XXIV
comment m. claretie m’a décidée à écrire ce livre
Un soir, pendant l’Exposition de 1900, M. et Mme Jules Claretie vinrent, à mon petit théâtre de la rue de Paris, pour voir Sada Yacco, dans sa fameuse scène de mort. Après la représentation, ils passèrent dans les coulisses, et c’est là que je leur fus présentée.
Quelques années s’écoulèrent, et je m’occupai, comme je l’ai raconté, d’une autre petite artiste japonaise, Hanako. Je me souvins combien Sada Yacco avait intéressé les Claretie et je les priai de venir voir ma nouvelle étoile japonaise. Après la représentation, ils pénétrèrent dans la loge de la plus mignonne petite actrice du monde et j’eus l’avantage de les revoir.
Peu de jours plus tard, je reçus une invitation à déjeuner chez M. et Mme Claretie, pour la petite Hanako et pour moi. Le jour vint, et nous nous mîmes en route, Hanako paraissait ignorer totalement qu’elle allait déjeuner chez un écrivain célèbre, et ne contractait nul émoi de rendre visite à l’administrateur du premier théâtre du monde. J’habitais Paris depuis assez longtemps pour savoir classer les gens selon leur mérite et j’étais, moi, très troublée. Hanako était seulement curieuse de ce qu’elle allait voir, puisque tout commerce extérieur lui devenait impossible de ce fait qu’elle ne parlait que japonais. Ce n’était en somme que pour me faire plaisir, et parce que je l’en avais priée expressément, qu’elle venait à ce déjeuner. Elle était charmante avec ses drôles de petites semelles de bois qu’elle appelait ses souliers et ses robes mises les unes par-dessus les autres, jusqu’à ce qu’elle en eût suffisamment, pour donner l’impression qu’elle n’en manquait pas.
Hanako est trop exquise pour qu’il soit aisé de faire un portrait d’elle. Sa taille est si exiguë qu’elle arrive tout juste à la hanche d’un homme un peu grand.
Mme Claretie nous reçut de façon si cordiale que nous fûmes tout de suite plus que contentes d’être venues.
Puis arriva M. Claretie, très fin et très simple. M. Claretie était accompagné de M. Prudhon, un personnage impressionnant qui ne disait pas un mot. On me le présenta comme le bras droit de l’administrateur. Je me demandai comment il arriverait à se tirer d’affaire sans parler du tout. De midi à trois heures, en effet, je n’entendis pas une seule parole franchir le seuil de ses lèvres. A table, je demandai à Mme Claretie, tout bas et en anglais :
— Serait-il muet ?
Elle se mit à rire, de cette bonne et rassurante façon qui lui est particulière, et répondit :
— Oh non ! Mais il ne parle jamais beaucoup.
Alors, croyant la glace rompue, je regardai, en riant, M. Prudhon, qui ne riait pas du tout, et je lui dis avec vivacité :
— Si vous continuez à me contredire ainsi je ne réponds plus de moi.
M. Prudhon, toujours grave, s’inclina et ne parla pas davantage.
Cette boutade, qui ne l’avait même pas déridé, n’était pas de mon invention, je me hâte de le dire. Je l’avais entendu lancer par une jeune fille qui avait été mon secrétaire et qui voulait taquiner un monsieur par trop silencieux.
M. Prudhon m’avait rappelé cet homme et je voulais voir quel effet la remarque produirait sur lui.
Elle n’en avait produit aucun.
Puisque je parle de ce secrétaire, je crois devoir lui consacrer quelques lignes, bien que je n’aie aucune raison de me souvenir d’elle avec plaisir. C’était une belle jeune fille, toujours délicieusement mise, bien que ses ressources fussent des plus médiocres.
A mon grand déplaisir, j’eus plus tard le mot de l’énigme.
Elle était mon secrétaire, je l’envoyais faire des commandes chez tous mes fournisseurs. Or, en même temps qu’elle commandait des choses pour moi elle en commandait pour elle, mais en ayant soin de ne point demander, deux factures.
Je n’avais jamais ni gants, ni voilettes, ni mouchoirs, c’était toujours elle qui venait justement de prendre les derniers. Elle avait toujours cru qu’elle en avait commandé davantage, et partait en commander à nouveau.
Un jour, je l’envoyai chez Tiffany, le bijoutier. Elle n’ajouta qu’une petite babiole à ma commande, un médaillon avec chiffre en diamants… Je reçus la note dans la suite, mais elle était partie. Auparavant, elle avait passé avec moi par Nice et y était restée tandis que je faisais une tournée en Amérique. Quand je revins j’appris qu’elle avait demeuré, pendant mon absence, à l’hôtel où je l’avais laissée, et que sa note, mise à mon compte, s’élevait à près de six mille francs.
Ensuite d’autres factures arrivèrent : teinturiers, gantiers, bottiers, couturières, modistes, fourreurs, lingères et aussi la facture de Tiffany. Mais le bouquet, ce fut lorsqu’un élève des Beaux-Arts me demanda si je ne pouvais pas lui rendre soixante-dix francs qu’il m’avait prêtés deux ans plus tôt, par l’entremise de ma jolie secrétaire.
Ce fut ensuite un monsieur de Londres, que je tenais en trop haute estime pour lui demander quoi que ce fût, et qui me réclamait dix livres sterling– soit deux cent cinquante francs –qu’il m’avait prêtées, toujours par l’entremise de ma jeune et élégante secrétaire.
Mais, à parler de mes mésaventures, j’oublie mon déjeuner chez les Claretie !…
Au moment où nous allions nous mettre à table, Mme Claretie était allée chercher une dame âgée à la figure aimable. J’ai rarement vu des mouvements plus doux, plus simples, et une si harmonieuse tranquillité. Appuyées l’une sur l’autre, elles composaient un délicieux tableau. Mme Claretie me présenta à la dame âgée. C’était sa mère. Je demandai à la vieille dame comment elle se portait.
— Oh ! cela va très bien, me répondit-elle. Il n’y a que mes yeux qui m’inquiètent. Je ne peux plus lire sans lunettes et les lunettes me gênent tant.
Elle avait toujours beaucoup aimé la lecture et ne pouvait pas se faire à l’idée de ne plus lire.
Je sympathisai avec elle et le lui dis. Puis soudain, j’eus l’idée de lui demander son âge.
— Quatre-vingt-quinze ans, me dit-elle.
Et elle se plaignait de ne plus pouvoir lire sans lunettes !…
Nous parlâmes de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants ; je lui demandai si le bonheur d’être entourée de tant d’affections, ne compensait pas largement pour elle les infirmités que l’âge nous fait subir.
Elle me répondit :
— J’aime mes enfants et mes petits-enfants, et je vis en eux, mais cela ne me rend pas mes yeux. C’est terrible de ne plus y voir.
Et elle avait raison. L’amour lui donnait la force de supporter son mal, mais elle craignait que la prison des ténèbres ne lâchât plus sa proie. Pour aller à la salle à manger elle avait pris le bras de sa fille. Elle n’eut besoin d’aucune aide, en revanche, pour déjeuner. Sa bonne humeur restait inaltérable.
Elle tira un tricot d’un sac à ouvrage et d’une voix restée fraîche, me dit :
— Il faut que je travaille. Je n’y vois plus assez pour que mon tricot soit bien fait, mais il faut tout de même que je m’occupe.
Mme Claretie me demanda si je connaissais Alexandre Dumas.
Je lui racontai comment j’avais eu la chance de le rencontrer. Puis M. Claretie me posa de nombreuses questions que j’essayai d’éluder, pour n’avoir pas à parler de moi tout le temps. Figurez-vous donc mon étonnement, lorsque je lus, le lendemain, dans le Temps, un article d’une colonne et demie entièrement consacré à notre visite chez M. Claretie et signé de M. Claretie lui-même.
« Mme Hanako écrivait-il, est à la ville une petite personne, délicieusement curieuse et charmante, qui, en ses belles robes bleues ou vertes, brodées de fleurs multicolores, ressemble à une poupée précieuse ou à une idole joliment animée qui aurait un babil d’oiseau. Le statuaire Rodin nous montrera peut-être ses traits fins et ses yeux vifs au prochain Salon, car il est occupé présentement de faire le buste et, je crois même, la statue de la comédienne. Il n’a jamais rencontré de meilleur modèle. Ces Japonais, si actifs, montant à l’assaut comme des fourmis sur un tronc d’arbre, sont capables aussi de l’immobilité la plus complète et de la patience la plus grande. Ce sont ces qualités diverses qui font la force de la race.
Mme Hanako, que j’avais applaudie dans la Martyre au passage de l’Opéra, est venue me voir, conduite par miss Loïe Fuller, qui nous avait déjà révélé Sada Yacco, il y a quelques années. Et c’est plaisir de voir de près, si charmante, cette petite créature si effrayante lorsque, les yeux convulsés, elle mime les affres de l’agonie. Ce joli sourire sur les lèvres qui se tordent au théâtre sous la douleur de l’hara-kiri ! Elle me faisait penser à Oreste montrant l’urne funèbre à Electre : « Comme tu vois, nous apportons les restes petits dans une urne petite. »
Loïe Fuller, qui fut comédienne avant d’être la fée de la lumière, l’enchanteresse des visions étranges, s’est éprise de cet art dramatique japonais, et elle l’a popularisé, par Sada Yacco, puis par Mme Hanako, à travers le monde. C’est une des intelligences les plus vives que j’aie rencontrées, cette Loïe Fuller, et je ne m’étonne point qu’Alexandre Dumas fils ait pu me dire :
— Elle devrait écrire ses impressions et ses mémoires.
J’aurais voulu savoir d’elle comment elle eut l’idée de ces danses lumineuses dont on ne se lasse pas et qu’elle vient de renouveler encore à l’Hippodrome. Mais elle parle plus volontiers de philosophie que de théâtre.
Gaie, avec son œil bleu et son sourire de faunesse, elle m’a répondu :
— C’est le hasard. La lumière est venue à moi plutôt que je ne suis allée à elle ! »
Je m’excuse de reproduire ici des mots si élogieux, alors que j’en suis l’objet, — encore ai-je supprimé des épithètes au passage, car M. Claretie est très flatteur, — mais il fallait bien que je citasse ce passage puisque c’est de là qu’est né le présent livre.
M. Claretie avait cité l’opinion de Dumas. Il revint à la charge.
Bientôt, en effet, je reçus une lettre de M. Claretie, m’engageant à commencer mes « Mémoires ». Peut-être avait-il raison, mais je n’osais affronter une aussi terrible épreuve vis-à-vis de moi-même. Et puis cela me paraissait si formidable d’écrire un livre. Et un livre sur moi !…
Un après-midi, j’allai voir Mme Claretie. Il y avait là quantité de gens aimables, et Mme Claretie ayant parlé de cette idée de « Souvenirs » que son mari désirait, après Dumas fils, me voir écrire, on se mit à m’interroger et sur moi et sur mon art et sur les milieux dans lesquels j’avais évolué et chacun s’employa à m’encourager à me mettre au travail.
Peu après Mme Claretie m’envoya sa loge pour le Théâtre-Français. Je m’y rendis avec de nombreux amis : nous étions douze, parmi lesquels la femme du consul général des Etats-Unis, Mme Mason, qui est bien l’« homme d’Etat » le plus remarquable que j’aie jamais connu et le meilleur diplomate de la « Carrière ».
Pour remercier les Claretie, je les invitai à assister à une de mes répétitions de Salomé. Ils voulurent bien accepter mon invitation et, un soir, ils arrivèrent au Théâtre d’Art pendant que je « travaillais ».
Je vins les rejoindre, peu après, pour un moment. Nous étions dans le fond de la salle très peu éclairée. On répétait à l’orchestre. Tout à coup, une dispute s’éleva entre le compositeur et le chef d’orchestre. Le compositeur disait :
— A l’Opéra, on n’agit pas ainsi.
Sur quoi, le jeune chef d’orchestre repliquait :
— Ne me parlez pas des théâtres subventionnés, on y est bien plus stupide que partout ailleurs.
Il avait appuyé fortement sur les mots subventionné et stupide.
M. Claretie me demanda qui était ce jeune homme. Je n’avais pas très bien compris ce qu’il avait dit, toutefois comme je sentais que c’était une inconvenance, j’essayai de le défendre, en alléguant qu’il avait répété toute la journée, que la moitié des musiciens étaient allés jouer à l’Opéra et ne lui avaient envoyé que des doublures. De plus je tenais à ce que M. Claretie sût que nous avions de très bons musiciens à l’orchestre, malgré qu’ils ne fussent pas au théâtre ce soir-là.
M. Claretie dont l’amabilité est proverbiale, ne donna pas suite à l’incident. Même, quelques jours plus tard, le 5 novembre 1907, il écrivait, dans le Temps, un long et toujours trop élogieux article, mais que je cite ici parce qu’il donne bien l’impression de mon travail de répétition.
« J’ai eu, l’autre soir, écrivait-il, comme la vision d’un théâtre futur, quelque chose comme le théâtre féministe.
Les femmes, de plus en plus, prennent la place des hommes, supplantent le prétendu sexe fort. Le Palais voit affluer les avocates, la littérature d’imagination ou d’observation appartiendra bientôt aux femmes de lettres, et en dépit du brave homme déclarant que « les femmes docteurs ne sont pas de son goût », les doctoresses continuent à passer leurs thèses, et brillamment. Attendez-vous à voir la femme grandir en influence et en pouvoir, et si, au dire de Gladstone, le dix-neuvième siècle fut le « siècle des Ouvriers », le vingtième sera celui des Femmes.
C’était au théâtre des Arts, boulevard des Batignolles, à une répétition intime à laquelle miss Loïe Fuller m’avait prié d’assister. Elle va créer là demain un « drame muet » — nous disions autrefois une pantomime, — la Tragédie de Salomé, de M. Robert d’Humières, qui a égalé Rudyard Kipling en le traduisant. Loïe Fuller y dansera plusieurs danses nouvelles : la danse des perles, où elle se pare des colliers puisés au coffre d’Hérodias ; la danse des serpents, qu’elle manie dans une incantation farouche ; la danse de l’acier, la danse d’argent et cette « danse de la peur » qui la fait fuir, éperdue, devant la tête coupée de Jean, la tête du décapité, qui la suit partout et la regarde de ses yeux fixes de martyr.
Loïe Fuller a étudié dans un laboratoire spécial tous ces jeux de lumière qui transforment le décor de la mer Morte aperçue du haut de la terrasse du palais d’Hérode. Elle est parvenue à donner, par des projections variées, l’aspect même de l’orage, la vision de la lune sur les flots, l’horreur d’une mer de sang. Là-bas, le mont Nebo, d’où Moïse mourant saluait la Terre promise, et les monts de Moab qui ferment l’horizon, s’embrasent tour à tour ou s’enveloppent de nuit. La lumière transforme féeriquement l’aspect du pittoresque paysage. Les nuages courent sur le ciel, les flots se gonflent ou se nacrent, — et c’est un appareil électrique qu’un signal change ainsi en magicien.
Nous assisterons avant peu à des miracles de lumière, au théâtre. Lorsque M. Fortuny, le fils de l’illustre artiste espagnol, aura réalisé « son théâtre », nous aurons des visions délicieuses. Peu à peu le décor envahira la scène et peut-être un beau vers bien dit vaut-il tous ces prodiges.
Mais il est certain que des moyens nouveaux s’offrent à l’art du théâtre, et miss Loïe Fuller aura apporté là sa forte part de contribution. Elle a je ne sais où combiné ses jeux de lumière, ayant reçu congé de son propriétaire à la suite d’une explosion dans ses appareils. N’eût-elle pas été si connue, on l’eût prise pour une anarchiste. Et dans ce théâtre des Batignolles où j’ai vu jadis les mélodrames les plus noirs faire frémir les publics populaires, dans ce théâtre devenu élégant, luxueux, avec sa décoration claire et quasi modern-style, au théâtre des Arts, elle a transporté ses rampes, ses lanternes électriques, toute cette féerie des yeux qu’elle inventa, perfectionna, qui fait d’elle une personnalité unique, une créatrice, une révolutionnaire en son genre, une révolutionnaire de l’Art.
Et là, ce soir où je l’ai vue répéter Salomé, en robe de drap, sans costume, son pince-nez devant les yeux, dessinant ses pas, esquissant en sa robe sombre les gestes qu’elle fera demain, séduisants et provocants, dans ses costumes de lumière, j’ai eu la sensation d’une « impresaria » admirable, conductrice de troupe aussi bien que dominatrice de foule, donnant ses indications à l’orchestre, aux machinistes ; avec une politesse exquise, souriante devant les nervosités inévitables, toujours gaie en apparence, et se faisant obéir comme le font les vrais chefs, en donnant aux ordres le ton parlé de la prière.
— Voulez-vous avoir la bonté de donner un peu plus de lumière ?… Bien… C’est cela… Merci !
Sur la scène, une autre femme, en chapeau de ville, un cahier de notes à la main, très aimable aussi et précise en ses indications et ses demandes, se mêlait à Jean-Baptiste demi nu, à Hérode en manteau de pourpre, à Hérodias superbe sous ses voiles, et faisait fonction de régisseur (on ne peut pas dire encore régisserice). Et j’étais frappé de la netteté de toute cette mise en marche d’une pièce compliquée, aux mouvements et changements divers. Ces deux Américaines, sans élever la voix, doucement, mais avec cette brièveté absolue des gens pratiques (défiez-vous, au théâtre, de ceux qui parlent trop), ces deux femmes menaient la répétition comme une amazone experte conduit un cheval rétif, de leurs petites mains faites pour le commandement.
Puis j’avais un plaisir infini à voir cette Salomé en vêtements de tous les jours danser les pas sans l’illusion du vêtement de théâtre, avec un simple lambeau d’étoffe, parfois rose, rouge ou vert, pour se rendre compte, sous la lumière électrique, des reflets sur les plis mouvants ou les paillettes. Salomé dansait, mais une Salomé en jupe courte, une Salomé ayant sur les épaules sa jaquette, une Salomé en costume tailleur, et dont les mains, les mains mobiles, expressives, tendres ou menaçantes, les mains toutes blanches, les mains pareilles à des bouts d’ailes, sortaient des vêtements, donnaient à elles seules toute la poésie de la danse, danse de séduction ou danse de terreur, danse infernale ou délicieuse. La lueur de la rampe se reflétait sur les verres du pince-nez de la danseuse et y allumaient comme des flammes, de fugitifs éclairs, et rien n’était plus fantastique à la fois et plus charmant que ces torsions de corps, ces mouvements de caresses, ces mains, encore une fois, ces mains de rêve s’agitant là devant Hérode, superbe en son manteau de théâtre et contemplant la vision de la danse idéale en robe de tous les jours.
Je crois bien que la Salomé de Loïe Fuller va ajouter une Salomé imprévue à toutes les Salomés que nous avons pu voir. A la musique de M. Florent Schmitt elle joint les prodiges des effets lumineux. Cette femme, qui influa si profondément sur les modes, sur le ton des étoffes, qui est — comment dirai-je ? — la fée de la flamme de punch, a encore trouvé des effets nouveaux, et je m’imagine le pittoresque de ses gestes lorsqu’elle s’entourera de ces serpents noirs qu’elle a seulement maniés, l’autre soir, dans la coulisse, parmi les accessoires. »
Ce soir-là, entre deux essais, M. Claretie m’avait encore parlé de mon livre, et, à tout prendre, c’est grâce à son insistance que je me suis décidée à tremper ma plume dans l’écritoire et à commencer ces « Mémoires », — ces « Mémoires », écrits en anglais, et que le prince Bojidar Karageorgevitch, un bon, un brave, un excellent ami, voulut bien adapter en français, travail laborieux que la mort vint interrompre.
Ce fut long ce livre, si long, et formidable… pour moi !… Et tant de petites aventures sont déjà venues se grouper autour de la confection de ce manuscrit qu’elles seules pourraient suffire, comiques et parfois tragiques, à remplir un second volume.
fin