(1806) L’Art de la danse, poëme en quatre chants, calqué sur l’Art poétique de Boileau pp. -247
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(1806) L’Art de la danse, poëme en quatre chants, calqué sur l’Art poétique de Boileau pp. -247

[Épigraphe]

Le bal est une poésie muette, et la poésie un bal parlant.

………… Tout vieil que je suis, encore sçay-je de pied léger saulter1 et baller2.

Plutarque dans ses Propos de table, livre 9, question 15, traitant de ce qu’il y a de commun entre l’art de la poésie et l’art de baller. – Traduction d’Amyot.

Avertissement sur l’art de la danse, et de ses rapprochemens avec la Poésie.

E n lisant l’Art Poétique de Boileau , je fus frappé de l’analogie des règles de la Poésie avec celles de la Danse. Je sentis la justesse de cette observation de M. l’abbé Le Batteux 1, que les arts, tous enfans de la nature, unis par une liaison intime et par une espèce de fraternité (suivant l’expression de Cicéron), se proposent le même but et se règlent par les mêmes principes.

Entraîné par le charme de cette idée, je m’amusai, non à parodier1 l’Art Poétique, mais à calquer sur ce Poëme les préceptes de la Danse. Je trouvai plaisant de transformer, sans trivialités, le Maitre du Parnasse en un Maître à danser.

Aveuglé par mon enthousiasme, je n’apperçus pas d’abord un écueil très-dangereux. Tant que je pus conserver des vers entiers de mon modèle, ou que je n’eus qu’à remplacer les termes techniques de son art par ceux du mien, je travaillai, on peut le croire, avec une merveilleuse facilité ; bientôt les épines se montrèrent. Quelques rapports que les deux arts aient ensemble, il existe cependant2 des différences particulières, des nuances qui les séparent et les distinguent entre eux. Il fallut faire des vers de liaison, pour coudre ensemble ceux que je dérobais à Boileau, et pour donner des leçons qui me manquaient dans son Poëme. Ce fut alors que je reconnus mon insuffisance ; mais l’originalité de mon entreprise m’empêcha d’y renoncer, et j’espérai que les beautés de l’Art Poétique feraient oublier la faiblesse de mon ouvrage.

J’ai cru nécessaire d’écrire cet avis, afin que le lecteur fût bien persuadé que je n’ai point eu la prétention de faire des vers comme Boileau (ce qui me serait impossible), et qu’il me pardonnât d’avoir osé me servir des parties de ce Poëme, pour en composer un que je ne crois pas tout-à-fait inutile.

Division de l’art de la danse.

Ce petit Poëme est divisé en quatre Chants, ainsi que l’Art Poétique.

Le premier Chant contient les qualités nécessaires à un jeune homme qui veut parcourir avec succès cette carrière, et les règles générales pour former un premier sujet dans ce genre ; il finit par une courte digression sur l’histoire de la Danse, depuis Beauchamps, Maître des Ballets de Louis xiv, jusqu’au temps des Vestris, Gardel et Dauberval.

Le second Chant présente les caractères et les règles des Danses françaises et étrangères. L’auteur cite pour exemple quelques graves personnages de l’antiquité, et plusieurs princes français dont cet art faisait les délassemens ; ensuite il se transporte dans un bal, pour y critiquer le maintien et les défauts des danseurs.

Le troisième Chant traite de la Danse théâtrale et des trois genres principaux de Danse indiqués par la nature, d’après les différentes tailles des danseurs, grande, moyenne et petite, que l’on nomme, genre noble, demi-caractère et genre comique.

Le quatrième Chant a pour objet l’art du Pantomime, les Ballets d’actions et les connaissances qu’un Maître de Ballets doit réunir.

Cet ouvrage étant fait depuis plusieurs années, les noms des jeunes artistes qui excitent en ce moment, à l’Opéra, l’enthousiasme du public, ne peuvent s’y trouver.

La saison de la Danse est celle de la jeunesse ; et comme chaque printemps fait éclore de nouvelles fleurs, ainsi, tous les ans, de nouveaux danseurs et de nouvelles danseuses débutent sur le théâtre de l’Opéra, vont dans les pays étrangers, et sont remplacés par d’autres.

La liste de ceux qui ont paru depuis quinze ans aurait été plus longue que mon Poëme. Tandis que je le composais, la personne que j’allais citer, partait.

Je me suis donc décidé à ne parler que des genres, qui se réduisent à trois, et comme il fallait des exemples, j’ai choisi une ou deux personnes qui ont excellé dans chacun.

On sent qu’il ne m’a pas été possible de nommer tous les talens que nous avons vu briller sur la scène, et ceux que nous possédons en ce moment ; cela aurait entraîné quelque éloge pour chacun ; c’est au public à les juger.

 

N. B. L’auteur de cette faible imitation de l’Art Poétique, ne s’est point asservi à suivre, dans chaque chant, la marche de son modèle ; au contraire, il a souvent transporté des vers d’un chant dans un autre, selon qu’ils convenaient à son sujet.

Jean-Étienne Despréaux, A l’ombre de Boileau Despréaux.

Contemporain de mes aïeux,
Auteur d’un œuvre merveilleux,
Quoiqu’un siècle entier nous sépare,
Permets, qu’en jouant, je m’empare
De tes vers et de ton esprit,
Et qu’en mutilant ton écrit,
J’enseigne les loix de la grace,
« Qui par-tout nous ravit et jamais ne nous lasse1 : »
En m’attachant à toi, peut-être on me lira,
Peut-être, dans mon art, le bon goût renaîtra.
Pour prouver aux esprits vulgaires,
« Que les muses sont sœurs, que les beaux-arts sont frères1, »
Ce qu’Aristote a dit, ce qu’Horace a chanté,
Ce que ta Muse a fait, par moi fut imité2.
Entre nous, que de différence !
Mais aussi que de ressemblance !
Tous deux, nous redressons les torts,
Toi, de l’esprit, et moi, du corps ;
Tous deux, Paris nous a vu naître,
Et dans son art, chacun de nous est maître ;
Tous deux, nous tenons d’Apollon
Et la lyre et le violon ;
Tous deux, nous réglons la cadence,
Toi, pour les vers, moi, pour la danse.
Pour tes talens, moi, pour les miens,
Versailles nous combla de biens3
Et comme toi, je fus, non pas pour le génie,
D’une royale Académie1.
Il est encore un plus singulier trait
Qui va terminer ce portrait.
Sévère et docte satyrique,
Moi, petit chansonnier comique,
Tous deux, nous avons même nom,
Et non pas le même renom ;
Mais je possède un avantage
Pour lequel ton ombre, je gage,
Céderait tes fameux écrits ;
Tu fus, je suis.

N. B. pour les rapprochemens de l’Art de la Danse et de celui de la Poésie.

Vu les transpositions des vers de l’Art poétique que cet ouvrage à forcé de faire, on a imprimé en regard ceux qui sont conservés, imités ou parodiés, et l’on a indiqué à la marge les Chants d’où ils sont pris, et leurs numéros.

L’art poétique.

Chant premier.

Chant I, vers

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur
Pense de l’art des vers atteindre la hauteur :
S’il ne sent point du ciel l’influence secrète,
Si son astre en naissant ne l’a formé poète,
5 Dans son génie étroit il est toujours captif ;
Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif.

L’art de la danse.

Chant premier.

Chant I, vers

C’est en vain qu’au théâtre un novice danseur
Des charmes de son art croit être possesseur :
S’il n’a reçu du ciel grace, adresse, élégance1,
Si son astre en naissant ne l’a fait pour la Danse,
Dans sa lourde structure il est toujours captif ;
Ses bras sont maladroits, et son jarret rétif.

Chant I, vers

O vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse,
Courez du bel esprit la carrière épineuse,
N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer,
10 Ni prendre pour génie une ardeur de rimer :
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez long-temps votre esprit et vos forces.
La nature, fertile en esprits excellens,
Sait entre les auteurs partager les talens :
15 L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme ;
L’autre, d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme :
Malherbe d’un héros peut vanter les exploits ;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois.
Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime
20 Méconnaît son génie et s’ignore soi-même :
Ainsi tel, autrefois qu’on vit avec Faret…. &c.
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
30 La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
O vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse,
Courez de nos Vestris la carrière épineuse,
N’allez pas par des sauts sans fruit vous énerver ;
Sachez que le talent n’est pas de s’enlever2 :
Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces,
Et consultez long-temps votre oreille et vos forces.
La nature, fertile en danseurs excellens,
Selon leurs facultés, partage les talens3 :
L’un, dans un pas de deux, peut exprimer sa flâme4 :
L’autre, d’un pas plus vif sait égayer notre âme5.
Gardel peut d’un héros nous peindre les combats6 ;
Et Deshays, d’un zéphir les amoureux ébats7.
Mais souvent un danseur qui se flatte et qui s’aime
Méconnaît son talent et s’ignore soi-même.
Ainsi tels, autrefois, et même de nos jours,
En Hercules taillés, ont dansé les Amours.
Quel que soit le sujet exprimé par la Danse,
Que toujours votre pas s’unisse à la cadence8 :
Vainement un danseur prétendrait l’asservir ;
La cadence est maîtresse, il lui faut obéir.

Chant I, vers

Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit. &c….
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
40 Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée :
Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Evitons ces excès : laissons à l’Italie
De tous ces faux brillans l’éclatante folie. &c….
Un auteur quelquefois trop plein de son objet,
50 Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face ;
Il me promène après de terrasse en terrasse :
Ici s’offre un perron ; là règne un corridor ;
Là ce balcon s’enferme en un balustre d’or.
55 Il compte des plafonds les ronds et les ovales ;
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales.
Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin ;
Et je me sauve à peine au travers du jardin.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’oreille à la saisir aisément s’habitue ;
Au joug de la musique alors le pas fléchit,
Et, loin de le gêner, cet accord l’enrichit.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Livrés aux vains écarts d’une Danse forcée,
Croiraient se dégrader, dans leurs pas monstrueux,
S’ils dansaient ce qu’un autre a pu danser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l’Italie9
De ces sauts étonnans la bizarre folie.
Un danseur quelquefois se borne à quelques pas ;
On a changé les airs, lui seul ne change pas.
Sans grace, sans maintien, il se présente en face ;
Il marche, il se promène, il court de place en place :
Là fait une attitude, ici des battemens10 ;
Il répète toujours les mêmes mouvemens.
Ses jambes, en dansant, ne sont jamais égales ;
La même fait toujours les ronds ou les ovales11 ;
Il fait vingt entrechats pour atteindre à la fin ;
Excédé de fatigue, il disparaît enfin12.

Chant I, vers

Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile ;
60 Et ne vous chargez point d’un détail inutile.
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ;
L’esprit rassasié le rejette à l’instant. &c….
65 Un vers était trop faible ; et vous le rendez dur :
J’évite d’être long, et je deviens obscur :
L’un n’est point trop fardé, mais sa Muse est trop nue :
L’autre a peur de ramper ; il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours ?
70 Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme. &c.
75 Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d’acheteurs.
Fuyez de ces danseurs l’invention stérile ;
Variez, mais craignez tout détail inutile.
Tout ce qu’on fait de trop est fade et rebutant,
Et l’œil rassasié se détourne à l’instant.
Sur les phrases de l’air phrasez aussi la Danse ;
Les momens de repos indiquent la cadence.
Ce pas était trop faible ; et vous le rendez dur :
Je veux être brillant ; et je deviens obscur :
L’un craignant de sauter, a trop de retenue :
L’autre a peur de ramper ; il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours ?
Sachez de votre corps varier les contours.
Un genre trop égal et toujours uniforme
En vain brille à nos yeux ; il faut qu’il nous endorme.
Un danseur m’ennuîra, fût-il plein d’agrément,
S’il replace par-tout le même enchaînement13.
Heureux qui, dans ses pas, d’une danse légère
Passe du grave au doux, du plaisant au sévère !
Acteur toujours nouveau, chéri des spectateurs,
Il trouve en chacun d’eux autant d’admirateurs.

Chant I, vers

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
80 Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté :
On ne vit plus en vers que pointes triviales ;
Le Parnasse parla le langage des halles :
85 La licence à rimer alors n’eut plus de frein ;
Apollon travesti devint un Tabarin.
Cette contagion infecta les provinces,
Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes :
Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ;
90 Et, jusqu’à D’Assouci, tout trouva des lecteurs.
Mais de ce style enfin la Cour désabusée
Dédaigna de ces vers l’extravagance aisée,
Distingua le naïf du plat et du bouffon,
Et laissa la province admirer le Typhon.
95 Que ce style jamais ne souille votre ouvrage.
Imitons de Marot l’élégant badinage,
Et laissons le burlesque aux plaisans du Pont-Neuf. &c.
Quel que soit votre rôle, évitez la bassesse ;
Le genre le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris de la grace, un grotesque effronté
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté :
Bientôt, on ne vit plus que danses triviales ;
Terpsicore imita les postures des halles :
Des danseurs étrangers, de grossiers baladins,
Vinrent à l’Opéra danser les paladins14.
Cette contagion infecta les provinces,
Elle alla de la foire aux spectacles des princes :
Le grimacier Slins’byk trouva des amateurs15 ;
Et L… en Lapon eut ses approbateurs16.
Mais de ce genre enfin la cour désabusée
Dédaigna de ces pas l’extravagance aisée,
Distingua du bouffon l’agréable danseur,
Et laissa la province admirer le sauteur.
Que ce genre jamais ne souille votre Danse.
Imitez de Vestris la badine élégance17, Le burlesque honteux, vrai plaisir de valet,
Ne convient qu’aux tréteaux qu’illustra Nicolet.
Mais n’allez pas aussi, par des pas terre à terre,
Noblement ennuyeux, fatiguer le parterre.

Chant I, vers

Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.
Ayez pour la cadence une oreille sévère :
105 Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux.
110 Fuyez des mauvais sons le concours odieux :
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée,
Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Plaisant sans être ignoble, agréable sans fard.
N’offrez rien au public que ce qui peut lui plaire.
Jusque dans votre marche, il faut être sévère :
Que votre corps, cédant à tous vos pas égaux,
Trouve, sur chaque pied, un instant de repos.
Gardez-vous qu’une jambe à courir trop hâtée
Ne soit de l’autre jambe en son chemin heurtée :
Il est un heureux choix de contours gracieux.
Que la note et le pied soient bien d’accord entre eux :
Le pas le plus brillant, la plus aimable danse,
Ne peuvent plaire aux yeux, s’ils blessent la cadence.
Sachez que Terpsicone exige qu’un danseur
Soit moelleux sans mollesse, et ferme sans roideur18.
En offrant à mes yeux le plus parfait ensemble,
Cachez-moi le travail ; que rien ne se ressemble.
Que jamais votre corps ne perde son aplomb19 :
En sautant, imitez le ressort du ballon20.
Dans cet art enchanteur que le public adore,
C’est par-là que plaisait l’aimable Théodore 21.

Chant I, vers

Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les loix.
115 La rime, au bout des mots assemblés sans mesure,
Tenait lieu d’ornemens, de nombre et de césure.
Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers.
Marot bientôt après &c….

Chant I, vers

De ces maîtres savans disciple ingénieux,
Regnier, seul parmi nous formé sur leurs modèles,
170 Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles. &c.

Chant I, vers

Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronsard, qui le suivit, par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
125 Et toutefois long-temps eut un heureux destin.
Mais sa Muse, en français, parlant grec et latin,
Avant les premiers ans de l’Opéra françois22,
Le caprice tout seul faisait toutes les loix.
Quelques pas terre à terre, à-peu-près en mesure,
Tenaient lieu d’ornement, sans grace et sans figure.
Beauchamps 23 sut le premier en divisant les temps24,
Débrouiller l’art confus, mesurer les instans,
Et son crayon utile à l’art Chorégraphique,
Nous montra tous les pas tracés sous la musique.
Pécour 25, long-temps aimable et cher à la beauté,
Plut par son élégance et sa légèreté.
Blondi 26 le surpassa. Tout en suivant ses traces,
Le grand Dupré bientôt, déploya plus de graces27,
Et long-temps des Français il enchanta les yeux.
De ces maîtres savans disciple ingénieux,
Le beau Vestris, trente ans formé sur ces modèles28,
Dans son vieux genre encore a des graces nouvelles ;
Servi par la nature, il fut noble, il fut beau,
Et montra pour danser un chemin tout nouveau.
Son fils, qui le suivit, par une autre méthode29,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et fut digne pourtant de son heureux destin :
Mais chéri du public, du succès trop certain,

Chant I, vers

Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque,
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,
130 Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.
Enfin Malherbe vint, et, le premier, en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis à sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la Muse aux règles du devoir.
135 Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grace apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses loix ; et ce guide fidèle
140 Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté : &c….
155 Sur-tout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux : &c.
Craignant des nobles pas le faste pédantesque,
Il fut leste, brillant, et quelquefois grotesque.
Dans sa fougue, il franchit le théâtre, en un saut ;
L’esprit même trébuche, en s’élevant trop haut.
Dans les pâtres, Lany fut le premier, en France30,
Qui fit sentir jadis une juste cadence,
D’un temps mis à sa place enseigna le pouvoir,
Et soumit Terpsicore aux règles du devoir.
Par ce maître savant la Danse réparée
N’offrit plus rien de rude à la scène épurée.
Les danseurs en mesure apprirent à tomber,
Et le pas sur le pas n’osa plus enjamber.
Tout reconnut les loix de ce guide fidèle :
Gardel et Dauberval, il fut votre modèle31.
Marchons donc sur ses pas ; imitons sa clarté,
Et de son tact précis aimons la pureté.
Sur-tout, qu’en chaque pas, la grâce révérée32
Dans vos plus grands excès, vous soit toujours sacrée.
En vain vous m’étonnez par des pas vétilleux,
Si, lorsque vous dansez, vous ne charmez mes yeux.

Chant I, vers

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :
165 Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit, que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
170 Roule, plein de gravier, sur un terrein fangeux.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. &c…
Unissez à l’aplomb le maintien et l’adresse,
Et ne vous piquez point d’une folle vitesse :
Des mouvemens confus n’offrent rien de brillant ;
Ils montrent peu de goût et jamais de talent.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arêne,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrein fangeux.
Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage,
Vingt fois, dans le miroir, regardez votre ouvrage33 :
Corrigez-le sans cesse et le recorrigez ;
Un pas déplaît à l’œil ? n’hésitez pas, changez.
Ce bel art a ses loix, ainsi que la peinture,
Et ces loix sont un choix de la belle nature.
Occupez-vous sans cesse à vous bien dessiner.
A vaincre vos défauts il faut vous obstiner.
Arrondissez vos bras, soignez chaque attitude,
Recommencez souvent. L’Art est fils de l’Etude.
N’allez pas, jour et nuit, vous exercer d’abord34 ;
Un arc toujours tendu perd bientôt son ressort.

Chant I, vers

Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
185 L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer. &c.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
200 Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne pas les endroits négligés ;
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés ;
Il réprime des mots l’ambitieuse emphase ;
Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase :
205 Votre construction semble un peu s’obscurcir :
Ce terme est équivoque ; il le faut éclaircir.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable.
Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable &c.
Craignez-vous pour vos pas la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible :
Il ne pardonne pas les détails négligés ;
Il renvoie en leur lieu les pas mal arrangés ;
Des pieds jusqu’à la tête, il vous voit, vous contrôle :
Là, le genou le choque ; ici, c’est votre épaule ;
Votre construction ne permet point ce pas :
A cette jambe en l’air, le bras ne répond pas.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable ;
N’allez point, par orgueil, devenir intraitable.
Mais distinguez l’ami du sot admirateur,
Et discernez sur-tout l’intéressé flatteur,
Conducteur de cabale et pilier de parterre,
Que le public invite ou contraint à se taire :
Pour des billets gratis, qu’il est certain d’avoir,
Le matin il vous loue, et vous siffle le soir.

Art poétique de Boileau.

Chant III, vers

Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut long-temps dans la France un plaisir ignoré.
Des pélerins, dit-on, une troupe grossière
En public à Paris y monta la première ; &c.

Art de la danse.

Chant II.

Chez nos dévots aïeux, le théâtre abhorré
Fut long-temps, dans la France, un plaisir ignoré.
Succédant aux tournois, la Danse encor grossière,
Chez nos rois, à Paris, y monta la première1 ;
Lorsque Circé parut, en ce ballet pompeux,
Aux yeux de Médicis offert par Beaujoyeux 2 ;
On choisit les danseurs parmi cette noblesse
Qui joignait au courage et la grace et l’adresse.
Après neuf fois vingt ans, les joyeux Tricotets 3
Et le pas d’Henri-Quatre ont orné nos ballets.
Ce roi si valeureux, si chéri de la France,
Et son ami Sully se plaisaient à la Danse4 :
On peut, sans déroger, aimer cet art joyeux,
Lecteur, ouvrez l’histoire et nos livres pieux ;
David, le roi David, ce guerrier patriarche5,
Une harpe à la main, a dansé devant l’arche ;

Chant III, vers

Eschyle dans le chœur jeta les personnages,
D’un masque plus honnête habilla les visages,
Sur les ais d’un théâtre en public exhaussé
Fit paraître l’acteur d’un brodequin chaussé. &c.

Chant II, vers

D’un trait de ce poëme, en bons mots si fertile,
Le Français, né malin, forma le Vaudeville ;
Athène a vu Socrate, et Rome a vu Caton6,
Souvent ouvrir le bal, sans manquer au bon ton.
Au siècle des beaux-arts, lorsque le chef suprême
Voulait se délasser du poids du diadême,
Dans ces ballets brillans que la France admirait7,
Entouré de sa cour, lui-même il figurait.
On a vu ce héros, à la fleur de son âge,
D’un masque sérieux habillant son visage8,
Sur les ais d’un théâtre, au palais exhaussé9,
De même que Beauchamps, d’un brodequin chaussé,
Sous les habits d’un lieu, danser seul à Versaille,
En pas majestueux, la grave Passacaille 10 :
Malgré le préjugé, les souples courtisans,
Des plaisirs de leur roi devinrent partisans.
Cet art, que les bigots ont taxé d’infamie11,
S’éleva tout-à-coup au rang d’Académie12 ;
Et même on reconnut, au sein du parlement,
La Danse théatrale, un noble amusement13.
D’un trait de cette Danse, en graces si fertile,
Le français, né léger, fit la Danse de ville14 ;

Chant II, vers

Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
Passe de bouche en bouche, et s’accroit en marchant.
185 La liberté française en ses vers se déploie :
Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie. &c.
(Apollon.) Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
Inventa du Sonnet les rigoureuses loix ;
85 Voulut qu’en deux quatrains de mesure pareille
La rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille ;
Et qu’ensuite six vers artistement rangés
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Sur-tout de ce poëme il bannit la licence :
90 Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer.
Du reste il l’enrichit d’une beauté suprême :
Un Sonnet sans défauts vaut seul un long poëme.
95 Mais en vain mille auteurs y pensent arriver ;
Et cet heureux phénix est encore à trouver.
Plein de grace et d’ardeur, le jeune adolescent
Vole de bal en bal, et triomphe en dansant15.
L’agilité française en cet art se déploie :
Cet enfant du plaisir doit exprimer la joie.
Le grave Menuet fut en vogue autrefois16,
Le Goût en a fixé les rigoureuses loix :
Il veut que tous ses pas de mesure pareille,
Lorsque l’air a trois temps, frappe six fois l’oreille,
Par quatre mouvemens artistement rangés,
Soient, sur deux fois trois temps, en quatre, partagés.
De ce genre sur-tout il bannit la licence :
Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu’aucun saut y pût jamais entrer,
Et qu’un geste commun osât y pénétrer.
Du reste il l’enrichit d’une simple élégance :
Un Menuet parfait est la plus noble Danse.
En vain, mille danseurs y pensent arriver,
Et cet heureux phénix est encore à trouver.

Chant II, vers

A peine dans Gombaut, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille : &c.
A peine dans nos bals, dont abonde la ville,
En peut-on admirer un ou deux, entre mille.
Que d’art voulait Boileau, pour faire un bon Sonnet !
Que de choses, Marcel vit dans un Menuet17 !
La musique changea. Pour la suivre, la Danse
Laissant le Menuet, orna la Contre-danse18,
Fit des pas plus légers sur des airs plus chantans,
En bondissant deux fois sur son rythme à deux temps.
Chacun réglant ses pas au gré de son caprice,
Le bal devint bientôt une arène, une lice ;
Enfin, pour varier les plaisirs des hivers,
La mode admit les pas de vingt peuples divers,
Et couvrit dans nos bals, d’une teinte française,
La Walse aux mille tours, la piétinante Anglaise19 :
La boiteuse Allemande entrelaçant les bras20
L’emporta quelque temps sur les plus nobles pas.
Le bruyant Fandango, la vive Provençale21
Qui sans cesse bondit, qu’en gaîté rien n’égale,
Eurent aussi leur rang, dans ces joyeux assauts
Où du Basque léger on imita les Sauts22.
Du grimacier Cosaque on eut la fantaisie23,
Et le Pas trop lascif de la froide Russie24,

Chant II, vers

L’épigramme, plus libre en son tour plus borne,
N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné. &c.
145 L’ardeur de se montrer, et non pas de médire,
Arma la vérité du vers de la satire.
Lucile le premier osa la faire voir ;
Aux vices des Romains présenta le miroir ;
Vengea l’humble vertu, de la richesse altière,
150 Et l’honnête homme à pied, du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjoûment :
On ne fut plus ni fat, ni sot, impunément ;
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure. &c.
Par les graces bientôt dansé plus décemment,
Vint enrichir nos bals d’un nouvel ornement :
Ainsi, plus d’un auteur nous offrit sur la scène
Un opéra charmant, tiré d’un conte obscène.
De ces Danses sans art, le genre très-borné,
N’est souvent qu’un seul pas, par la musique orné.
L’ardeur de corriger, et non pas de médire,
Va m’armer un instant du trait de la satire.
De réformer l’esprit Boileau fit son devoir ;
Nous, aux défauts du corps présentons le miroir ;
Vengeons le vrai talent, de l’ignorance altière,
Et chassons de nos bals la Danse grimacière.
A quelques traits d’humeur, mêlons de l’enjoûment ;
Qu’on ne soit faux, ni fat, ni gauche impunément.
Malheur à tout danseur qui, bravant la censure,
Ferait un pas sans grace ou romprait la mesure.
LE ciel qui, rarement prodigue ses bienfaits,
En nous donnant le jour, fit peu d’hommes parfaits.
Pour un être accompli, combien j’en vois de gauches !
La plupart des humains ne sont que des ébauches.

Chant II, vers

Au contraire cet autre, abject en son langage,
Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d’agrément,
20 Toujours baisent la terre, et rampent tristement :
On dirait que Ronsard, sur ses pipeaux rustiques,
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
Et changer, sans respect de l’oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon. &c.
Que ce grand homme est sec ! que ceux-là sont petits !
Quels visages communs ! que de corps mal bâtis !
Voûtés, arqués, cagneux, jambes torses ou grêles25,
L’un a les os trop gros, l’autre les a trop frêles ;
Même sans ces défauts, un air fat ou butor
Offense nos regards, dès le premier abord.
Place à cet Élégant, dos rond, épaule haute !
Il se croit un Vestris, dès le moment qu’il saute ;
Il fait bien quelques pas, même il a du brillant ;
Mais au bout de ses pieds est borné son talent.
De ce couple, voyez l’éternel sautillage ;
Il danse dans Paris, comme on danse au village.
Ses pas lourds et grossiers, dépouillés d’agrément,
Font gémir le parquet ou rampent pesamment :
Pour ce genre, il faudrait sur des pipeaux rustiques,
Entendre fredonner quelques vieux airs gothiques,
En théâtre, changer le fond de ce salon,
Le jeune homme en Pierrot, et la belle en Toinon.
Tout occupé de lui, négligeant la cadence
Cet autre, en dandinant, croit prendre un air d’aisance.

Chant II, vers

155 Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressans,
Affecta d’enfermer moins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l’école,
Poussa jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole. &c.

Chant III, vers

Mais souvent parmi nous un poète sans art,
Qu’un beau feu quelquefois échauffe par hasard,
315 Enflant d’un vain orgueil son esprit chimérique,
Fièrement prend en main la trompette héroïque :
Sa muse déréglée, en ses vers vagabonds,
Ne s’élève jamais que par sauts et par bonds : &c.
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l’encens qu’on lui dénie : &c.
Laissons-les donc entre eux s’escrimer en repos ;
Et, sans nous égarer, suivons notre propos. &c.
Tel, en ses temps confus, mais serrés et pressans
Pour battre chaque pas, se tord en tous les sens.
D’un prêtre de Bacchus, l’un a la Danse folle,
Et l’autre est sérieux comme un maître d’école.
Voyez ce front baissé, voyez ce nez au vent,
Les coudes en arrière et le col en avant ;
Remarquez de profil cette caricature,
Pliant peu les genoux et beaucoup la ceinture.
La, c’est un autre fou sans nature et sans art,
Qu’un beau feu pour la Danse échauffa par hasard :
D’amour-propre pétri, malgré son corps rustique,
Fièrement il néglige et graces et musique ;
Sa danse déréglée, en ses pas vagabonds,
Ne s’élève jamais que par sauts et par bonds :
Lui-même, applaudissant à son maigre génie,
Se donne par ses mains l’encens qu’on lui dénie.
Laissons ces faux talens s’escrimer en repos,
Et, sans nous égarer, suivons notre propos.
Que de jeunes beautés auraient d’art et de graces,
Si l’étude et le goût corrigeaient leurs grimaces !

Chant II, vers

45 Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée ;
Qui s’affligent par art, et, fous de sens rassis,
S’érigent, pour rimer, en amoureux transis. &c.
Ce n’était pas jadis sur ce ton ridicule
Qu’amour dictait les vers que soupiraît Tibulle. &c.
25 Entre ces deux excès la route est difficile… &c.
Joli pied mal tourné, joli bras mal placé ;
Plus je les vois mouvoir, plus mon œil est blessé.
Vainement de la Danse elles ont la manie :
Un instrument discord n’a jamais d’harmonie.
O vous ! jeunes Français, jouez avec vos pas ;
Beau sexe, charmez-moi, mais ne m’étonnez pas.
Je ris de ces sauteurs dont la Danse forcée
Malgré tout leur travail, reste froide et glacée ;
S’ils ont long-temps appris, pour si peu réussir,
Combien de temps perdu ! quel pénible plaisir !
Ce n’était pas jadis par ce ton ridicule
Que le danseur français des Graces fut l’émule.
Sans trop de sérieux et sans trop de gaîté,
Jeunes gens, alliez décence et volupté ;
Entre ces deux excès le chemin est facile,
Lorsqu’aux loix du bon goût on sait être docile.
Mais laissons-là le bal, et fifre et tambourins,
Petits pas, petits airs et leurs joyeux refreins ;
Qu’en sautillant encore, au sortir on répète
Et volons au théâtre, emboucher la trompette.

Art poétique de Boileau.

Chant II, vers

55 …. Du tendre Ovide animant les doux sons,
Il donnait de son art les charmantes leçons. &c…
L’ode avec plus d’éclat, et non moins d’énergie,
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
60 Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.
Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière, &c.
Elle peint les festins, les danses, et les ris ; &c…
Loin ces rimeurs craintifs, dont l’esprit phlegmatique
Garde dans ses fureurs un ordre didactique ; &c…

Art de la danse.

Chant III.

Du sage Despréaux, parodiant les sons,
Prouvons, en répétant ses savantes leçons,
De la Danse et des Vers l’heureuse analogie.
De l’Ode, la Chaconne1 a l’éclat, l’énergie :
Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
La Chaconne sans doute est la Danse des dieux.
Aux lutteurs en Aulide2, elle ouvre la barrière,
Et fournit aux danseurs une vaste carrière ;
Elle peint des festins et les jeux et les ris
Et fit briller long-temps le premier des Vestris 3.
Elle est dans ses élans, tour-à-tour folle et sage.
Qui peut mieux qu’elle enfin couronner un ouvrage4,
Par ses chants variés, son aimable rondeau,
Son paisible mineur, son bruyant crescendo ?
Loin ces danseurs craintifs, dont le jeu mécanique
Garde, dans la Chaconne, un ordre méthodique ;

Chant III, vers

275 Oh ! que j’aime bien mieux cet auteur plein d’adresse,
Qui, sans faire d’abord de si haute promesse, &c.

Chant II, vers

Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
10 Et jamais de grands mots n’épouvante l’oreille. &c…
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ;
Au combat de la flûte animer deux bergers ; &c…
Elle peint des amans la joie et la tristesse ;
Flatte, menace, irrite, appaise une maîtresse. &c….
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d’Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
70 Quelquefois le refuse, afin qu’on le ravisse. &c…
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C’est peu d’être poète ; il faut être amoureux.. &c…
La froide exactitude, aux loix de son compas,
Asservit tristement leurs gestes et leurs pas.
Oh ! que j’aime bien mieux ce danseur plein d’adresse
Qui, toujours déployant une aimable souplesse,
Lorsque par trop d’ardeur il se sent emporté,
Abandonne un instant la régularité !
La Danse Pastorale5 amuse, flatte, éveille,
Quand, choisissant des airs qui plaisent à l’oreille,
Dans les jardins de Flore, au milieu des vergers,
Elle peint les combats, et les jeux des bergers,
Retrace des amans la joie et la tristesse,
Flatte, menace, irrite, appaise une maîtresse.
Ainsi dans ce ballet6 qui charma tout Paris,
Hylas guette un baiser sur les lèvres d’Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu’on le ravisse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C’est peu d’être danseur ; il faut être amoureux.

Chant II, vers

Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens : &c…

Chant III, vers

295 On dirait que pour plaire, instruits par la nature,
Homère ait à Vénus dérobé sa ceinture. &c…

Chant II, vers

Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux. &c…

Chant III, vers

Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grace ;
300 Par-tout il divertit, et jamais il ne lasse. &c…
Toi qui traças Mirza, la Rosière, Ninette,
Tout à-la-fois danseur, musicien, poète,
Ingénieux Gardel 7, mon maître et mon ami,
Combien, en te perdant, Terpsicore a gémi !
Le léger Passepied8 doit voler terre-à-terre ;
Son pas précipité peint l’effet d’une pierre
Alors qu’un jeune bras la lance en tournoyant :
Elle effleure9 l’eau, glisse, et court en sautillant.
Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête,
De superbes rubis ne charge point sa tête,
Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamans,
Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornemens,
Telle, Guimard 10, pour plaire, imitant la nature,
Semble avoir de Vénus, dérobé la ceinture.
Son air simple et naïf n’a rien de fastueux ;
Elle enivre à la fois et le cœur et les yeux :
Par elle, tout reçoit une nouvelle grace.
Sans cesse elle nous charme, et jamais ne nous lasse,

Chant II, vers

D’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, &c.

Chant III, vers

360 Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique. &c.
Présentez-en par-tout les images naïves ;
La nature, féconde en bizarres portraits,
370 Dans chaque ame est marquée à de différens traits ;

Chant II, vers

105 Jadis de nos auteurs les pointes ignorées
Furent de l’Italie en nos vers attirées.
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
110 Leur nombre impétueux inonda le Parnasse :
Et ses bras délicats, par des contours charmans,
Nous peignent du roseau les souples mouvemens.
D’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
Faut-il peindre une Nymphe11 et l’amant qui l’agace ?
Que vos gestes, vos yeux, vifs et lents tour-à-tour,
Expriment vos desirs, vos craintes, votre amour.
Et vous que la nature a faits pour le comique12,
Ne vous montrez jamais dans le genre héroïque ;
A la belle Saulnier 13, à la svelte Miller 14,
Laissez les pas savans que commande un grand air ;
Du peuple, peignez-nous les danses expressives,
Présentez-en par-tout les images naïves.
La nature est féconde en bizarres portraits ;
Ayez l’art d’en choisir les plus aimables traits.
L’esprit a son clinquant, la Danse a ses bluettes.
Naguères, de Stutgard nous vinrent les Pirouettes15 ;
Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appât courut avidement.
La faveur du public excitant leur audace,
Leur nombre impétueux s’empara de la place.

Chant II, vers

Le Madrigal d’abord en fut enveloppé ;
Le Sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
La Tragédie en fit ses plus chères délices ;
L’Elégie en orna ses douloureux caprices ;
115 Un héros sur la scène eut soin de s’en parer,
Et sans pointe un amant n’osa plus soupirer ;
On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,
Fidèles à la pointe encor plus qu’à leurs belles ; &c.
Ce n’est pas quelquefois qu’une muse un peu fine
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine,
135 Et d’un sens détourné n’abuse avec succès :
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès ;
Et n’allez pas toujours d’une pointe frivole
Aiguiser par la queue une épigramme folle. &c…
Chaque genre d’abord en fut enveloppé.
Le noble Menuet lui-même en fut frappé ;
La Pantomime en fit ses plus chères délices :
La Chaconne soudain n’eut plus d’autres caprices ;
Le héros, sur la scène, eut soin de s’en parer,
Et sans tourner, l’amant n’osa plus soupirer.
On vit chaque berger, dans sa danse nouvelle,
Fidèle à la pirouette, encor plus qu’à sa belle16 ;
Sur l’olympe étonné, pirouetta Jupiter,
Et Mars, près de Vénus, tourna deux fois en l’air.
Ce n’est pas quelquefois qu’une Danse un peu fine,
Sur un air sémillant, ne joue et ne badine,
Et d’un pas déplacé n’abuse avec succès :
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès ;
Et n’allez pas, faisant pirouette sur pirouette,
Quand j’attends un danseur, m’offrir une girouette.
La danse à l’Opéra doit enchanter les yeux,
Et non les effrayer par des tours périlleux.
Les Bergers sont galans, les Faunes sont sauvages ;
A de diverses mœurs, prêtez divers visages.

Chant III, vers

J’aime sur le théâtre un agréable auteur
Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,
Plaît par la raison seule, et jamais ne la choque :
Mais pour un faux plaisant, à grossière équivoque,
425 Qui pour me divertir n’a que la saleté,
Qu’il s’en aille, s’il veut, sur deux tréteaux monté,
Amusant le pont-neuf de ses sornettes fades,
Aux laquais assemblés jouer ses mascarades. &c…

Chant II, vers

Tout poëme est brillant de sa propre beauté. &c…
Le Pâtre est plus joyeux ; vif, adroit et malin,
Que dans la gaîté même, il garde encore un frein.
Malgré tous les Bravo d’un aveugle parterre17,
Ne passez pas le but : la Danse est l’art de plaire.
J’aime sur le théâtre un élégant danseur
Qui, sans se diffamer aux yeux du spectateur,
Plaît par la grace seule, et jamais ne la choque :
Mais pour un faux plaisant, dont le bon goût se moque,
Qui, de sauts étonnans, est toujours occupé,
Qu’il s’en aille, s’il veut, sur des tréteaux grimpé,
Le long de nos remparts, séjour des pasquinades,
Sur la corde foraine, essayer ses gambades.
Trop souvent l’amour-propre en cet art fait décheoir :
Par les yeux d’un ami cherchez donc à vous voir.
Jeunes gens, vainement vous forcez la nature :
Croyez-moi, travaillez d’après votre structure,
Et ne vous parez point d’un mérite emprunté :
Chaque genre est brillant de sa propre beauté.
Si vous n’aimez votre art d’un amour idolâtre,
Gardez-vous, croyez-moi, de paraître au théâtre :

Chant IV, vers

25 Son exemple est pour vous un précepte excellent.
Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu’écrivain du commun et poète vulgaire.
Suivez de Despréaux ce précepte excellent :
« Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent,
Ouvrier estimé dans un art nécessaire,
Qu’un artiste commun, ou qu’un danseur vulgaire ».

Art poétique de Boileau.

Chant III, vers

La tragédie, informe et grossière en naissant,
N’était qu’un simple chœur, où chacun en dansant, &c.
Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :
D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.

Art de la danse.

Chant IV.

L’art de la Danse, informe et grossier en naissant,
N’était qu’un simple chœur, où chacun en dansant,
Animé du refrein de quelque chansonnette,
Bondissait en cadence, au son de la musette.
Mais laissons Cahuzac raconter ces vieux faits1 ;
Des Ballet d’action démontrons les effets.
Chez l’être policé, chez le peuple sauvage,
Le geste fut toujours l’universel langage2 ;
Dès son enfance, aidé de ses yeux, de ses mains,
L’homme dit ses besoins, ses desirs, ses chagrins ;
La parole est trop peu, sans l’art du Pantomime ;
Ce que diraient vingt mots, un seul geste l’exprime.
Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux,
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :
D’un pinceau délicat l’artifice agréable
Du plus affreux objet fait un objet aimable.

Chant III, vers

5 Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs
D’Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs,
D’Oreste parricide exprima les alarmes,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes. &c..
95 De cette passion la sensible peinture
Est pour aller au cœur la route la plus sûre. &c…
Vous donc qui, d’un beau feu pour le théâtre épris,
10 Venez en vers pompeux y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
15 Que dans tous vos discours la passion émue
Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue. &c…
25 Le secret est d’abord de plaire et de toucher :
Inventez des ressorts qui puissent m’attacher. &c…
55 Que le trouble, toujours croissant de scène en scène,
A son comble arrivé se débrouille sans peine. &c.
Ainsi, pour nous charmer, la Pantomime en pleurs
De l’atroce Médée exprima les fureurs3,
Nous montra de Psyché l’amour et les alarmes4,
Et, pour nous divertir, nous arracha des larmes.
Gardel, après Noverre, à nos yeux rappela5
Cette Danse expressive où Pylade excella6.
Des Ballets d’action, la sensible peinture,
Est pour aller au cœur la marche la plus sûre.
Vous donc qui, d’un beau feu pour le théatre épris,
Venez d’un art charmant y disputer le prix,
Voulez-vous sur la scène étaler des ouvrages
Où tout Paris en foule apporte ses suffrages,
Et qui toujours plus beaux, plus ils sont regardés,
Soient au bout de vingt ans encor redemandés ?
Que dans tous vos ballets la passion émue
Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue ;
Le secret est d’abord de plaire et de toucher :
Inventez des ressorts qui puissent m’attacher.
Que le trouble, toujours croissant de scène en scène,
A son comble arrivé se débrouille sans peine.

Chant III, vers

Vos froids raisonnemens ne feront qu’attiédir
Un spectateur toujours paresseux d’applaudir. &c.
La nature est en nous plus diverse et plus sage ;
Chaque passion parle un différent langage :
La colère est superbe, et veut des mots altiers ;
L’abattement s’explique en des termes moins fiers. &c.
Que pour ses dieux Enée ait un respect austère.
Conservez à chacun son propre caractère. &c.
Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez :
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez. &c.
145 Le théatre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un auteur n’y fait pas de faciles conquêtes ;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes :
Chacun le peut traiter de fat et d’ignorant ;
150 C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.
Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie ;
Que tantôt il s’élève et tantôt s’humilie ; &c…
Par d’inutiles Pas n’allez point attiédir7
Un spectateur toujours paresseux d’applaudir.
Imitez la nature, elle est diverse et sage ;
Chaque passion parle un différent langage ;
La colère est superbe, et ses yeux sont altiers ;
L’abattement s’explique en des gestes moins fiers.
Qu’Achille soit bouillant, que Mentor soit austère.
Conservez à chacun son propre caractère.
Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez :
Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.
Que votre geste enfin, plus prompt que la parole,
Offre, comme un éclair, l’esprit de votre rôle.
Le théâtre, fertile en censeurs pointilleux,
Chez nous pour se produire est un champ périlleux.
Un danseur n’y fait pas de faciles conquêtes ;
Il trouve à le siffler des bouches toujours prêtes :
Chacun le peut traiter de gauche et d’ignorant ;
C’est un droit qu’à la porte on achète en entrant.
Il faut qu’en cent façons, pour plaire, il se replie,
Que tantôt il s’élève et tantôt s’humilie ;

Chant III, vers

Et que tout ce qu’il dit, facile à retenir,
De son ouvrage en nous laisse un long souvenir.
Ainsi la Tragédie agit, marche, et s’explique.
(………………. la poésie épique,)
Dans le vaste récit d’une longue action,
Se soutient par la fable, et vit de fiction.
Là pour nous enchanter tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage.
165 Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, et Vénus la beauté ;
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre ; &c…
Sans tous ces ornemens le vers tombe en langueur ;
190 La poésie est morte, ou rampe sans vigueur ; &c…
Mais, dans une profane et riante peinture,
220 De n’oser de la fable employer la figure ;
De chasser les Tritons de l’empire des eaux ;
D’ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux ;
D’empêcher que Caron, dans la fatale barque,
Ainsi que le berger ne passe le monarque : &c…
Et que tout ce qu’il sent, soit chagrin, soit plaisir,
De son talent en nous laisse un long souvenir8.
Ainsi le Pantomime agit, marche, et s’explique,
Conduit par la nature, aidé par la musique.
Le Spectacle pompeux d’un ballet d’action,
Se soutient par la fable, et vit de fiction.
Là pour nous enchanter tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage.
Chaque vertu devient une divinité :
Minerve est la prudence, et Vénus la beauté ;
Ce n’est plus la vapeur qui produit le tonnerre,
C’est Jupiter armé pour effrayer la terre :
Sans tous ces ornemens cet art tombe en langueur ;
La Pantomime est morte, ou rampe sans vigueur.
Osez donc de la fable employer la figure ;
Imitez sa magique et riante peinture.
Maintenez les Tritons dans l’empire des eaux ;
Laissez à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux ;
Et que toujours Caron, dans la fatale barque,
Passe l’humble berger, ainsi que le monarque.

Chant III, vers

La fable offre à l’esprit mille agrémens divers :
Là tous les noms heureux semblent nés pour les vers,
Ulysse, Agamemnon, Oreste, Idoménée,
240 Hélène, Ménélas, Pâris, Hector, Enée.
Oh ! le plaisant projet d’un p ète ignorant,
Qui de tant de héros va choisir Childebrand !
D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre
Rend un poëme entier ou burlesque ou barbare. &c…
Soyez vif et pressé dans vos narrations :
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions. &c…
De figures sans nombre égayez votre ouvrage ;
Que tout y fasse aux yeux une riante image :
On peut être à la fois et pompeux et plaisant ;
290 Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.
J’aime mieux Arioste et ses fables comiques,
Que ces auteurs toujours froids et mélancoliques
La fable offre à l’esprit mille ballets divers :
De la riche épopée interrogez les vers.
Que de sujets heureux dans Homère et Virgile !
Télémaque, Bacchus, Pâris, Hercule, Achille9.
N’allez pas, imitant cet auteur qu’on hua,
Parmi tant de héros, choisir Gargantua10, Ou quelque autre sujet froid, inconnu, bizarre,
Orné d’une musique ou burlesque, ou barbare.
Peignez-moi les amours de Mars ou de Vénus,
Et que tous vos tableaux soient dignes d’être vus.
Craignez, pour m’émouvoir, d’ensanglanter la scène.
Ne me révoltez point par une image obscène.
Soyez vif et fertile en imitations11 :
Soyez pompeux et riche en décorations.
De figures sans nombre égayez votre ouvrage ;
Que tout y fasse aux yeux une riante image :
On peut être à la fois et pompeux et plaisant,
Et je hais tout spectacle ennuyeux et pesant.
J’aime mieux don Quichotte et son valet comique12,
Qu’un sombre et froid ballet, soi-disant héroïque13

Chant III, vers

Qui dans leur sombre humeur se croiraient faire affront.
Si les graces jamais leur déridaient le front. &c…

Chant I, vers

175 C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent
Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent :
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que d’un art délicat les pièces assorties
180 N’y forment qu’un seul tout de diverses parties ; &c.

Chant III, vers

Ne faites point parler vos acteurs au hasard,
390 Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard ; &c.
C’est par là que Molière, illustrant ses écrits,
Peut-être de son art eût remporté le prix,
395 Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures
Il n’eût pas fait souvent grimacer ses figures,
Quitté, pour le bouffon, l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin :
Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe
400 Je ne reconnais plus l’auteur du Misantrope &c…
Où de graves danseurs croiraient se faire affront
Si la gaîté jamais leur déridait le front.
C’est peu qu’en un ballet où les fautes fourmillent
Des Pas un peu brillans de loin en loin pétillent :
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ;
Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que, d’un art enchanteur, les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout, de diverses parties.
Ne faites point agir vos acteurs au hasard,
Un vieillard en jeune homme, un jeune homme en vieillard.
Pour ajouter, sans cesse, à votre répertoire,
Étudiez la fable et connaissez l’histoire ;
C’est par-là que Noverre a charmé tout Paris,
Et de son art peut-être eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple, en ses vives peintures
Il n’eût fait quelquefois grimacer ses figures,
Quitté, pour le bouffon, l’agréable et le fin,
Et fait d’un grand spectacle un théâtre forain :
Dans ce ballet chinois, à burlesques grimaces14
Je ne reconnais plus l’auteur des trois Horaces.

Chant III, vers

Unpoëme excellent, où tout marche et se suit,
310 N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit :
Il veut du temps, des soins ; et ce pénible ouvrage
Jamais d’un écolier ne fut l’apprentissage. &c.

Chant IV, vers

125 Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain
Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain.
Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime,
Tirer de son travail un tribut légitime : &c.
Fuyez sur-tout, fuyez, ces basses jalousies,
Des vulgaires esprits malignes frénésies.
Un sublime écrivain n’en peut être infecté ;
C’est un vice qui suit la médiocrité. &c.
Un ballet excellent, où tout marche et se suit,
N’est pas de ces travaux qu’un caprice produit :
Il veut du temps, des soins ; et ce pénible ouvrage
Jamais d’un écolier ne fut l’apprentissage.
Travaillez pour l’honneur, sans dédaigner le gain :
C’est ce que fait souvent plus d’un noble écrivain.
Le talent, quel qu’il soit, peut sans honte et sans crime,
Tirer de son travail un tribut légitime.
Voulez-vous dans le monde être chéri, fêté ?
Artiste, aux bonnes mœurs, joignez l’aménité :
Fuyez sur-tout, fuyez ces basses jalousies,
Des vulgaires talens malignes frénésies.
C’est un vice qui suit la médiocrité.
Souffrez que des rivaux soient à votre côté.
Sachez concilier amour-propre et justice.
Laissez à tout danseur le droit d’entrer en lice.
Les Gardel, les Vestris, se doivent leurs élans,
Et l’émulation est l’âme des talens15.
Vous a-t-on confié le soin d’un jeune élève ?
A l’air gauche ou commun n’accordez point de trêve ;

Chant IV, vers

Auteurs, pour les chanter redoublez vos transports :
Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts. &c.
225 Vous me verrez pourtant, dans ce champ glorieux,
Vous animer du moins de la voix et des yeux ;
Vous offrir ces leçons que ma Muse au Parnasse
Rapporta, jeune encor, du commerce d’Horace ;
Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits,
230 Et vous montrer de loin la couronne et le prix.
Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zèle,
De tous vos Pas fameux, observateur fidèle,
Quelquefois du bon or je sépare le faux,
Et des auteurs grossiers j’attaque les défauts :
235 Censeur un peu fâcheux, mais pourtant nécessaire ;
Plus enclin à blâmer, que savant à bien faire.

fin du quatrième chant de l’art poétique.

De l’éducation la Danse est le vernis :
C’est au maintien décent qu’on attache du prix16
N’allez point de Marcel, outrant le caractère,
D’un ton brusque et grossier, enseigner l’art de plaire17.
Et vous qui, du public, excitez les transports,
Danseurs, pour nous charmer, redoublez vos efforts.
Des graces et du goût 18 une heureuse alliance
Dans le rang des beaux arts peut maintenir la Danse.
Tout près de mon automne, en cet art gracieux,
J’ose vous animer de la voix et des yeux ;
Agréez ces leçons que ma Muse, au théâtre,
Me dicta, jeune encor, sur l’art que j’idolâtre19 ;
Secondant votre ardeur, échauffant vos esprits,
Je vous montre de loin la couronne et le prix.
Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zèle,
De tous vos pas fameux, observateur fidèle,
Quelquefois du bon or, je sépare le faux,
Et des danseurs grossiers, j’attaque les défauts :
Censeur un peu fâcheux, mais pourtant nécessaire ;
Plus enclin à blâmer, que savant à bien faire.