Chapitre II.
Objections tirées de l’Ecriture sainte.
Comme nous avons pris dans les saintes Ecritures les premières preuves que
nous avons alléguées pour montrer le mal ou le danger inséparable des
danses ; c’est aussi dans les saintes Ecritures que plusieurs vont d’abord
chercher de quoi affoiblir ce que nous avons dit à ce sujet. Ils se
prévalent de cet endroit du livre de l’ecclésiaste : (c. 3. v. 4.)
Il y a un temps de s’affliger, et un temps de
sauter de joie
. Ensuite ils croient trouver de quoi
autoriser les danses dans ce qui est dit dans le livre de l’Exode (c. 15,
v. 20.) de Marie prophétesse, sœur d’Aaron : que célébrant, avec Moïse et
les enfans d’Israël, le passage miraculeux de la mer rouge,
elle prit un tambour à la main, et que toutes les
femmes marchèrent après elle avec des
tambours, formant des chœurs de musique
.
On comprend bien que ceux qui cherchent et saisissent avec ardeur ce qui a la
plus foible apparence de favoriser les danses, n’ont garde de manquer de
citer ce qui est rapporté dans le second livre des rois : (c. 6, v. 14.)
David, revêtu d’un éphod de lin, dansoit devant
l’arche de toute sa force.
L’éphod étoit un vêtement
court, et différent par là des vêtemens ordinaires des orientaux, lesquels
tomboient jusque sur les talons.
Enfin, quelques-uns prétendent trouver de quoi autoriser les danses dans ces
paroles de Jésus-Christ : (Matth. c. 11, v. 16 et 17.)
A
qui comparerai-je ce peuple ?
(Le peuple
Juif.)
Ils ressemblent à ces enfans assis dans la place, qui
crient à leurs compagnons : Nous avons chanté des airs gais, et vous
n’avez pas dansé, nous avons chanté des airs tristes, et vous n’avez
pas pleuré.
Je pense que les personnes tant soit peu éclairées et de bonne foi sentent
déjà par elles-mêmes combien ces endroits de l’Ecriture sont peu favorables
aux danses ; et que prétendre s’en servir pour les justifier, c’est faire de
la parole de Dieu un abus manifeste et intolérable. Cependant, pour ne pas
laisser le plus petit retranchement aux apologistes des danses, je répondrai
à chacun de ces passages en particulier. Au temps de l’ancien auteur du traité sur les spectacles, dont j’ai déjà parlé, plusieurs
cherchoient dans les saintes Ecritures de quoi justifier les
spectacles, comme on y cherche maintenant de quoi
justifier les danses. Avant que de répondre aux passages dont on abusoit,
cet ancien auteur fait cette observation, que nous avons la même raison de
faire que lui : « Je dirai, qu’il vaudroit mieux ne rien savoir des
saintes Ecritures, que de les lire pour en abuser ainsi. »
Est-il en effet un abus plus criminel que de se servir pour autoriser les
vices, des livres saints qui n’ont été écrits que pour nous enseigner et
nous porter à la vertu et à la pratique de l’Evangile, selon cette parole de
saint Paul : (Tim. c. 3, vv. 16 et 17.)
Toute écriture
inspirée de Dieu, est utile pour instruire, pour reprendre, pour
corriger et conduire à la piété et à la justice, afin que l’homme de
Dieu soit parfait et disposé à toutes sortes de bonnes
œuvres ?
Combien s’éloigne-t-on de cette intention du
saint, quand on va chercher dans les livres saints, et qu’on fait d’inutiles
efforts pour y trouver de quoi justifier les danses !
Le premier passage qu’on allégue en faveur des danses, est celui de
l’Ecclésiaste, où l’on lit : Il y a un temps de s’affliger, et un temps de sauter de joie
. Mais je
demande si, sauter de joie est la même chose que danser ? Il peut arriver
quelquefois que dans les sauts que la joie fait faire, il y ait quelque
chose qui ne soit pas assez grave, relativement aux personnes et aux
circonstances ; mais, dans les simples sauts, il n’y a rien de dangereux
pour les mœurs ; et nous avons évidemment montré les dangers qui se
trouvent dans les danses que nous condamnons,
parce qu’elles se font avec des personnes de différent sexe, et avec des
gestes et des attitudes peu modestes.
Salomon, dans le passage de l’Ecclésiaste ; n’a nullement pensé aux danses ;
mais il a seulement parlé d’une manière historique de ce qui se passe
continuellement dans le monde, où quelquefois on est affligé et on pleure,
et d’autres fois on saute de joie : c’est pourquoi il commence le chapitre
d’où sont tirées les paroles qu’on objecte, par cette sentence :
Toutes choses ont leur temps.
Mais dans cette
remarque du Saint-Esprit, qu’il y a un temps de s’affliger et
un temps de sauter de joie, son intention principale a été de nous
avertir de prendre garde à bien distinguer le temps destiné aux larmes, et
celui qui est destiné à la joie ; et que c’est dans cette vie qu’il faut
gémir et pleurer, en attendant dans l’autre vie la consolation et la joie.
Jésus-Christ lui-même nous a appris à prendre cette vie pour le temps de
deuil et de pleurs, et celui de l’autre vie pour le temps de la joie,
lorsqu’il a dit : (Matth. c. 5. v. 5.)
Heureux ceux qui
pleurent, parce qu’ils seront consolés !
Marquant à ses
disciples ce à quoi ils étoient destinés pour ce monde et ce qui leur étoit
réservé en l’autre, il leur adresse ces paroles : (Jean, c. 16, vv. 20 et
22.)
En vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous
gémirez, vous autres, et le monde sera dans la joie ; vous serez
dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie… et
personne ne
vous ravira cette
joie
; au contraire, le démon, tout opposé à Jésus-Christ,
porte présentement les hommes à rire et à se divertir, en se réservant, par
une cruelle usure, de leur faire acheter des plaisirs si courts par une
éternité de supplices.
Au lieu donc de se servir de la parole du Saint-Esprit,
qu’il y a un temps de pleurer, et un temps de sauter de
joie
, pour autoriser les danses, servons-nous-en plutôt
pour nous convaincre que notre partage en ce monde doit être les gémissemens
et les larmes, à la vue de tant de péchés que nous avons commis, de tant de
dangers dont nous sommes environnés, et de notre éloignement du ciel, dans
lequel seul le vrai bonheur nous est promis. Mais, hélas ! presque personne
ne veut pleurer saintement et utilement en ce monde, sur l’autorité de
Jésus-Christ ; et lorsqu’on entend cet oracle de sa bouche :
Heureux ceux qui pleurent !
presque tout le
monde dit dans son cœur : Heureux ceux qui rient et qui se
divertissent !
Si on ne peut trouver, dans le passage de l’Ecclésiaste, rien qui autorise
les danses, telles que sont celles que nous condamnons, trouve-t-on plus
facilement rien qui y ressemble dans l’exemple de Marie, sœur de Moïse et
d’Aaron, laquelle tenant un tambour à la main, étoit suivie d’un grand
nombre de femmes, qui ayant aussi des tambours, formoient des chœurs de
musique ? Ecoutons sur cela le récit de l’Ecriture : (v. 20.)
Marie, conduisant le chœur des femmes,
répétoit après celui des hommes : Chantons une
hymne à la gloire du Seigneur, parce qu’il a révélé sa grandeur, et
qu’il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier.
Combien, dans les danses contre lesquelles nous nous élevons, est-on éloigné
de penser à chanter ainsi des hymnes à la gloire de Dieu ! Et ce qu’on y
entend chanter, peut-il servir à autre chose qu’à le faire offenser ? Quel
rapport entre ce mélange indécent et sans pudeur, de personnes de différent
sexe, pour se livrer à la licence d’une joie folle et criminelle, et ces
chœurs de femmes qui répétoient avec une harmonie majestueuse les hymnes
sacrées, après que les chœurs d’hommes les avoient entonnées ? Et combien,
par conséquent, doit-on rougir d’oser comparer ces danses avec la marche si
pleine de religion de Marie, que tant de femmes ne suivirent alors que pour
glorifier Dieu à son exemple, à l’envi les unes des autres !
Est-il plus raisonnable d’alléguer en faveur des danses, que l’amour du
plaisir sensuel a introduites parmi nous, l’exemple de David qui a dansé de
toutes ses forces devant l’arche ? Avant que de répondre aux amateurs et aux
défenseurs des danses, qui veulent se prévaloir de cet exemple, je leur
demanderai s’ils ont autant remarqué tout ce qui est dit dans l’histoire de
ce saint roi pénitent, des différens caractères si admirables de sa
pénitence, qu’ils ont remarqué sa danse ; et s’ils sont autant touchés des
gémissemens qu’il poussoit sans cesse, et des
larmes qu’à la vue de ses péchés il répandoit toutes les nuits si
abondamment, que son lit en étoit tout trempé, qu’ils sont touchés de le
voir danser devant l’arche du Seigneur ? Pourquoi, étant si empressés à se
prévaloir de la danse de David, le sont-ils si peu à imiter sa pénitence ?
Mais, sans nous arrêter à observer que cette danse de David, se livrant seul
à ces mouvemens devant l’arche, ne ressembloit en rien aux danses que nous
réprouvons, dont le mélange de personnes de différent sexe fait le fonds et
le danger, est-il pardonnable de ne considérer cette danse du Prophète-Roi,
qu’avec des yeux tout charnels, comme s’il n’y avoit cherché que le plaisir
sensuel que recherchent uniquement ceux qui vont aujourd’hui aux danses ?
« David, dit saint Ambroise, (l. 5,
in Lucam, n. 5) a dansé devant l’arche du Seigneur,
non par l’amour de la volupté, mais par un esprit de religion :
David antè arcam Domini non pro lascivio,
sed pro religione saltavit.
Et tout ce qui est
rapporté à la Religion est bienséant ; en sorte que nous ne rougissons
de rien de ce qui peut servir à honorer Jésus-Christ. (idem 2, de pœnit.
n. 41.)
Totum decet quidquid defertur religioni, ut nullum
obsequium quod proficiat ad cultum et observantiam Christi
erubescamus.
»
Plus les sentimens de Religion sont vifs au-dedans de l’ame, plus il est
difficile qu’elle les contienne, et qu’elle les empêche de se répandre
au-dehors. « Un homme touché de
Dieu
jusqu’au fond du cœur, dit un célèbre interprète sur la danse de
David, (M. d’Asfeld, concordance et
explication des rois et des paralipomènes, tom. 4. p. 100
et suiv.), ne peut se défendre de
laisser échapper des étincelles du feu qui le brûle au-dedans. Quand il
se voit libre et sans témoins, il lève tantôt les yeux au ciel pour
marquer son admiration et sa confiance, et tantôt il les baisse vers la
terre pour confesser son indignité. Il étend ses mains pour implorer la
miséricorde divine, et il se frappe la poitrine pour punir lui-même le
coupable. En se prosternant en terre, il commence à exécuter l’arrêt qui
le condamne à retourner en poudre. Ses gémissemens sont les interprètes
de son repentir, et il verse une abondance de larmes pour effacer ses
crimes par ce nouveau baptême. Si on étoit de loin spectateur de toutes
ces actions et de ces gestes, on en seroit d’abord étonné ; mais si, en
approchant de plus près, on entendoit ses paroles, et si on pouvoit lire
dans le cœur qui les dicte, on seroit attendri par le spectacle d’une
religion si vive, si enflammée et si pure. Il faut porter le même
jugement de la danse de David. Qui s’arrêteroit à la première apparence
que présente cette action, pourroit être tenté, comme Michol, de la
condamner comme peu séante à la majesté d’un roi et à la gravité d’un
prophète. Mais si, en pénétrant jusque dans la cause, on unit ces
mouvemens extérieurs de l’ardente piété d’où
ils partent, on ne trouvera dans toute sa conduite rien que de
respectable et que de grand. Ce prince religieux, emporté par les
saillies de son amour pour Dieu, et devenu distrait pour tout ce qui
l’environne, par une sainte ivresse, ne voit plus que son bienfaiteur
qui le met en ce moment au comble de ses vœux ; et afin de donner à sa
reconnoissance et à sa joie tout l’essor, et d’en suivre les transports,
il prend une tunique, comme le vêtement le plus propre à en seconder
l’activité ; et il quitte les marques de la majesté royale en la
présence de Dieu, devant qui tout doit s’anéantir et
disparoître. »
Peut-on raisonnablement douter que ces grands sentimens de religion n’aient
été le principe de la danse de David devant l’arche, lorsqu’on fait quelque
attention à la réponse qu’il fit à Michol qui, le voyant danser et sauter
devant le Seigneur, s’en étoit moquée en elle-même, et qui ensuite lui dit
en raillant :
Que le Roi d’Israël a eu de gloire
aujourd’hui en paroissant devant les servantes de ses sujets comme
un bouffon !
Quelle fut la réponse de David à ce
reproche et à cette raillerie de Michol ? Apprenons-le de l’histoire sacrée.
(2 Rois, c. 6, vv. 21 et 22.)
Oui, dit-il, devant le
Seigneur qui m’a choisi plutôt que votre père et que toute sa
maison, et qui m’a commandé d’être le chef de son peuple d’Israël,
je danserai et je paroîtrai vil encore plus que je n’ai paru ; je
serai
méprisable à mes propres yeux et
devant les servantes dont vous parlez, et même j’en ferai
gloire.
Une danse où l’on est rempli de sentimens
d’humilité si sincères et si profonds, peut-elle, sans un prodigieux
aveuglement, être mise en parallèle avec les danses profanes contre
lesquelles nous écrivons ? Va-t-on à ces danses pour s’abaisser et
s’anéantir devant le Seigneur, à l’exemple de David ? Y est-on occupé, comme
lui, de l’infinie grandeur de Dieu et de l’extrême bassesse de l’homme ?
Quoi, au contraire, de plus capable de faire perdre Dieu de vue, que les
danses dont le moindre mal est une très-grande dissipation d’esprit et de
cœur, où elles jettent ? Si, pendant qu’on danse, il venoit à l’esprit qu’on
est en la présence de Dieu, et si le sentiment de cette divine présence
commençoit à pénétrer l’ame, pourroit-on continuer à se tenir sous ses yeux
dans une situation qu’on ne pourroit alors douter lui être
très-désagréable ? C’est donc se faire à soi-même la plus grossière illusion
que de prétendre autoriser des danses où l’on ne pense nullement à Dieu, par
l’exemple de David, dont la danse n’exprimoit que les sentimens de la plus
vive religion.
Il ne reste plus qu’à répondre à l’endroit de l’Evangile, où Jésus-Christ
parle à des enfans qui disent à leurs compagnons :
Nous
vous avons chanté des airs gais, et vous n’avez point
dansé.
Qu’y a-t-il là qui paroisse justifier les danses ?
C’est, dira-t-on, que ceux qui n’ont point dansé, en entendant des
airs gais, en sont repris : mais est-ce
Jésus-Christ qui les en reprend ? Fait-il autre chose qu’employer une
comparaison ; et cette comparaison autorise-t-elle plus les danses, que la
parabole de l’économe infidèle autorise son infidélité ? Cet économe, en
agissant en homme très-infidèle à son maître, a agi en même temps en homme
très-prudent pour les affaires temporelles ; et c’est uniquement à nous
inspirer la même prudence dans l’affaire du salut, que cette parabole est
destinée.
Les saints Pères sachant combien les mauvais chrétiens sont disposés à se
prévaloir de tout ce qui paroît dans les saintes Ecritures tant soit peu
favorable à leurs passions, et prévoyant qu’il s’en pourroit trouver
quelques-uns qui abuseroient de ce texte de l’Evangile pour justifier les
danses, ont eu soin d’avertir les Fidèles de n’en pas tirer une conséquence
si contraire aux vues de Jésus-Christ. Saint Ambroise, (l. 2, de pœnit. c. 6, n. 42.) après les avoir citées, dit expressément :
« Il faut bien prendre garde que quelqu’un, trompé par une
interprétation grossière et trop humaine de ces paroles, ne croie
pouvoir s’en servir pour autoriser ces mouvemens lubriques qui se font
dans les danses, et qui ne conviennent qu’à des baladins et à des
bouffons. Ces mouvemens sont vicieux et répréhensibles, même dans la
jeunesse. (n. 43.) Il ne s’agit donc point ici de cette espèce de danse,
qui a pour compagne inséparable l’impudicité ; mais
Jésus-Christ a seulement voulu nous élever à quelque
chose de spirituel, par ce qui se passe de corporel et de sensible dans
les danses ordinaires. »
« Voici donc, conclut S. Ambroise, (n. 44.)
le sens mystérieux :
Hoc est mysterium
,
des paroles du Sauveur,
nous avons
chanté
, et ce que nous avons chanté, c’est le cantique
du nouveau testament, dont le sujet est la réconciliation des hommes
avec Dieu par Jésus-Christ ;
et vous n’avez point
dansé
, c’est-à-dire vous n’avez point élevé votre
ame à cette grâce spirituelle, parce qu’elle n’en a point été touchée.
Nous avons chanté des airs lugubres, et vous
n’avez point fait pénitence. Les airs gais qui n’ont point touché les
Juifs, c’est la vie commune de Jésus-Christ, qui sembloit plus capable
de les attirer ; et ces airs lugubres, c’est la vie la plus austère de
saint Jean-Baptiste qui ne les a point amenés à la pénitence.
Jésus-Christ explique ainsi lui-même ce qu’il a voulu faire entendre par
l’exemple de ce que les enfans se disent les uns aux autres ; car
Jean-Baptiste, dit-il,
est venu ne mangeant point et
ne buvant point du vin
; et vous dites :
Il est possédé du démon. Le fils de l’homme est venu
buvant et mangeant
, et vous dites :
C’est un homme de bonne chère et qui aime à
boire.
C’est avec raison, conclut saint Ambroise, que
Dieu a rejeté le peuple juif, parce qu’il n’a point fait pénitence à la
prédication de Saint Jean-Baptiste, et qu’il a
rejeté la grâce qui lui a été offerte par Jésus-Christ. »
Une remarque importante qu’il me paroît utile de faire sur l’explication
toute spirituelle que saint Ambroise a faite de cet endroit de l’Evangile,
c’est qu’on y voit combien l’esprit qui animoit les saints est différent de
celui dont les personnes mondaines sont animées. Celles-ci n’ont que des
idées toutes charnelles, et saisissent avec empressement tout ce qu’elles
peuvent trouver dans les Ecritures, qui paroît favorable au goût et aux maximes du monde pour s’en autoriser ; et les saints,
au contraire, se servent, pour s’élever jusqu’à Dieu et aux choses
spirituelles, de ce qui paroît dans certains endroits des Ecritures donner
des idées charnelles ! Jugeons par là de l’esprit qui nous anime. Et comme,
selon le grand principe de saint Augustin (l. 3. de la doctrine chrétienne,
n. 15.) « l’Ecriture ne commande que la charité et ne défend que la
cupidité »
, comprenons que nous n’entendons et ne lisons
l’Ecriture avec fruit, qu’autant que cette lecture sert à enflammer en nous
la charité, et affoiblir notre cupidité. Est-ce là le fruit que retirent de
la lecture des saintes Ecritures ceux et celles qui voudroient y trouver
quelque chose qui autorise les danses, lesquelles ne peuvent qu’enflammer la
cupidité, et par conséquent éteindre ou du moins affoiblir la charité ?
Les ministres protestans que nous avons déjà cités plusieurs fois, ont répondu avant nous aux exemples qu’on voudroit tirer des livres saints en faveur de la danse : ce qu’ils ont dit à ce sujet nous a paru assez lumineux et assez solide pour mériter de trouver encore ici sa place.
La première réponse qu’ils font est, que si les danses dont parle l’Ecriture
étoient telles que celles d’aujourd’hui, elles ne pourroient servir à les
justifier ; mais à cette réponse ils en ajoutent une seconde, en faisant
voir les différences entre les danses qu’ils combattent, et celles des
femmes israélites et de David. Le but de ces danses dont parle l’Ecriture
étoit « de se réjouir en Dieu en lui rendant grâces ; ce que ne
pouvoient faire des personnes si saintes, jouissant si saintement en la
présence de Dieu, avec une sainte modestie et une gravité convenable.
Ainsi s’en allèrent les femmes d’Israël après Marie avec des tambours et
autres instrumens, mais en donnant gloire à Dieu de la délivrance de son
peuple ; car cela est exprimé. Quant aux sauts de David devant l’arche,
ils ne pouvoient être autres qu’accompagnés de psaumes et de cantiques :
car il est dit que c’étoit devant le Seigneur qu’ils jouoient des
instrumens, et que David sautoit de toutes ses forces. Cependant,
lorsque ces choses se faisoient, les hommes n’étoient
point avec les femmes… Or, maintenant faisons comparaison de ces
danses-là à celles d’aujourd’hui, pour voir si elles se ressemblent.
Celles-là donc avoient pour unique fin une affection véhémente de
donner louange à Dieu avec le témoignage
d’une joie sainte ; et celles-ci ne tendent au contraire qu’à prendre et
à donner du plaisir. C’étoient là des mouvemens de personnes touchées et
émues d’une douce jouissance des bienfaits de Dieu ; et ce sont ici des
danses, après des banquets, de personnes pleines de vin et de viande, ou
de cœurs vains et folâtres. Là, les sons étoient des sujets sacrés, des
cantiques et des actions de grâces, pour conduire les pas de manière
qu’il n’y eût rien de profane : ici, les chansons les plus folles et les
plus indécentes sont les mieux reçues. Là, les hommes n’étoient point
avec les femmes, il n’y avoit point d’embrassemens, de baisers,
d’entretiens : ici, tout sont pêle-mêle avec toute privauté, avec
licence et abandon. Voilà la différence comme du jour à la
nuit »
.
Cette différence étant si sensible, falloit-il beaucoup de pénétration pour l’apercevoir ; et, si l’on ne s’aveugloit pas volontairement, ne l’auroit-on pas tout d’un coup aperçue ?
Mais au moins, puisque par les réflexions qui viennent d’être faites, le jour de la vérité luit d’une manière si frappante, qu’on cesse d’y fermer les yeux, et que désormais on raisonne et qu’on agisse toujours en enfans de lumière.
Mais, dit-on, en accordant qu’il n’y a dans les saintes Ecritures rien qui
autorise absolument les danses, ne peut-on pas raisonnablement demander à
ceux qui
défendent avec tant de sévérité de
chercher ce dangereux divertissement, pourquoi, si elles sont si
dangereuses, Jésus-Christ et les Apôtres n’ont rien dit positivement d’un si
grand péril et d’un si grand mal ? Je réponds avec M. Bossuet (dans ses
réflexions sur la comédie, tom. 7. de la collection de ses ouvrages, p. 630
à la fin, et 631.) « que ceux qui voudroient tirer avantage de ce
silence, n’auroient qu’à autoriser les gladiateurs et toutes les
horreurs des anciens spectacles, dont l’Ecriture ne parle pas. Les
saints Pères qui ont essuyé de pareilles difficultés, nous ont ouvert le
chemin pour y répondre qu’en général tout ce qui intéresse les hommes
dans des inclinations vicieuses, est proscrit avec elles dans
l’Ecriture. Les immodesties des tableaux dont l’Ecriture ne dit rien
expressément, sont condamnées par tous les passages où sont rejetées en
général les choses déshonnêtes »
. Il en est de même des danses.
S. Jean n’a rien oublié, lorsqu’il a dit : (épit. 1, c. 2,
vv. 15 et 16.)
N’aimez point le monde ni ce qui est dans
le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du père n’est point en
lui ; car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la
chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne
vient point du père, mais du monde.
Si la concupiscence
n’est pas de Dieu, tout ce qui la favorise, et plus encore tout ce qui
l’excite, n’est point de lui, mais du monde ; et les Chrétiens n’y doivent
prendre aucune part, puisque Jésus-Christ
dit
d’eux : (Jean, c. 17. v. 14.)
Mes disciples ne sont pas
du monde, comme je ne suis pas moi-même du monde.
Saint
Paul a aussi tout compris dans ces paroles de son épître aux Philippiens.
(c. 4, v. 8.)
Tout ce qui est vrai, tout ce qui est
honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui
est aimable, tout ce qui est d’édification et de bonne odeur, tout
ce qui est vertueux, ce qui est louable dans les mœurs ; que ce soit
là ce qui occupe vos pensées.
Tout ce qui empêche donc
d’avoir ces saintes pensées, et qui en inspire de contraires, ne doit point
plaire à des chrétiens, et doit au contraire leur être suspect.