, sur les avantages de la danse. C’est à la danse que la jeunesse doit cette souplesse dans toutes les parties du corps, cette légèreté dans tous les mouvemens qui se font si bien sentir encore dans un âge avancé. N’avons-nous pas vu, de nos jours, des artistes de l’un et l’autre sexe, après une longue carrière, faire encore les délices de la scène ? Combien rencontrons-nous aussi d’amateurs dans la société, qui possèdent les mêmes avantages qu’ils avaient acquis par une étude profonde, au tems où la danse était estimée et recherchée. La danse relève, embellit, perfectionne l’ouvrage de la nature. Se présenter dans un cercle avec une aisance aimable ; saluer avec décence ; s’adresser à quelqu’un d’un ton affectueux ; offrir et recevoir quelque chose avec grâce ; s’asseoir et se lever sans roideur et sans embarras ; enfin, se préserver et de cet air timide qui nous expose au reproche de faiblesse ou d’ignorance, et de cet air fat que l’amour-propre d’autrui ne nous pardonne jamais ; voilà ce que le monde civilisé doit à notre art. Cette vivacité, qui entretient et vivifie les relations sociales, a besoin d’être tempérée et réduite au ton de l’enjouement ; sans cette heureuse modération, elle dégénère en étourderie et conduit trop souvent à l’incivilité.