Chapitre XI.
On doit non-seulement éviter les Danses, mais on doit même éviter, autant qu’on peut, d’être présent aux danses.
Si l’on ne doit pas aimer à danser, on ne doit pas non plus aimer à voir
danser les autres. Prendre plaisir à être spectateur ou spectatrice des
danses, c’est leur donner une sorte d’approbation, et par là y participer en
sa manière. Et saint Paul déclare (Rom. c. 1, v. 32)
que
non-seulement ceux qui font les choses défendues
(dont il venoit de parler)
méritent la mort, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui
les font
. Il écrit aussi aux Ephésiens (ch. 5,
v. 11.) :
Ne prenez point de part aux œuvres
infructueuses des ténèbres, mais plutôt
condamnez-les.
De plus, si on trouve du plaisir à voir danser, on ne peut guère tarder à en trouver à danser soi-même ; et si on a eu jusqu’alors de la répugnance à le faire, on sera facilement excité par l’exemple des autres, qu’on aura aimé à voir dans ce divertissement, à le rechercher et à s’y livrer soi-même, pour peu qu’on puisse le faire avec bienséance. Enfin, on ne peut s’arrêter à regarder les danses sans être en même temps témoin de beaucoup de familiarités et de libertés criminelles qu’ont ensemble les personnes de différent sexe, ou en dansant, ou après avoir dansé. Et combien cette vue est-elle capable de produire dans l’ame de mauvaises pensées et de mauvais désirs, qu’on ne peut alors dire être involontaires, puisqu’on veut ce qui les produit !
Voici encore ce qu’enseignent sur cela les ministres protestans dans leur
chapitre dixième de leur traité contre les danses. Il est si conforme aux
principes de la religion et si solidement prouvé par les saintes Ecritures,
qu’il ne peut être que très-utile de le mettre sous les yeux des
catholiques : « S’il est besoin de se trouver aux compagnies
quelquefois, il le faut faire prudemment, et selon que nous sommes
enseignés, regarder avec discrétion quelles sont les compagnies que nous
voulons fréquenter ; car il n’est pas permis de se réunir à toutes
sortes de gens, de peur que tombant dans la compagnie de gens déréglés,
l’on ne communique au mal, et que de mauvaises paroles ou actions on
n’en remporte quelque vice… Il faut user du conseil que les anciens
conciles donnoient jadis aux chrétiens quand ils seroient à quelques
noces, qu’ils mangeassent sobrement et honnêtement ; et les tables étant
levées, si les ménétriers entroient pour commencer les danses, qu’ils
partissent de là. Qu’ils se retirent donc ; et s’ils ont fait une faute
de s’être approchés de telles assemblées du monde,
qu’ils n’ajoutent pas une seconde faute d’être ou
parties, ou spectateurs des actions qu’ils doivent condamner. Mais ce
sera malhonnête, disent-ils, de laisser la compagnie. Soit ; la faute en
est aux autres qui vous en donnent l’occasion ; car quand vous aurez été
appelé par vos amis, et que vous serez là avec eux tant qu’il vous sera
permis pour votre salut et votre honneur, vous aurez abondamment
satisfait à l’amitié ; mais que sous quelque prétexte vous oubliiez les
devoirs de votre profession, il n’y a point de raison d’agir ainsi,
parce qu’il ne fut jamais permis que l’amitié liât si fort, que de faire
l’un complice et compagnon des vices de l’autre. C’est ici plutôt que la
sainte et constante hardiesse chrétienne se doit montrer, à ne point
participer aux œuvres mauvaises, mais plutôt à les reprendre et les
condamner, si ce n’est de paroles, pour le moins par une soudaine
retraite, et par tous les témoignages qu’on ne les approuve point. Tout
ce qu’ils pourront dire de ceux qui se retirent, sera qu’ils ne veulent
point danser, c’est-à-dire qu’ils sont chrétiens, ennemis des vices ;
qu’ils détestent le mal jusqu’aux apparences ; qu’ils renoncent au monde
et à ses plaisirs, et fuient toutes les occasions qui portent au mal :
si cela leur déplaît, ce n’est que ce qui nous a été promis par ces
paroles de la première épître de saint Pierre (c. 4, v. 4.) Ils trouvent
maintenant étrange que vous ne couriez
plus
avec eux, comme vous faisiez autrefois, à ces assemblées de débauche et
d’intempérance, et ils prennent de là sujet de vous charger
d’exécrations. Mais il est à espérer aussi que notre constance en
touchera plusieurs qui, si nous participions à de telles actions,
suivroient notre exemple. »
N’étant permis à personne d’aimer à regarder les danses, que doit-on donc
penser des ecclésiastiques, et surtout des curés qui, lorsqu’il se fait des
danses dans leurs paroisses, en sont tranquilles spectateurs dans le lieu
même de l’assemblée ? Quel doute qu’ils ne se rendent d’autant plus
criminels devant Dieu, que leur exemple est plus capable de faire
impression, et qu’on est plus porté à s’en prévaloir pour regarder comme
permis un divertissement qu’on n’est déjà que trop porté à justifier,
quelque mauvais qu’il soit ? Un curé qui se rendra spectateur des danses qui
se font dans sa paroisse, aura-t-il bien du zèle et de la force pour les
condamner dans la chaire et au confessional ? et auroit-il bonne grâce à le
faire s’il l’entreprenoit ? Cependant n’est-ce pas pour lui un devoir
indispensable de s’élever souvent contre la source de tant de maux ? C’est
ce que saint Charles recommandoit aux curés de son diocèse : et tout curé
qui néglige de le faire, ne doit-il pas prendre pour lui ces paroles de Dieu
dans la prophétie d’Ezéchiel ? (c. 33, v. 6.)
Que si la
sentinelle voyant venir l’épée ne sonne pas de la trompette, et que
le
peuple ne se tenant point sur ses
gardes, l’épée vienne et leur ôte la vie, ils seront surpris dans
leur iniquité ; mais néanmoins je redemanderai son sang à la
sentinelle.
C’est là un langage figuré dont Dieu donne
lui-même l’explication sur-le-champ, en ajoutant : (v. 7)
Fils de l’homme, vous êtes donc celui que j’ai établi pour
servir de sentinelle à la maison d’Israël : vous écouterez les
paroles de ma bouche, et vous leur annoncerez ce que je vous aurai
dit.
Ce qui est dit ici au prophète Ezéchiel, ne
regarde-t-il pas aussi tous ceux qui ont la charge des ames ? Ils sont
établis comme des sentinelles sur le troupeau qui leur est confié, pour
examiner et considérer tout ce qui peut nuire aux ames dont ils sont
chargés, pour les en avertir, et pour employer tous leurs soins à les en
garantir. Est-ce là ce que font, par rapport aux danses, les curés qui y
assistent ? Leur présence dit-elle à ceux et à celles qu’ils voient danser :
Vous vous livrez à un divertissement très-dangereux et très-mauvais ? ne
semble-t-elle pas au contraire leur dire : Je trouve bon et j’approuve que
vous vous réjouissiez comme vous faites ? Il est vrai que les curés qui ne
se font point de scrupule d’être présens aux danses de leurs paroissiens,
prétendent excuser une conduite si peu pastorale et si opposée à toutes les
règles, en disant que leur présence peut servir à arrêter des libertés
criminelles qui s’y prendroient, et bien des péchés qui pourroient s’y
commettre si leur présence ne retenoit pas ceux qui dansent.
Mais en s’appuyant d’une si mauvaise raison, ces curés ne
doivent-ils pas craindre que Jésus-Christ en les jugeant ne leur dise :
(Luc. c. 19, v. 22.)
Méchant serviteur, je vous condamne
par votre propre bouche !
En effet, s’ils croient leur
présence aux danses nécessaire, ou du moins utile pour empêcher des
désordres qu’ils croient avoir lieu de craindre, ils conviennent donc que
les danses peuvent facilement donner lieu à ces désordres ; et dès-lors,
bien loin de paroître approuver les danses par leur présence, ne doivent-ils
pas au contraire employer tout ce qu’ils ont de zèle et d’autorité à les
empêcher, s’il est possible, dans leurs paroisses ? Qui voudroit excuser un
officier de guerre, qui verroit tranquillement et sans rien dire, les
soldats qu’il commande, piller les lieux par lesquels il les conduiroit,
sous prétexte qu’il seroit là présent pour les empêcher d’attenter à la vie
de ceux dont ils prendroient le bien ? Quand on est chargé de la conduite
des autres, on ne doit pas se borner à n’empêcher que les plus grands maux ;
on doit encore s’opposer, autant qu’on le peut, à tous. Je veux même que la
présence des curés qui assistent aux danses, arrête certaines libertés plus
grandes ; (ce qui est fort douteux, parce que de tels curés ne se font guère
respecter ni craindre.) En arrêtant ainsi la main, c’est-à-dire les actions
extérieures, arrêteront-ils le cœur, c’est-à-dire les mauvais désirs et les
autres mauvais effets cachés, que les danses des
personnes de différent sexe produisent naturellement ? Si donc un curé,
qui a des lumières et du zèle, désire bien sincèrement de s’opposer aux maux
sans nombre et très-grands qui naissent des danses, quel parti
prendra-t-il ? Ce ne sera pas d’être présent à ces danses ; mais de parler
souvent en chaire contre elles ; d’exhorter avec charité et avec douceur les
personnes de la paroisse qui les aiment, à y renoncer ; d’être ferme et de
ne point admettre aux sacremens ceux et celles qui refuseront de se rendre à
ses avis ; de faire à Dieu de fréquentes et de ferventes prières pour
obtenir de sa miséricorde qu’il ouvre le cœur de ses paroissiens à ses
exhortations ; et, s’il ne peut, par tous les efforts et toute l’industrie
de son zèle, arrêter un mal dont il sent toutes les funestes suites, il ne
doit pas se décourager pour cela ; mais redoubler dans le secret ses
gémissemens, espérant qu’ils ne seront pas entièrement sans fruit pour
quelques-uns de ceux qui en auront été l’objet ; ou que s’ils ne leur
servent pas, ils lui serviront à lui-même, en attirant sur lui, pour sa
propre sanctification, les grâces qu’il n’aura pas obtenues pour la
sanctification des autres.