(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre VI. Témoignage d’Auteurs et de Ministres protestans contre les Danses. » pp. 72-93
/ 775
(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre VI. Témoignage d’Auteurs et de Ministres protestans contre les Danses. » pp. 72-93

Chapitre VI.

Témoignage d’Auteurs et de Ministres protestans contre les Danses.

Le premier que je nommerai est Gisbertus Vossius (ou Voetius) professeur de théologie en l’académie d’Utrecht ; dans la quatrième partie de ses disputes théologiques, au titre, des choses élevées de ce monde. Sur le septième commandement, pag. 336, il déclare que la profession de maître à danser, en tant que ceux qui l’exercent, apprennent autre chose qu’à se bien tenir et à marcher décemment, est une profession illégitime, comme celle des comédiens, et que les magistrats chrétiens ne doivent point souffrir qu’on donne des leçons publiques de danse. Dans le même endroit, Vossius rapporte les synodes des protestans qui ont décerné des censures contre ceux qui fréquentoient les danses, les jugeant indignes d’assister aux assemblées publiques de prières, et de faire la cène. Plus bas, (pag. 346.) le même auteur ne permet pas d’apprendre à danser en son particulier ; et la raison qu’il en donne, c’est « qu’il est à craindre que quand on l’aura appris, on ne fasse montre de sa science à cet égard ; ou si on n’a pas cette intention, et qu’en effet on n’en doive point faire usage, pourquoi, dit Vossius, perdre le temps à apprendre ce qu’on n’a pas dessein de faire quand on le saura ? »

En s’élevant ainsi contre les danses, Vossius propose des moyens ecclésiastiques et politiques, qu’il croit qu’on doit employer pour les abolir. Entre les moyens ecclésiastiques, le premier qu’il propose, c’est que tous ceux qui sont chargés du ministère de l’instruction et de la parole, soient unanimes à condamner hautement les danses, et le fassent souvent. Le second moyen est de reprendre en particulier, et même, s’il le faut, en public, ceux qu’on voit fréquenter les danses. Le troisième, c’est, comme je viens de le dire, d’interdire la cène à ceux et à celles qui ne voudront pas renoncer aux danses, et de les frapper enfin des censures, s’ils sont incorrigibles.

Entre les moyens politiques qu’il propose à ceux qui ont l’autorité temporelle, le premier est de ne souffrir aucune école publique de danse ; le second, de condamner à des amendes ceux qui prêtent ou louent leur maison pour des assemblées de danses ; le troisième, de condamner à de pareilles amendes ceux et celles qu’on surprendra dansant dans les foires, dans les places publiques ou dans les rues, après que la défense en aura été faite.

A ce ministre protestant, j’en joindrai un grand nombre d’autres, qui ont composé en commun un traité contre les danses, qu’ils ont adressé au roi de Navarre par une épître dédicatoire, à la fin de laquelle ils prennent la qualité de ministres du saint Evangile des églises françaises réformées. Ce traité a été imprimé en 1679, chez François Estienne (le lieu de l’impression n’est point marqué). Il porte pour titre : Traité des danses, auquel est amplement résolue la question de savoir s’il est permis aux chrétiens de danser.

Ces ministres emploient tout ce traité à montrer par un grand nombre d’autorités des saintes Ecritures et des Pères, et par les plus fortes raisons, que les danses doivent absolument être interdites aux chrétiens ; et ils le finissent en répondant à plusieurs des raisons qu’on allégue pour les justifier. Lorsque j’ai pris le même plan dans le traité que je donne, je n’avois pas encore lu celui des ministres ; mais ce plan est si naturel et si simple, qu’il se présente de lui-même à l’esprit.

Je vais donner une analyse et quelques extraits de ce traité excellent en lui-même ; et quoique le français, dans lequel il est composé, soit rempli de termes surannés, qui ne sont plus maintenant en usage, cependant, voulant donner les extraits avec la plus exacte fidélité, afin qu’on soit plus touché de la force avec laquelle les ministres, auteurs du traité, ou qui l’ont adopté, parlent contre les danses, je ne supprimerai ni ne changerai de ces termes, si ce n’est peut-être quelques-uns en petit nombre, qui seroient tout-à-fait inintelligibles, ou qui expriment d’une manière trop grossière le vice de l’impureté, qu’on fait voir être l’ame et le fruit des danses.

D’abord, dans l’épître dédicatoire au roi de Navarre, les ministres, après s’être plaints des efforts que beaucoup de gens font pour justifier les danses, disent : « Nous sommes dans un siècle si débordé, qu’il n’y a rien de si louable qui ne soit condamné, ni si détestable qui ne soit approuvé ; mais pour tout cela jamais mensonge ne deviendra vérité, et ne doivent les vrais ministres et pasteurs être moins courageux à maintenir la vérité de l’Eglise, que ceux-là sont effrontés à l’assaillir. »

En conséquence, ils déclarent qu’il a été avisé entre eux, « être très-nécessaire de mettre ce traité au jour, pour affermir dans le bien ceux qui ne sont pas encore adonnés au mal ; pour ramener au bon chemin ceux qui, s’étant égarés, se rendent toutefois dociles et capables de raison, et pour convaincre les plus incorrigibles et opiniâtres, afin de les retrancher du troupeau et les tenir pour tels, non pas qu’ils se disent, mais qu’ils sont à la vérité, faisant profession de connoître Dieu, dit l’Apôtre, mais le reniant par leurs œuvres. »

chapitre II.

Pour procéder avec ordre dans ce traité, et ôter tout lieu d’échapper à la force des autorités et des raisons que ces auteurs allèguent, ils commencent par donner l’idée des danses contre lesquelles ils écrivent. « Les danses, disent-ils, sont des sauts et des mouvemens, mesurés de façons diverses, en assemblées d’hommes et de femmes, au son de choses vaines et profanes, et non à autre fin que de prendre et donner du plaisir. Voilà les danses d’aujourd’hui, même à les considérer en leur plus grande simplicité, et sans d’infinies circonstances qui ne leur apportent rien de mieux. Or, ce sont des plaisirs du monde, que nous ne pouvons aucunement approuver. »

chapitre III.

Leur première raison pour les condamner, « c’est qu’elles ont toujours été les effets, les suites et les dépendances de très-grands vices, comme d’intempérance, d’impudicité. Là où la sobriété sera plus étroite, les danses ne seront point ; mais à la suite des grandes chères et des banquets… Qu’il n’y avoit point de danses en la compagnie de Jésus-Christ et de saint Jean-Baptiste, mais en la cour d’Hérode où toute souillure régnoit, jusqu’aux incestes ».

Ensuite les ministres, considérant la danse du côté des mouvemens qui la composent, observent « que l’ame qui les commande, et donne commencement à ces mouvemens, est nécessairement telle, qu’elle rend le corps qu’elle gouverne, volage, léger, remuant, sans arrêt ; ce qui ne peut convenir à l’honneur de l’homme chrétien… Quant à ce que de telles démarches se font par règles et mesures, ce n’est point pour les approuver davantage ; car c’est toujours faire ce que font les fous et les insensés : il y a seulement cette différence, que le faire avec règle et mesure, c’est, comme dit un certain poète comique (Térence), faire l’insensé avec raison, et montrer qu’on a la cervelle plutôt aux pieds qu’en la tête ; et nous disons que pour cela la folie et la vanité des hommes se montrent bien plus grandes… Avoir mis cette vanité en art, et aller à l’école pour l’apprendre, n’est-ce pas là la vanité des vanités ? Comme si nous n’avions pas des occupations meilleures, et comme si cette vie étoit si longue, que pour la passer, il en faille donner une partie à une étude, laquelle a pour perfection de savoir faire le fou en compagnie, par des mouvemens et des gesticulations étranges ! Les chrétiens ont une science qui doit posséder entièrement leurs cœurs, savoir : la connoissance du vrai Dieu, l’étude et la méditation des choses célestes, le mépris de cette vie, les préceptes de bien et saintement vivre, de savoir renoncer au monde et à ses voluptés. S’il faut apprendre à mesurer ses pas, ce doit être de la façon que le sage nous enseigne en ces paroles : (Prov. c. 4, vv. 26 et 27.) Dressez le sentier où vous mettez le pied, afin que toutes vos démarches soient fermes. Ne vous détournez ni à droite ni à gauche ; et retirez votre pied du mal. C’est qu’il faut tenir règle et mesure en toutes nos actions, mettre bon ordre à nos désirs et à nos affections, afin qu’elles ne nous emportent pas à quelque vice ; se retirer du mal, et si l’on veut encore, c’est de garder une droite sobriété en sa manière de marcher, aussi bien que dans toutes les autres actions de la vie ; afin que jusqu’à nos pas il n’y ait rien qui ne soit un témoignage de vertu. Voilà la mesure de nos pas que la parole de Dieu nous recommande, non pas de garder mesure à rendre l’homme vain en une danse, et cependant en toutes ses actions marcher en étourdi, et en ses conseils, faits et paroles, ne garder ni mesure ni raison. »

chapitre V.

De là, passant aux folâtreries et gaîtés déréglées qui sont l’ame de la danse, les ministres protestans posent un principe trop ignoré de la plupart des chrétiens, et qu’ils ne devroient cependant jamais perdre de vue : c’est que, « quand l’homme fidèle use de la récréation, ce n’est pas tant pour le plaisir, autrement ce ne seroit pas récréation ; mais il en use pour d’autres fins meilleures et plus nécessaires, comme celles du boire et du manger » : Appliquant ce principe aux gaîtés des danses, contre lesquelles ils s’élèvent, ils disent : « Quand on voudra confronter de telles gaîtés avec les règles de la continence et de la sobriété chrétiennes, il ne se trouvera point que ce soient des choses que l’on puisse jamais accorder. Ces règles sont d’être sobres, modestes, et resserrés en toutes les parties de l’ame, de n’aimer point le monde, mais de le mépriser et de fuir ses voluptés, pour avoir sa conversation aux cieux ; de se réjouir comme ne se réjouissant pas, et ce qui est encore d’une abstinence plus étroite, de veiller, de mortifier ses membres, de crucifier sa chair et ses convoitises, de matter son corps, et le réduire en servitude ; d’aller plutôt à une maison de deuil, qu’à une maison de festin  ; (eccl. c. 7, v. 3,) c’est-à-dire d’aller chercher tout ce qui resserre nos gaîtés par une représentation assidue de la mort ; bref, de s’employer à son salut avec crainte et tremblement. (Philipp. c. 2. v. 12). Voilà des commandemens pour tenir de court notre chair et nos folies, et non pour lâcher les rênes à la chair, et la laisser échapper à un tel abandon de ses plaisirs… Or, à cela nous disons que toutes ces gaîtés sont directement contraires… Les danses tranchent tous ces liens, et donnent la liberté à la chair, pour l’affranchir de telles craintes et sollicitudes, et lui ouvrir la porte à tous les plaisirs, pour s’y répandre en toutes ses aises. Reste-t-il parmi ces gaîtés aucunes traces de crainte de Dieu, de guerre contre la concupiscence, de mortification du vice ? Mais plutôt, le monde y règne, et ses gaîtés y sont nourries de toute sorte de licence. »

chapitre VI.

Et comme on voudroit dispenser la jeunesse de ces règles si sévères, les ministres protestans s’y appliquent particulièrement à montrer que, bien loin que la danse soit plus permise dans la jeunesse, elle y est au contraire plus dangereuse… « qu’étant plus portée à la joie, à la gaîté, le remède est, non pas d’accorder à la jeunesse tout ce à quoi ce plaisir, c’est-à-dire la folie et la vanité la poussent, mais de lui retrancher plutôt ce qui seroit nuisible, et plus pour augmenter les maladies de l’âge, que pour les corriger ; selon que les médecins ont accoutumé envers les corps mal sains, et inclinans à des maladies, d’user de régimes plus sévères. C’est le conseil de l’Apôtre. Fuyez, dit-il, les désirs et les passions des jeunes gens. (2 Tim. 2. c. 2. v. 22.) C’est un combat que les jeunes gens ont à soutenir plus furieux qu’en aucun autre âge, le diable ne s’oubliant pas à user de l’occasion, et à présenter tous les plaisirs pour donner de la force aux convoitises en ce qu’il peut. Or, en ce combat, le danger est de vouloir ce que les ennemis désirent, et la victoire est de les fuir, et de s’en abstenir ; ce qui se doit faire en la jeunesse avec une prudence et une sollicitude d’autant plus grandes, que c’est le commencement du combat, où faillir et donner prise à l’ennemi, comme il arrive à la guerre, est un mauvais présage pour tout le cours du combat… Par conséquent, lorsqu’on dit que la jeunesse est gaie, et qu’on la doit laisser danser, il faut prendre l’argument tout contraire. »

Après avoir interdit si sévèrement les danses aux jeunes gens, ces auteurs protestans l’interdisent encore avec plus de force aux jeunes personnes de l’autre sexe. Quant aux jeunes femmes et filles, ajoutent-ils, ce que la parole de Dieu leur ordonne, « pour conserver leur âge tendre en un état saint et honnête, dira toujours que la danse leur est encore moins convenable… Le propre de la pudeur et de la crainte en une vierge, c’est de lui tenir le visage honnêtement baissé. Y a-t-il apparence que cette pudeur puisse permettre à une fille au milieu d’une compagnie, de lever ainsi le front et le visage… tourner toute sa personne de mille manières, et prendre une contenance si hardie et si gaie ? » Cela ne peut être.

chapitre VII.

Non-seulement, selon les théologiens, on ne doit pas « prendre plaisir à danser, mais on ne doit pas non plus se plaire à voir danser ; car c’est donner à connoître qu’on a le cœur vain et charnel, et qu’il s’amuse encore aux folies du monde et à des choses qui ne valent rien ; de plus, c’est, pour bien dire, participer au mal au lieu de le reprendre, la différence n’étant pas grande en matière de vice, d’y consentir ou de prendre plaisir à le voir faire et de le faire selon que les saints personnages anciennement prononçoient contre ceux qui assistoient aux théâtres, et prenoient plaisir aux folies qui s’y faisoient ».

chapitre VIII.

Parlant des chants dont les danses sont souvent accompagnées, ils remarquent aussi : « que les chansons les plus communes seront là des paroles pleines d’amour, c’est-à-dire d’impureté. Or, de telles choses n’appartiennent point aux chrétiens qui doivent avoir appris à purifier leur bouche de toute parole déshonnête et folle, et à détester tellement toute espèce de souillure, que les noms n’en soient pas ouïs seulement entre eux. (Ephés. c. 4, v. 29 et c. 5, v. 3.) Cependant, ces choses sont des parties essentielles de la danse pour les échauffer, les animer, et leur donner les mouvemens…. Si on réplique que les danses ne se feront pas toujours avec de telles chansons de voix et de paroles prononcées, mais au son des instrumens, ce n’est pas encore assez pour les justifier ; car les instrumens représenteront à l’esprit le sujet de ces chansons, et ne serviront qu’à donner le poison avec plus de plaisir ».

chapitre IX.

Mais ce sur quoi ils insistent comme étant le comble du mal dans les danses, c’est que les hommes et les femmes s’y trouvent ensemble pour s’y donner réciproquement du plaisir. « Car, disent-ils, en pareilles circonstances la femme est un objet de concupiscence pour l’homme, et l’homme pour la femme, la matière de l’inflammation est dans tous les deux, et il ne faut que les seuls regards pour y mettre le feu, et faire brûler leurs cœurs de mauvais désirs ; tellement que la rencontre n’en est guère sans inconvénient. Non pas toutefois qu’il ne soit jamais permis aux hommes et aux femmes de se trouver ensemble ; mais seulement en de saints actes, et avec une telle prudence, que les fins, l’état des personnes, les actions soient là comme autant de préservatifs pour empêcher tous mauvais accidens… Que si encore les assemblées sont telles, qu’avec la rencontre des yeux il y ait communication de paroles, autres que bien pures et bien chastes ; et que l’on prenne plaisir à dire et ouïr des choses sales et déshonnêtes, c’est jeter de l’huile au feu. Chacun sait quelle est la force des paroles mauvaises à corrompre les mœurs. (1. Cor. c. 15, v. 33)… Mais si, outre cela encore, et en de telles assemblées, il y a des privautés entre l’homme et la femme, tout est perdu… En quelque part que nous découvrions le danger, il le faut craindre et fuir, et nous ne devons jamais penser ou que le danger n’y soit pas si grand, ou que nous soyons assez forts pour en échapper. Le danger n’est jamais petit, où il y a tant soit peu de chose attirant au mal notre nature qui déjà n’y court que trop vîte d’elle-même, et il se faut souvenir de la sentence des sages, que d’une petite étincelle se fait souvent un grand incendie. Quant à nos forces de pouvoir être fermes dans les dangers, et d’en sortir sains et purs, après y être venus, nous nous tromperons… Là-dessus se promettre l’assistance de la vertu de Dieu, quand on délaisse ses voies pour suivre le danger, c’est un abus ; voilà la sentence qui en est donnée : Quiconque cherche le danger y tombera et y périra  ; il faut que la folle présomption soit ainsi punie. »

chapitre X.

Et en effet, si la seule rencontre de l’homme avec la femme peut par le moyen des regards « allumer le feu des convoitises ; s’il en est de même des paroles obscènes, des chansons folles, des manières trop libres, on peut juger des grands inconvéniens que toutes ces choses produisent, quand elles concourent ensemble dans un même lieu, entre les mêmes personnes, le cœur surtout n’étant là que pour se donner du plaisir. Or, la danse réunit tous ces dangers ».

Revenant ensuite aux personnes qui prennent plaisir à assister aux danses, ils remarquent que les inconvéniens dont ils viennent de parler, « ne seront pas seulement pour ceux qui dansent, mais pour les autres qui sont spectateurs ; que si le regard d’une fille qui dansoit a produit un si grand effet sur le cœur d’Hérode, qui osera se permettre de regarder avec plaisir de nombreuses assemblées de femmes et de filles qui dansent, et espérer de n’en recevoir aucun dommage moral ? S’il y en a qui disent que nous voyons ces périls de trop près, et qu’ils n’en voient pas tant que nous en comptons ; qu’ils sachent que ce sont les délices du péché qui les aveuglent, et l’habitude de tant d’obscénités qui leur en ôte le sentiment ».

chapitre XI.

Remontant jusqu’aux motifs que nous devons nous proposer dans chacune de nos actions, afin qu’elles soient chrétiennes, ils font voir qu’aucun de ces motifs ne se trouve et ne se peut trouver dans les danses. « Les choses, disent-ils, par lesquelles nous jugerons de nos actions, sont trois principalement : si elles sont conformes à notre vocation, si l’édification de notre prochain en peut être aidée, et si elles tendent à la gloire de Dieu. Notre vocation exige que nous fuyions le péché jusqu’aux moindres apparences, afin de conserver une pureté très-étroite ; que nous ne nous conformions point au monde, mais que nous prenions pour règle la volonté de Dieu, pour bien ordonner toutes les parties de notre vie ; et encore qu’ayant nos affections ravies en l’amour des choses célestes, nous ne soyons point amusés et retenus en de vains plaisirs. A ces fins, si nous rapportons ce qui a été dit de la danse, il n’y a pas un seul point que nous y puissions approuver ; car la pureté ne peut être entière et vraiment ennemie du péché parmi tant de vices et d’attraits au mal. Il n’y a rien de la volonté de Dieu en de telles insolences, qui sont autant de façons profanes du monde ; et Dieu ne sauroit avoir en aucune action, le cœur plongé plus avant dans les folles délices et les plaisirs de la terre, que là. Quant à l’édification du prochain, tout y est contraire, et on n’apprendra jamais rien de bien en tous ces spectacles de folies et de vanités, en tous ces exemples de cœurs s’enivrant de plaisir… Pour ce qui regarde la gloire de Dieu, nous laissons à juger après toutes ces considérations, s’il y a rien qui y tende… Que si les danses n’ont rien de convenable, ni à la vocation des chrétiens, ni à la charité et à l’édification du prochain, ni à la gloire de Dieu, que leur peut-il rester pour les dire bonnes ? »

chapitre XIII, XIV, XV, XVI.

Enfin, après avoir prouvé par l’Ecriture, les Pères, les conciles, les païens même, que les danses sont condamnables, ces ministres répondent à quelques-unes des raisons que les avocats des danses, (c’est ainsi qu’ils appellent ceux qui entreprennent de les justifier) alléguent pour s’efforcer de montrer qu’elles sont indifférentes, et que c’est s’opposer à la liberté chrétienne, que d’en faire un péché. Pour détruire cette idée, ils font remarquer que, selon l’idée juste qu’on en doit avoir, « elles ont leur origine dans de très-grands vices, et que la forme et les fins sont contraires à beaucoup de vertus et de devoirs chrétiens, étant allèchement de péché ; bref, les danses mènent avec elles une suite de beaucoup d’inconvéniens ».

Et sur ce que quelques personnes pouvoient répliquer qu’à la vérité on ne peut pas nier qu’aux danses d’aujourd’hui il n’y ait beaucoup d’abus, mais qu’il faut réformer l’abus sans rejeter la chose, voici leur réponse : « Nous répondrons, qu’en cas de réforme, il faut user d’une prudence bien grande, et considérer la nature des abus, et si ce sont des accidens survenus à une chose bonne en elle-même, ou autrement. Car si la chose est bonne en elle-même, il faut la conserver, mais en ôter les abus… Que si le vice est en la chose inséparablement, et ne se peut retrancher qu’en anéantissant la chose même, il ne faut rien épargner… Or, les danses ne sont point d’une autre nature. A bien examiner les parties, les causes et les effets inséparables des danses, même en leur plus grande simplicité, vous n’y trouverez autre chose que vice. Et (par conséquent) ce que l’on feroit à un arbre venimeux en sa racine, en son bois, en ses feuilles, en son fruit, de le couper par le pied (encore qu’il pût servir à donner de l’ombre) et de le mettre au feu, afin que personne n’y fût plus abusé, il le faut faire de la danse ; l’ôter entièrement, afin qu’il n’y ait plus d’abus et de dommage. »

chapitre XVII.

Comme on insiste quelquefois sur les prétendus avantages qu’on voudroit attribuer à la danse, ils les parcourent. C’est, dit-on un exercice propre à la santé. « Que nous accordions, répondent les ministres, que la santé du corps en puisse être aidée, est-ce une cause d’en user, quand notre ame, notre profession, notre honneur y reçoivent tant de dommages ? Car quelle sagesse de racheter sa santé avec tant de dommages ? Mais c’est une vaine excuse d’alléguer les exercices de la santé en la danse, quand c’est proprement contre l’avertissement de saint Paul, (Rom. c. 13, v. 14,) accorder à la chair ses plaisirs et ses convoitises. »

Un autre avantage qu’on prétendoit trouver dans les danses, c’est qu’elles sont un acheminement et un préparatif à beaucoup de mariages. Pour détruire ce vain prétexte, les ministres, auteurs de ce traité, font voir que des mariages qui ne se feroient que par une suite des passions excitées par les danses, sont bien plus propres à en montrer le danger et le mal, qu’à les justifier, et que de tels mariages ayant un aussi mauvais principe, ne peuvent guère être chrétiens ; mais que quand même de pareils mariages produiroient de très-grands avantages temporels, les danses qui auroient été le moyen d’y parvenir, n’en seroient pas plus légitimes. « Si les danses, disent-ils, se doivent justifier à raison de tels profits, ce seroit celle de la fille d’Hérodias, laquelle pour une seule danse gagna la promesse de la moitié d’un royaume. Cependant quelle danse plus criminelle et plus détestable ? Il faut, ajoutent-ils, que les chrétiens aient de bonne heure appris la règle que saint Paul donne (Rom. c. 3, v. 8.) de ne faire jamais le mal, afin que le bien en arrive. Et quand même l’on sera parvenu au mariage par une telle voie, que pourra-t-il s’ensuivre ? Une chose qui prendra sa naissance dans de telles sources, quelle pourra-t-elle être dans tout son corps ? Quelle espérance aura-t-on que Dieu l’approuve, et veuille mêler ses bénédictions parmi ce qui se passe de mauvais dans les danses ? Les choses saintes se doivent traiter par des moyens saints et légitimes ; et celui qui veut faire une bonne œuvre, la doit commencer sur de meilleurs fondemens. »

Tout le traité est terminé par une conclusion énergique et pressante, dont voici quelques traits :

« Et c’est pour toutes ces raisons que nous exhortons nos églises à chasser et reléguer ces mauvaises coutumes aux enfers, dont elles sont venues, aux solennités des idoles, à une cour d’Hérode, enfin, aux lieux de débauches ; car, dans un si grand nombre de raisons de les juger toutes indignes de notre profession, il n’y en a pas une seule qui nous doive engager à les supporter comme choses indifférentes, et sous prétexte d’aucun profit public ou particulier. Si notre vie a quelquefois besoin de relâche ou de récréation, il y a assez d’autres moyens plus honnêtes. Et vouloir acheter nos plaisirs avec de telles pertes et de tels dommages, même de nos ames, ce ne seroit pas agir prudemment. Aux chrétiens bien sages, la crainte d’offenser Dieu, l’amour de la vertu, la garde de leur salut sont des choses plus chères que tout ce qui se pourroit nommer de plaisirs au monde… Que perdrons-nous en perdant les danses ? Mais plutôt que ne gagnons-nous pas en nous privant d’un fol et vain plaisir ? Nous retranchons ce qui est en tout point répugnant à notre vocation ; nous chassons tout ensemble mille occasions de pécher ; nous rendons à nos assemblées le nom de compagnies spirituelles et chrétiennes ; et pour tout dire, en un mot, nous mettons hors de chez nous ce que nous ne pouvons tenir et conserver avec la grâce de Dieu entière. Et, s’il nous prend donc envie de danser, gardons-nous-en ; c’est notre chair, ou la concupiscence qui a envie de se repaître de vanité. Quelqu’un vient-il pour nous mener aux danses ? défions-nous-en ; c’est la main du diable qui tâche de nous attirer dans ses pièges et de nous perdre. Laissons ce que Dieu condamne, soyons prudens pour obtenir les progrès de notre salut : fuyons les lieux de pécher et leurs attraits ; renonçons au monde, foulons aux pieds tous ses vains plaisirs. Le Seigneur Dieu nous en fasse à tous la grâce, auquel soient gloire et force à jamais ! »

Nos lecteurs se seroient-ils attendus à entendre des docteurs protestans parler si fortement et si solidement contre les danses ? Et combien un tel exemple doit-il couvrir de confusion les ministres de l’Eglise catholique, qui sont moins instruits des règles de la morale, ou moins attentifs à les faire observer aux personnes de la conscience desquelles ils sont chargés ! mais combien plus doivent-ils rougir, s’ils sont assez lâches pour regarder comme permis ce qui est en soi si dangereux, et ce qui perd tant d’ames ! On ne trouve cependant que trop de prêtres et même de confesseurs qui, étant interrogés sur ce qu’il faut penser des danses, répondent qu’elles sont permises, pourvu qu’on ne s’y porte pas à de certains excès grossiers, dont un peu d’éducation et de soin de sa réputation (où la Religion peut n’entrer pour rien) suffit pour se garantir. N’est-ce pas là faire tomber sur soi la malédiction que Dieu prononce par le prophète Isaïe, lorsqu’il dit : (c. 3, v. 20) Malheur à vous qui dites que le mal est bien, et que le bien est mal ; qui donnez aux ténèbres le nom de lumière, et à la lumière le nom de ténèbres !

Un célèbre interprète, expliquant ces paroles d’Isaïe, fait cette belle et solide réflexion : (M. Duguet, sur le chap. 5. d’Isaïe. v. 20. tom. 1, pag. 308 et 309.) « Il y a quelque espérance, lorsque les hommes respectent les règles, quoiqu’ils ne les suivent pas, et qu’ils condamnent leurs actions, au lieu de les excuser sous de vains prétextes. On peut les conduire à l’amour de la vérité par la connoissance qu’ils en ont ; et il ne faut, pour les convertir, que fortifier leur foiblesse et les soutenir contre des inclinations dont ils gémissent et dont ils ont honte : mais, lorsqu’ils accusent la vérité, au lieu de se condamner eux-mêmes, et qu’ils pèchent par principe, en supposant que le mal est un bien, et osent donner à la vérité le nom d’erreur ; il n’y a plus de remède, selon le cours ordinaire, à cette double corruption de l’esprit et du cœur ; et la Religion ne peut plus subsister parmi des hommes qui en sont ennemis et par leurs actions et par leurs sentimens. Il arrive rarement qu’une nation éclairée tombe dans un obscurcissement si universel, qu’elle ne discerne plus le vrai du faux, et le juste de l’injuste. Les crimes qui ont quelque chose de noir et de lâche, font toujours quelque horreur ; et, si on y tombe, on n’est pas assez hardi pour les excuser. Mais tout ce qui flatte l’orgueil et l’ambition, tout ce qui contribue à la douceur et aux délices de la vie, tout ce qui favorise l’amour des richesses et l’inclination à la dépense, trouve des approbateurs, et souvent même parmi ceux qui paroissent avoir renoncé à la vie des hommes du siècle. Ceux qui conservent une lumière plus pure, sont en si petit nombre et ont si peu d’autorité, qu’ils ne peuvent s’opposer à la chute générale des mœurs ; et qu’ils s’estiment heureux s’il leur est permis de vivre en particulier selon les maximes dont le siècle est ennemi : encore leur échappe-t-il souvent, ou par surprise ou par une lâche complaisance pour l’opinion des autres, qui a de secrètes racines dans le cœur, de louer ce qui ne mérite que des larmes, et d’approuver ce que Dieu condamne. »

Cette réflexion si lumineuse ne peut-elle pas s’appliquer fort naturellement aux danses, qui paroissent à beaucoup de gens un divertissement permis, et dont en conséquence ils prennent la défense, parce que, pour me servir des paroles de ce savant auteur, elles contribuent à la douceur et aux délices de la vie , et que volontiers on appelle bon tout ce qui plaît, pourvu qu’il n’ait rien de grossièrement mauvais, quoiqu’il soit réellement condamnable selon les principes de la bonne morale, et au jugement de la vérité éternelle ?